1

Liz

Riverrat69 : Je suis jaloux de ton rencard de demain.

Tink24 : Pourquoi ? Je croyais que tu n’aimais pas les rencards.

Riverrat69 : Je suis jaloux de ce qu’il va pouvoir te faire. À moins que je n’imagine simplement ce que je te ferais si j’étais ton rencard.

Tink24 : Oh, raconte…

Riverrat69 : Je commencerais par m’assurer que tu portes une jupe. Sans rien dessous.

Tink24 : Cela pourrait peut-être s’arranger…

Riverrat69 : Je t’emmènerais dans un endroit où l’on sert du très bon vin et je te ferais asseoir à côté de moi dans le box de façon à t’observer pendant que tu te régales tout en ayant la possibilité de glisser plus facilement ma main sous ta jupe. Tu as déjà pris ton pied au milieu d’une salle pleine de monde ?

Tink24 : Je ne crois pas, non… et je ne suis pas sûre que je pourrais…

Riverart69 : Ne t’inquiète pas. Moi je t’y amènerais. Je te toucherais légèrement au début, pour te chauffer pendant que tu siroterais ton vin. Puis je glisserais un doigt en toi en murmurant à ton oreille. Le serveur viendrait et il faudrait que tu commandes. Je pense que cela t’exciterait de savoir que je te caresse comme ça et que nous pourrions si facilement être découverts.

Tink24 : Je pourrais peut-être. Si tu t’y prends bien.

Riverart69 : Oh, je m’y prendrais bien. Rapidement, j’ajouterais un deuxième doigt et je te sentirais te contracter autour de lui. Est-ce que tu cries dans ces cas-là ? Parce que la clé pour prendre son pied en public, c’est que personne ne s’aperçoive de ce qui se passe sous la table. Pourrais-tu rester silencieuse pendant que je te baise avec mes doigts ?

Tink24 : Je pense que je pourrais y arriver, mais et toi dans tout ça ?

Riverrat69 : Ça, ce sont juste les préliminaires, Bébé. Si tu mouilles, je suis content.

Tink24 : Je mouillerais… je mouille.

Riverrat69 : Ce serait après le restaurant. Après t’avoir fait prendre ton pied en public, après avoir observé le plaisir inonder ton visage en jouissant, alors ce serait mon tour.

Tink24 : Tu me ramènerais chez moi ? Tu m’attacherais ?

Riverrrat69 : On irait peut-être chez toi, mais j’apporterais tout ce dont j’ai besoin pour t’attacher au lit. Ça te plairait ?

Tink24 : C’est exactement ce que je veux.

Riverrat69 : Puisque tout ceci n’est qu’un fantasme et que nous savons tous les deux que tu seras avec je ne sais quel autre imbécile demain soir, voudrais-tu me faire une faveur ?

Tink24 : Laquelle ?

Riverrat69 : Mets ta main dans ta culotte.

Tink24 : Qui a dit que je portais une culotte ?

Riverrat69 : Tu veux ma mort ?

 

En relisant cette conversation, je m’agite inconfortablement dans mon lit. Tu parles d’une façon de commencer la journée ! Mais je me suis endormie en pensant à lui, j’ai rêvé de lui et je me suis réveillée avec lui en tête.

Je ferme les yeux et je me représente tout ce qu’il a décrit. Je m’imagine Sam assis à côté de moi au restaurant. Sam qui me chuchote des cochonneries à l’oreille tout en me touchant sous la table.

J’appuie la tête sur mon oreiller en gémissant. Sam pourrait faire ces choses. Et même si je doute de mes capacités à jouir en public, je suis sûre que Sam en serait capable. Il me ferait jouir dans sa main avant l’arrivée du dessert. Et après…

Je me retourne et j’enfouis mon visage dans l’oreiller. Peu importe ce qui se passerait ensuite. Comme River l’a dit, tout ce qu’il a décrit n’est qu’un fantasme. Et cette idée que j’ai, que mon ami anonyme en ligne – qui aime me dire des cochonneries, qui veut m’attacher – l’idée que cet ami c’est Sam, que Sam est River, ce n’est probablement qu’un fantasme aussi. Même si c’est un fantasme qui persiste.

Et si c’est Sam, l’idée qu’il puisse me pardonner suffisamment pour vouloir faire ces choses avec moi de nouveau ? Ça, c’est indéniablement de l’ordre du fantasme.

*
*     *

Sam

J’enfouis les mains dans ses cheveux et j’ouvre la bouche contre son sein, tirant son téton entre mes dents – un peu brutalement, juste comme elle aime. Elle a les yeux bandés et ses mains sont attachées au-dessus de sa tête avec mes cordes, à la rampe du deuxième étage. Elle est totalement à ma merci, et cela nous excite tous les deux.

Je descