Prologue

 

J’ai besoin d’air.

Respire, Lia, respire.

J’attends de sentir mes poumons se remplir d’oxygène, j’attends que ce poids sur ma poitrine s’envole. Mais rien ne se passe. J’ouvre la bouche, j’essaye de parler, de crier, de me faire entendre, mais mes cordes vocales restent désespérément muettes. J’ordonne à mes bras, à mes jambes de bouger, mais j’ai l’impression que mon cerveau ne commande plus mon corps.

J’ai mal.

Ma tête semble sur le point d’éclater, la douleur lancinante, à l’arrière de mon crâne, empire de seconde en seconde.

J’ai peur.

Étendue seule sur le bitume, j’ai peur que ma dernière heure n’ait sonné. Mais après tout, est-ce que ce serait si terrible ? Ma vie est un désastre complet, peut-être qu’il vaut mieux que tout s’arrête ce soir…

Mon instinct de survie se réveille alors, et je rassemble mes dernières forces pour pousser un gémissement, en espérant que quelqu’un m’entende.

Mon appel à l’aide se perd dans la nuit. Personne ne vient me secourir.

Alors, je me rends à l’évidence : cette nuit sera ma dernière.


 

Chapitre 1

SIX ANS PLUS TARD

 

Just when I thought I had it all under control…
You happened.
And in an instant, the stars just appeared…

Au moment précis où je pensais tout contrôler…
Tu es arrivé.
Et en un instant, les étoiles sont apparues…

R. M. Drake

 

— Lia !

Je sursaute, brutalement arrachée à mes souvenirs.

— Je te parlais. À quoi tu penses ?

Je me redresse sur le siège de la voiture, puis je regarde défiler la ville animée à travers les vitres teintées de l’énorme Range Rover que conduit Matt.

— À plein de choses. À ma vie.

Et aux changements qui s’y sont opérés ces six dernières années…

— Ouh là, ce n’est jamais bon signe quand tu commences à cogiter.

Matt klaxonne furieusement un automobiliste qui vient de lui couper la route. Klaxonner les gens en voiture est l’une de ses grandes passions.

Une fois calmé, il pose tendrement sa main sur la mienne et exerce une douce pression, comme pour m’encourager.

— Si tu dois réfléchir à ta vie, pense au chemin que tu as parcouru. À tout ce que tu as accompli. Et à tout ce qui t’attend encore.

Je serre sa main à mon tour, puis j’oublie ma mélancolie et je retrouve le sourire.

Ce soir, Matt et moi nous rendons à l’exposition photo de notre meilleur ami, Christopher Walsh. On dit souvent qu’un meilleur ami est celui qui a réussi à surpasser tous les autres dans notre cœur et qu’on ne peut pas en avoir plusieurs. Il ne peut y avoir qu’un meilleur. Eh bien, je trouve que c’est stupide. En ce qui me concerne, Matt et Chris sont mes meilleurs amis à l’exacte même échelle. Il y a cependant une chose que je m’accorde à dire : ils surpassent le reste du monde dans mon cœur. Et de loin.

— Tu n’avais vraiment pas envie de venir, ce soir ? demande Matt pour changer de sujet.

— Disons que j’aurais préféré regarder les nouveaux épisodes de Orange Is the New Black.

— On n’aura qu’à les mettre ce soir, en revenant de l’expo.

— Affalés sur le canapé à boire le bon vin que Chris nous cache ? Enfin, qu’il pense nous cacher ?

— Comme d’habitude.

Il lève sa main, contre laquelle je fais claquer la mienne.

Matt et Chris sont amis depuis le lycée. Moi, je connais ces deux lascars depuis que j’ai dix-sept ans et je suis tombée sous leur charme. Étant fille unique, je les considère comme mes frères. En réalité, je fais beaucoup plus que simplement les considérer comme tels. Ils sont ma famille.

— Tant que j’y pense : tu pourrais venir à la salle, demain ? me demande Matt. Il y a une nana qui me colle d’un peu trop près, j’aimerais qu’elle rencontre ma copine. Ça calmerait ses ardeurs.

— Pourquoi tu ne t’affiches pas avec ta vraie « copine » ?

— Question de business. Le nombre d’inscriptions est en hausse. Certaines de mes nouvelles clientes pensent qu’elles peuvent avoir une chance avec moi ; si c’est ce qui les fidélise, alors ce n’est pas moi qui vais leur faire croire le contraire.

— Mais tu te rends bien compte qu’en t’affichant avec ta « copine », elles vont penser que tu n’es plus un cœur à prendre ?

— Je n’ai pas besoin qu’elles le pensent toutes, seulement une en particulier. Elle est vraiment collante, et si elle annule son inscription, ce ne sera pas une grosse perte. Les autres peuvent toujours essayer de me séduire, et je comprends qu’elles en aient envie, d’ailleurs. Je suis plutôt canon dans mon genre, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué.

Je souris. Matt a raison, il est très attirant. Son mètre quatre-vingt-dix impressionne, ses cheveux châtain clair et ses yeux verts charment. Quant à son physique de sportif, il fait pâlir d’envie bien des hommes.

Après des études de comptabilité et un an à s’ennuyer dans son travail, Matt s’est lancé dans le projet qu’il rêvait de réaliser : devenir coach et ouvrir des centres sportifs. Il possède déjà deux salles, une à Tribeca, l’autre à Soho, et il travaille sur l’ouverture d’une troisième à Brooklyn. Beaucoup de femmes se retournent sur lui, mais Matt est gay. S’il assume parfaitement sa sexualité, il se garde cependant bien de s’en vanter auprès de ses clientes. Il aime séduire depuis toujours et n’est pas avare en compliments, clins d’œil et autres sourires charmeurs qui font grimper sa cote de popularité et le nombre d’inscriptions dans ses centres, par la même occasion. J’ai déjà dû jouer plusieurs fois sa fausse petite amie pour éloigner les demoiselles un peu trop entreprenantes.

— Combien de temps va durer ce petit jeu ?

— Quelques jours, le temps qu’elle se rende compte qu’entre elle et moi il n’y aura jamais rien. Ensuite, je te larguerai et on se remettra ensemble le jour où j’aurai à nouveau un problème de ce genre.

— D’accord, j’accepte d’être ta nana, meu querido .

— Merci, Lia, tu…

— … mais à une seule condition…

Il me regarde avec méfiance.

— Ne romps pas avec moi par téléphone. Aie le courage de me l’annoncer en face.

Il inspire et me tend solennellement son petit doigt.

— Promis !

Il enroule son doigt autour du mien, qui paraît minuscule en comparaison.

J’en profite alors pour m’adonner à l’une de mes activités favorites quand je suis en compagnie de Matty : regarder ses tatouages. Il en possède trois à ce jour, mais projette de s’en faire d’autres.

Le premier s’étend sur son avant-bras, de son poignet gauche jusqu’à la pliure de son coude. Il représente un petit garçon recroquevillé sur lui-même et triste, derrière lequel se tient un homme debout, grand et massif, bras croisés, regard dur, déterminé. Ils sont tous les deux entourés par un halo de flammes.

Gravé à l’encre noire autour de son poignet droit, à la manière d’un bracelet, son deuxième tatouage représente les lettres C, L, et M, toutes les trois reliées par une corde épaisse. Indestructible. Ce sont les initiales de nos prénoms à Chris, Matt et moi.

Enfin, sur la peau de son cou, deux dates : celle du jour où la vie de Matt a pris un tournant dramatique et celle de la rencontre de notre trio.

J’adore ses tatouages : je les observe souvent et j’en trace les contours, parfois.

Soudain agacé par la circulation ralentie, Matt passe à l’action.

— Hé, doucement ! dis-je lorsqu’il se rabat brutalement devant une voiture, lui faisant une queue de poisson.

— Relax, pitchoune. Je maîtrise, assure-t-il en tapotant le haut de ma tête comme si j’avais cinq ans.

— Si je meurs dans un accident de voiture, Chris te réduira en bouillie.

— Je le sais, et c’est pour ça que si on se crashe, je préfère ne pas m’en sortir.

Nous rions comme deux gamins alors que Matt sort enfin des bouchons. Après quelques minutes de trajet supplémentaires, nous arrivons enfin devant la galerie. J’enfile mes escarpins nude et sors de la voiture. Matt m’attend sur le trottoir, les yeux plissés.

— Tu vas encore faire tourner des têtes, ce soir, lance-t-il en me détaillant.

— N’importe quoi, je rétorque en levant les yeux au ciel.

Je lisse ma petite robe noire, passe la main dans ma longue et épaisse tignasse brune, puis je rejoins Matt. Galant, mon meilleur ami me tend son bras, que je prends en souriant, puis nous entrons.

La galerie est bondée, c’est ce que nous constatons dès que nous sommes à l’intérieur. Matt et moi échangeons un clin d’œil en souriant. Ce soir encore, Chris va faire un malheur. Nous nous dirigeons directement vers le fond de la salle et poussons une porte sur laquelle il est inscrit « PRIVÉ ». Sans surprise, derrière elle, nous découvrons notre ami pendu au téléphone, en train de parler rapidement et de faire de grands gestes.

Mon regard croise celui de Chris. Le soulagement de me voir enfin adoucit instantanément les traits anxieux de son visage.

Chris est surprotecteur envers moi. J’aimerais parfois qu’il le soit moins, mais je n’ose pas le lui dire. Je ne veux pas lui faire de peine.

Il raccroche et vient me prendre dans ses bras.

— Tu es là, enfin ! J’ai cru que tu n’arriverais jamais.

— Elle a passé un temps fou à se pomponner, dit Matt en s’affalant sur un fauteuil en cuir.

Chris jette un coup d’œil à ma tenue. Je sais déjà qu’il la désapprouve totalement. Les seules qui lui plaisent sont celles qui me couvrent des orteils jusqu’au menton.

— Lia, tu vas encore attirer le regard des hommes, ce soir.

Encore et toujours la même rengaine. Chris s’est mis en tête de repousser toute forme de présence masculine autour de moi, Matt et lui exceptés. Il s’imagine que chaque homme qui m’approche me veut du mal. Un jour, j’ai fait l’erreur de lui présenter mon petit ami du moment. Une horreur. Le dîner s’est transformé en interrogatoire. Je n’ai plus jamais renouvelé l’expérience, ni entendu parler de Lucas.

— J’ai vingt-trois ans, Chris, je fais ce que je veux.

Sous mes yeux, il se transforme en père moralisateur qui s’apprête à mettre sa petite fille en garde.

— Tu ne seras jamais trop vieille pour que je veille sur toi.

Je soupire. Je n’aurai pas cette conversation avec lui, pas une centième fois.

— Je crois que tu es attendu, Chris ! intervient Matt, me sauvant la mise.

Nous sortons de la loge, et Matt et moi nous mettons au fond de la galerie pour écouter notre ami prononcer son discours d’inauguration.

— Bonsoir à toutes et à tous. Merci d’avoir fait le déplacement pour ma première exposition de l’année, sur le thème de la mélancolie du passé. Les photos sont exposées dans un ordre chronologique, alors je vous conseille de commencer par ici, dit-il en pointant du doigt le côté droit de la salle. Je vous souhaite une bonne soirée, et n’oubliez pas de vous laisser tenter !

Des applaudissements retentissent. Matt et moi sifflons même, attirant le regard curieux de quelques personnes sur nous. Tandis que la foule commence à se disperser dans la galerie, Chris nous rejoint, et le ballet des serveurs munis de petits-fours et de boissons débute.

Au moment où je m’apprête à féliciter mon ami, une tornade blonde se jette à son cou.

— Mon amour ! Pardon pour mon retard, cette ville est une véritable jungle ! pépie Stella, la petite amie de Chris, de sa voix haut perchée.

Issue d’une famille bourgeoise des Hamptons, héritière de parents millionnaires, la jeune femme a rarement eu à lever le petit doigt pour obtenir ce qu’elle veut : il lui suffit de faire les yeux doux à son père et il lui cède absolument tout. À vingt-cinq ans, son ambition est simple : trouver un mari qui pourra lui offrir un train de vie fantastique. Matt soupçonne que c’est, entre autres, la raison pour laquelle elle s’est intéressée à Chris. Notre ami est l’un des photographes les plus talentueux et en vue de sa génération. De plus en plus de célébrités font appel à lui pour des shootings. Il y a trois ans, il a ouvert deux galeries qui portent son nom. Pour ne rien gâcher, Chris est de ces hommes qui ont un charisme fou. Son mètre quatre-vingt-douze, ses cheveux noirs, ses yeux tout aussi sombres, son corps musclé et son teint hâlé interpellent et attirent bon nombre de femmes. Chris a de l’ambition, du talent, il est beau et bourré de qualités. Je pense que Stella est réellement amoureuse de lui, mais je sais aussi que si Chris était fauché, elle ne l’aurait probablement jamais regardé. Et imaginer que Stella-la-harpie ne l’a approché que pour s’assurer un avenir confortable me met hors de moi.

Au début de leur relation, il y a bientôt deux ans, Matt et moi avons essayé de mettre Chris en garde, mais il ne nous a pas écoutés. Alors nous nous adaptons…

— Hé oh, Amalia, tu ne m’as pas entendue ? Je t’ai saluée, me fait remarquer Stella, vexée.

— Hein ? Ah, salut.

Amalia. Elle est la seule à m’appeler par mon prénom complet. Elle et moi ne nous entendons pas vraiment, pour ne pas dire pas du tout. Elle est d’une nature très jalouse et elle voit d’un mauvais œil ma relation avec Chris. Cela dit, Stella déteste qu’une autre femme approche son amour de manière générale. Elle en devient folle de jalousie.

Pour ne pas dire folle tout court.

— Bonsoir, Matthew.

— Bonsoir, Stella, lui répond mon géant de meilleur ami en prenant un air guindé.

— On fait un tour, mon cœur ? minaude la blonde en se penchant contre Chris.

Du coin de l’œil, je vois Matt faire semblant de vomir et je me retiens de rire.

— Bien sûr, bichette. Allons-y.

Chris jette à Matt un regard signifiant « je t’ai vu, andouille ». Lorsque le couple s’éloigne, nous ne pouvons nous empêcher de rire.

— Bichette ? Qu’on me rende mon meilleur pote, par pitié. Qu’est-ce qu’il fait avec elle, bon sang ? se plaint Matt en prenant deux coupes de champagne à un serveur.

— Je n’en ai pas la moindre idée. En tout cas, plus le temps passe, plus j’ai envie de lui défaire son chignon toujours si parfaitement coiffé, je maugrée.

Mais nous n’avons aucune intention de laisser Stella nous gâcher notre soirée, alors nous grignotons quelques petits-fours en parlant de tout et de rien, et surtout de la dernière conquête de Matty.

— Une semaine, et je crois que je me lasse déjà, se plaint-il.

— Tu penses essayer de te poser, un jour ? Tu as vingt-sept ans, il est peut-être temps de freiner un peu sur les coups d’un soir.

— J’en suis déjà à une semaine avec celui-ci, ce n’est pas rien.

— Pardon, je n’avais pas réalisé qu’il s’agissait d’une relation longue. J’avais oublié qu’en matière de relations amoureuses, les semaines s’apparentent à des années, pour toi.

— J’ai le temps, Lia. Et toi aussi. Fuis les mecs le plus possible, ils ne t’apporteront rien de bon.

Je fais mine de m’éloigner, mais Matt m’attire rapidement contre lui, m’entourant de son gros bras musclé. Il embrasse le dessus de ma tête en murmurant :

— Si tu as besoin d’un homme, je suis là. Chris aussi. Tu n’as besoin de personne d’autre que nous.

— Mais je…

— Et je n’ai besoin de personne d’autre non plus, j’ai trouvé la femme de ma vie.

Je dépose un baiser sur sa joue, puis nous arpentons la galerie en appréciant le travail de Chris.

— On se sépare ? Tu pars à droite, je vais à gauche et on se retrouve ? je propose.

— Tu ne commences pas par le début ? s’étonne Matt.

— Tu sais que j’aime faire les choses à l’envers.

Il ricane.

— À plus, bombasse, lance-t-il avant de partir de son côté.

Je déambule dans la galerie en détaillant les clichés au mur. Chris est vraiment bourré de talent. Il arrive à dégager tellement d’émotions avec ses photographies… Je suis toujours scotchée de voir la qualité de son travail.

Je m’arrête devant une photo en noir et blanc, et je sens immédiatement mon cœur battre plus fort. À chaque vernissage, Chris pioche dans sa réserve de clichés personnels et en choisit un en rapport avec le thème de l’exposition. Je suis toujours impatiente de découvrir celui qu’il a sélectionné, et je sais que je serai submergée par mes émotions à chaque fois.

Ce soir, c’est une photo de Chris, Matt et moi prise il y a quatre ans qu’il a choisie. Nous sommes allongés tous les trois dans l’herbe et je suis au milieu d’eux. La photo a été prise à bout de bras par mon ami. On peut clairement voir que nous sommes allongés au bord d’une falaise et que le précipice derrière nous est impressionnant.

Ce selfie a été pris lors de vacances au Portugal. Probablement les meilleures de ma vie.

— Quel sourire renversant.


 

Chapitre 2

 

Je sursaute et manque de renverser ma coupe de champagne.

— Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous faire peur.

Je me tourne vers l’homme qui se tient à ma droite. Nom de Dieu ! Il est grand, vraiment grand, aussi grand que Chris, je crois. Il a les cheveux bruns et des yeux… C’est la première fois que je vois des yeux aussi bleus. Ils me font penser à deux lagons.

— Vous allez bien ?

Je suis sûre que j’ai l’air d’une idiote à le dévisager la bouche ouverte.

— Euh… oui.

Il hoche la tête, appréciateur.

— Cette photo ne vous rend pas justice. Vous êtes bien plus jolie en vrai.

Quelle voix. Et quel sourire. Mince, il a des dents vraiment parfaites.

— Merci.

Je cligne des paupières, comme si je venais tout juste de me réveiller. J’ai l’impression que le temps s’est arrêté quelques secondes et que les yeux de cet homme m’ont hypnotisée.

C’est clair, je déraille.

Mais à ma décharge, son sourire est engageant, son regard est rieur, il tient sa coupe de champagne de manière décontractée et semble parfaitement sûr de son charme. Je devine facilement ses muscles sous ses vêtements ; sa chemise grise épouse ses biceps à la perfection. Il en impose, c’est indéniable : sa carrure est impressionnante. Cet homme ne passe pas inaperçu : en jetant un regard circulaire à la galerie, je remarque qu’il n’attire pas seulement mon attention, mais aussi celle d’autres femmes.

— À qui ai-je l’honneur ? poursuit-il sans se départir de son sourire incroyable.

Tout l’oxygène quitte mes poumons avant que je sois à nouveau capable de prendre une longue inspiration d’un air nouveau.

— Vous êtes sûre que vous allez bien ?

Bordel, il va finir par croire que j’ai la capacité de réflexion d’un bulot.

— Oui, tout va bien, je réponds en posant une main sur ma poitrine.

Mon pouls bat étonnamment vite.

— Vous êtes de la famille de Christopher Walsh ?

— Non, c’est un ami, je réponds après quelques secondes.

— Eh bien, je suis heureux qu’il ne soit que votre ami.

Jusqu’à maintenant, j’étais éblouie, mais quelque chose dans cette petite phrase déclenche en moi une alarme. Soudain, les innombrables mises en garde de Chris et Matt me reviennent en mémoire. Je fronce les sourcils.

— Est-ce que vous êtes en train de me draguer ?

Nouveau sourire enjôleur.

— Ça poserait un problème, si c’était le cas ?

Je décèle dans ses yeux cette petite pointe d’arrogance qu’ont les hommes qui pensent avoir ferré une nouvelle proie. Cette fois, en plus de l’alarme, ce sont des signaux de détresse qui s’enclenchent dans ma tête. Je connais les hommes comme lui, ou plutôt, Chris et Matt les connaissent par cœur. Ils font partie de la catégorie des « je suis beau, je le sais, et je saute une nana différente tous les soirs ». Très peu pour moi. Cet homme est beau, ça oui, mais ça ne fait pas tout.

— Ne vous fatiguez pas. Si votre but est de me séduire, vous perdez votre temps.

Il fronce les sourcils et ouvre la bouche pour parler, mais je le coupe avant qu’il n’ait eu le temps de dire quoi que ce soit.

— Je ne suis pas le genre de fille qui ouvre son lit le premier soir, et ce ne sont pas vos compliments ni votre beau sourire qui y changeront quelque chose.

Je pars en le laissant là, m’éloignant le plus possible. Alors que j’essaye de repérer Chris, je sens une main se refermer autour de mon poignet.

— Une minute.

Surprise, je me dégage de la poigne de l’inconnu aux yeux bleus. Il a l’air… contrarié.

— Qu’est-ce qui vous fait dire que j’ai envie que vous m’ouvriez votre lit ?

— Quoi d’autre ? À moins que vous ne m’abordiez dans l’espoir qu’on démarre une partie de Monopoly ?

— Est-ce que vous insinuez que je suis un homme facile ?

— Pas du tout. J’insinue que vous avez l’air de penser que toutes les femmes le sont.

Ses prunelles perdent de leur chaleur.

— Peu importe ce que tu penses savoir, tu te trompes complètement.

— On se tutoie, maintenant ? Première nouvelle, je réplique en croisant les bras.

— Tu m’as manqué de respect, je ne vois pas pourquoi je prendrais des pincettes avec toi.

Je ricane.

— Tu as abordé la mauvaise fille, c’était mieux que tu le saches au lieu de perdre ton temps. Trouve-toi une bimbo sans cervelle. Ce sont des proies faciles, tu gagneras à tous les coups.

Il amorce un pas en avant dans l’intention de m’intimider, mais ça ne marche pas.

J’en ai vu d’autres, beau gosse.

— Je vois… Laisse-moi deviner : tous les hommes sont des salauds, n’est-ce pas ? Dis-moi, qu’est-ce qui t’a rendue si hargneuse ?

— Tu as fini ? Je peux y aller ?

— Réponds-moi. Pourquoi es-tu si cassante ?

— Et toi, pourquoi es-tu si pot-de-colle ?

Je ne connais ce mec que depuis cinq minutes, et après m’avoir séduite, il m’exaspère complètement.

— J’ai demandé avant, fait-il malicieusement remarquer.

Je plisse les yeux. Quel gamin !

— Tu as quel âge ? je demande.

— Pourquoi ? Tu es intéressée ?

— Sûrement pas ! je réplique, indignée.

— Et toi, quel âge as-tu ? Laisse-moi deviner… Vingt-six, vingt-sept…

— Vingt-trois, j’affirme, vexée qu’on puisse me donner des années de plus.

Il s’esclaffe, dévoilant ses dents parfaites.

— Rien de tel que vieillir une femme pour lui faire avouer son âge. Mais je comprends mieux, maintenant.

— Tu comprends quoi, Einstein ?

— Ta réaction. Manque de maturité typique.

Je suis à deux doigts de le gifler.

— Moi, je suis immature ?

Je tente de retrouver mon calme. Il est hors de question de faire un esclandre ici. C’est la soirée de Chris et je m’en voudrais de la lui gâcher.

— Écoute-moi bien…

— Un problème, Lia ?

Je sursaute lorsque Chris effleure mon bras et vient se poster à mes côtés.

— Robin Edwards, je suis fan de votre travail, le salue l’inconnu aux beaux yeux.

Chris le regarde avec méfiance et lui serre la main sans entrain. Il me jette ensuite un coup d’œil pour s’assurer que je vais bien.

— Qu’est-ce qui se passe ? insiste-t-il.

— On fait connaissance, affirme le dénommé Robin.

— Lia ? s’obstine Chris en me dévisageant.

Je ne tiens pas à ce que mon meilleur ami rabroue cet homme comme il l’a fait avec tous les autres. Robin m’a agacée, mais avant cela, il m’avait charmée, et étrangement, j’ai envie de continuer la discussion que nous avions entamée.

— C’est vrai, j’avoue finalement à Chris.

— Alors pourquoi est-ce que tu avais l’air d’être sur le point de frapper quelqu’un ? demande mon meilleur ami.

— On avait un débat animé sur les préjugés, répond Robin à ma place.

Je le fixe. Il a un sourire suffisant sur les lèvres. J’ai à la fois envie de le gifler et de l’embrasser.

Je pose ma coupe de champagne : plus d’alcool pour moi, je divague complètement.

— Viens, décide Chris.

Ce n’est pas une question. Il est sous pression lorsque la gent masculine m’approche. Cependant, je ne suis pas quelqu’un de docile.

— Je vais débattre encore un peu, dis-je en lui souriant. Je te rejoins après.

Il me détaille, puis il jette un regard peu amène à Robin avant d’embrasser mon front et de partir.

— Eh bien… plutôt possessif, ton ami.

Cette fois, c’en est trop.

— Tu ne me connais pas, et tu ne le connais pas non plus, alors je ne te permets pas de nous juger. Tu penses que je suis immature ? Grand bien te fasse, je ne perdrai pas mon temps à essayer de te prouver le contraire, j’ai d’autres choses à faire.

Il plonge son regard dans le mien, et je dois avouer que ses yeux me font de l’effet.

Il va falloir que je me renseigne sur cette incroyable nuance de bleu…

— OK, on a mal démarré. On reprend depuis le début ? Robin Edwards.

Il me tend la main en souriant. Je devrais lui dire de partir, premièrement parce qu’il m’a mise hors de moi alors qu’on ne se connaît pas, et deuxièmement parce que Chris a déjà dû prévenir Matt et qu’ils doivent probablement me surveiller de loin tous les deux. Je suis tentée de lui tourner à nouveau le dos et de le laisser en plan, mais je n’ai pas le cœur à l’éconduire. Après tout, c’est moi qui ai commencé en insinuant qu’il ne sortait qu’avec des bimbos sans cervelle. Même dans le cas où ce serait vrai, j’aurais peut-être dû être un peu plus délicate.

Finalement, je prends la main qu’il me tend.

— Amalia Gomes.

— Enchanté, Lia.

Je fronce les sourcils.

— Seuls mes amis et mon cercle intime m’appellent ainsi.

— Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que je ferai bientôt partie de ce cercle, moi aussi.

Il agrémente sa petite tirade d’un clin d’œil. J’entrouvre la bouche, soufflée par tant d’arrogance.

— Et je ne sais pas pourquoi, mais je sens que tu auras bientôt l’interdiction officielle de t’approcher de mon cercle à moins de cent mètres, je réplique avec un sourire innocent.

Il baisse la tête et rit doucement.

— Alors, dis-moi, qu’est-ce qui t’a fait penser que j’étais un serial séducteur ?

— « La photo ne vous rend pas justice »… C’est d’un cliché… J’ai trouvé ça nul, mais tu avais l’air tellement sûr de toi que j’ai compris que tu avais l’habitude de sortir de genre de phrases.

Il hausse les sourcils.

— Je vais devoir revoir ma technique de drague, dans ce cas.

— Ah, parce que c’était de la drague ? Au temps pour moi.

Il s’esclaffe.

— Je vois. Peut-être que je pourrais t’inviter à dîner un de ces soirs ? Histoire de te montrer l’étendue de mon talent.

Il m’a fait cette proposition avec une telle décontraction qu’il me convaincrait presque que c’est une bonne idée. Mais ma raison n’est jamais très loin pour remettre dans le droit chemin la partie de mon esprit qui se laisse attendrir par un sourire. De plus, en jetant un regard derrière moi, je vois Matt et Chris, bras croisés, yeux rivés sur nous. Ils nous toisent, Robin et moi, avec un air de gardes du corps. Je soupire.

— Désolée, je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

Robin regarde à son tour les garçons.

— C’est quoi, le problème ? demande-t-il, perplexe.

— Je ne te connais pas, je ne vais pas dîner avec toi.

— C’est justement fait pour ça, les dîners : apprendre à se connaître.

— Je pense que tu ferais mieux de lâcher l’affaire.

Sa bouche s’étire en un léger sourire.

— Je suis plutôt du genre têtu, Amalia. Je n’ai pas l’habitude de lâcher l’affaire.

Il lève sa coupe de champagne en direction de mes amis, la boit d’un trait puis la pose sur le plateau d’un serveur qui passe avant de me faire un clin d’œil…

— À bientôt.

… et de s’en aller.


 

Chapitre 3

 

Bon sang !

— Qu’est-ce qu’il te voulait ? lance Chris en déboulant à côté de moi.

— C’était quoi cet affront ? renchérit Matt.

« À bientôt » ? Comment ça, « à bientôt » ?

— Ce n’était rien du tout, je réponds une fois redescendue sur terre, juste un mec qui a tenté sa chance mais à qui j’ai dit de laisser tomber.

Loin d’être idiots, mes Men in Black de meilleurs amis continuent de me dévisager.

— Où est Stella ? je demande pour faire diversion.

— Partie, répond Chris du bout des lèvres.

Je cherche dans ses yeux ce qu’il ne me dit pas… et je trouve. Une énième dispute avec Stella… On en parlera plus tard, comme d’habitude.

— On y va, décide-t-il en prenant ma main.

— Tu ne restes pas ? C’est ton expo !

— Je suis crevé. Marcus s’occupera de faire la fermeture.

Je ne pose pas de question et nous sortons de la galerie. Bêtement, j’inspecte les passants sur le trottoir pour voir si « Beaux Yeux » se trouve parmi eux, mais je ne le vois pas.

Nous montons dans le Range Rover. Après un court trajet, nous arrivons dans le quartier de Tribeca et nous montons dans le penthouse où Chris et moi résidons. Matt prend un verre avec nous, puis finalement, voyant que notre ami brûle d’avoir une discussion avec moi, il s’en va sans que nous ayons regardé un épisode d’Orange Is the New Black. Bien décidée à repousser l’échéance de la fameuse discussion, je m’éclipse dans ma chambre.

Je vis avec Chris depuis trois ans, maintenant. Son penthouse est immense et luxueux. Même si j’y vis depuis longtemps, je suis encore soufflée par la beauté des lieux. Tout est décoré avec goût dans un style très contemporain. Chacune des quatre chambres possède une salle de bain attenante ainsi qu’un dressing. Chris a fait agrandir le mien le jour où j’ai commencé à empiéter dans le sien. Le salon, la salle à manger et la cuisine ne forment qu’une seule et même grande pièce, qui est ma préférée après ma chambre. Elle est immense et comporte tellement d’ustensiles qu’un chef y serait sur un petit nuage. J’adore y concocter de bons petits plats. Et c’est dans le coin salon que Chris, Matt et moi avons passé certains de nos meilleurs moments.

À seulement vingt-sept ans, Chris a su se construire un véritable empire. Son succès comme photographe a été immédiat, ce qui lui a permis d’ouvrir ses galeries puis de faire des investissements immobiliers. Il est propriétaire de trois appartements luxueux en plein Manhattan, qu’il loue une petite fortune, ainsi que d’une villa en bord de mer dans les Hamptons pour son usage personnel. Chris s’est également offert les services d’un conseiller qui s’occupe de faire pour lui des placements boursiers lucratifs. Il aurait pu s’arrêter là, mais l’ambitieux et boulimique de travail qu’il est a décidé l’année dernière de devenir propriétaire d’un hôtel sur la célèbre Cinquième Avenue.

Son parcours donne le tournis et force l’admiration. À côté de mon meilleur ami, je me sens minuscule. J’espère que lorsque j’aurai son âge je pourrai m’enorgueillir à mon tour d’un chemin parcouru. L’avantage de vivre avec un homme comme lui, c’est qu’il communique son ambition et sa volonté de fer.

Je sors de ma salle de bain et j’enfile un short en coton noir avec une brassière noire, puis j’attache mes cheveux en chignon. Ne pouvant plus repousser l’inéluctable, je rejoins Chris dans la cuisine. Je le trouve en train de chercher une boîte de médicaments dans l’un des placards. Il fait tomber trois pilules de la plaquette et les avale ensemble.

— Trois ? Autant que ça ? dis-je en m’installant à ses côtés.

Il ferme les yeux et prend appui sur le plan de travail.

— C’était une semaine difficile.

— Tu devrais ralentir, Chris.

— Je gère, Lia. Ne t’en fais pas.

Mais le léger tremblement de ses mains m’inquiète. Je les prends entre les miennes et les frotte comme si elles avaient besoin d’être réchauffées.

— Je vais me changer.

Il me sourit, rassurant, puis s’éclipse dans sa chambre. Je m’installe sur le canapé du salon, pensive et inquiète.

Quand il me rejoint, il semble déjà un peu plus apaisé.

— Stella ne dort pas ici, ce soir ?

— Non, elle passe la nuit chez une amie.

— Vous vous êtes disputés ?

Je connais déjà la réponse à cette question, mais j’ai tout de même besoin de la poser. Chris soupire.

— Oui. Encore…

— Je ne veux pas être une source de disputes dans votre couple. Je sais que Stella ne m’aime pas, et honnêtement, qui l’en blâmerait ? Tu m’accordes plus d’importance qu’à elle.

— Tu sais pourquoi, se justifie Chris, la mâchoire serrée.

— Oui, je le sais, mais elle, non. Peut-être que si on lui explique…

— Sûrement pas, me coupe-t-il. Elle ne sait pas tenir sa langue, l’Amérique entière serait au courant de tout en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Écoute, Lia, je ne veux pas que tu t’en ailles ou que tu penses nous gêner, Stella et moi. Tu as ta place ici, j’aime que tu habites avec moi. Peu importe ce qui se passe… Tu sais à quel point tu es importante pour moi. Je veux te protéger.

— Ce n’est pas ton devoir.

— Bien sûr que si. Je dois te protéger, t’empêcher de souffrir et éviter qu’on te fasse du mal.

— Mais Chris, la vie fait mal, et nous sommes bien placés pour le savoir, toi et moi.

Ses yeux se voilent juste une minute. Juste le temps de se souvenir à quel point la vie peut être cruelle, à quel point elle peut vous mettre à terre.

— Je m’inquiète pour toi et je veille sur toi. C’est comme ça depuis le début et ça ne changera pas.

— Mais peut-être que…

— Fin de la discussion.

Et voilà, encore une fois, je n’ai pas réussi à lui dire ce que je pensais. Je suis pourtant quelqu’un de franc et direct, mais avec Chris, c’est différent. Je le respecte trop pour le traiter comme le reste du monde.

— Au fait, le mec avec qui tu parlais, tout à l’heure…

J’éclate de rire.

— Laisse-moi deviner, tu vas me mettre en garde ?

— Exactement. Méfie-toi de lui.

— Chris, tu dis ça à propos de tous les hommes qui m’abordent. Peut-être que je devrais aussi me méfier de toi et de Matt ?

Il lève les yeux au ciel et secoue la tête.

— Je dis juste que je connais les mecs comme lui. Il voudra profiter de toi et…

— … et m’attirer dans son lit pour ensuite me jeter vulgairement comme une vieille chaussette. Je sais, je sais, mais peut-être qu’il n’est pas comme tous les autres… Tu sais comme je me fie à mon instinct. Je pense qu’il est différent.

— Eh bien c’est que ton instinct est défaillant.

— De toute façon, je ne le reverrai probablement jamais, dis-je pour mettre fin au débat.

— Tant mieux, ronchonne Chris.

Il me prend dans ses bras et me serre contre lui. Je passe mes bras autour de sa nuque et enfouis ma tête dans son cou.

— Je veux juste te protéger, je veux être sûr qu’il ne t’arrive rien, murmure-t-il.

— Je sais.

Je profite de son étreinte réconfortante quelques instants, puis annonce :

— Je suis crevée. Je vais me coucher.

— Je te suis, dit-il en se levant à ma suite.

Nous nous souhaitons une bonne nuit avant de rejoindre chacun notre chambre. Je me faufile sous ma couette et pousse un soupir, en me repassant la soirée dans mon esprit. Ça fait plusieurs années que j’assiste aux expos de Chris, et c’est la première fois que c’est si animé. Il n’y a pas à dire, Robin a mis de l’ambiance. D’ailleurs, qu’entendait-il par « je ne lâcherai pas l’affaire » ? Cherchera-t-il à me revoir ? Mais pourquoi ferait-il ça ? Je l’ai envoyé bouler comme un malpropre. Et s’il essaye tout de même de me trouver et me propose un nouveau dîner ? Je secoue la tête. Comment pourrait-il y parvenir sans mon numéro de téléphone ou mon adresse ?

Je soupire de nouveau puis me retourne et ferme les yeux. De toute façon, jamais personne n’a réussi à passer le barrage de mes Men in Black, et Robin Edwards ne fera certainement pas exception à la règle.

 

***

 

Je me réveille tôt et de plutôt bonne humeur. J’enfile un pantalon de yoga noir et une brassière de sport violette, puis je me rends à Central Park pour y faire mon footing. California Dreamin’ de Sia dans les oreilles, je m’élance et parcours ma distance habituelle en une heure pile. Une fois ma course finie, je bois un peu d’eau et j’attends que les battements de mon cœur retrouvent un rythme normal avant de rentrer au penthouse pour m’y prélasser dans un bain. J’entre ensuite dans mon dressing et choisis un short en jean taille haute, un crop top noir, un gilet de la même couleur et des baskets blanches. Je laisse mes cheveux détachés : j’ai depuis longtemps abandonné l’idée de les dompter. Épais et brun foncé, ils ont tendance à onduler.

Je me regarde dans la glace, satisfaite de ce que je vois. Mon mètre soixante-dix me suffit, j’ai la peau légèrement hâlée, les yeux hazel, et je suis plutôt mince, ce qui est un exploit vu mon obsession pour le Nutella et tout ce qui est calorique. J’ai des fesses rebondies et une poitrine qui plaît beaucoup aux hommes… malheureusement. Les regards que je surprends parfois sur elle sont absolument dégoûtants.

Je jette un coup d’œil à ma montre. À peine dix heures. Aujourd’hui, je ne travaille pas et je suis bien décidée à prendre du temps pour moi. Je sors et j’arpente les trottoirs bondés de New York.

J’adore cette ville, mais je n’y ai pas toujours vécu. Je suis née au Brésil, le pays d’origine de ma mère, et jusqu’à mes sept ans, mes parents et moi nous sommes partagés entre l’Amérique du Sud et le Portugal, d’où venait mon père. Nous alternions, une année sur deux, jusqu’au jour où mes parents ont décidé de venir s’installer ici, à New York. Je me suis tout de suite plu dans cette ville et elle est immédiatement devenue ma maison. J’aime le monde, le bruit, j’aime que cette ville soit toujours en mouvement, qu’il y ait toujours quelque chose à y faire, que l’on puisse s’y faire livrer tout et n’importe quoi… J’aime New York et elle me le rend bien.

Je décide de me rendre à Paley Park. C’est un endroit que je trouve dépaysant. Bien qu’il se trouve au cœur de la ville, la verdure permet d’en fuir un instant le tapage, et il y a un coin avec des tables et des chaises pour se poser, boire un verre ou profiter de la cascade de six mètres qui rajoute à la beauté du lieu.

Je repère une place libre face à la chute d’eau et décide de m’y asseoir. Je m’adosse à la chaise, ferme les yeux et pousse un long soupir. Le calme qui m’entoure m’apaise. Je me surprends à sourire toute seule mais je m’en fiche, je suis bien. Je suis même à deux doigts de somnoler.

— C’est définitivement le plus beau sourire que j’aie jamais vu.

Commander Et puis soudain... Succomber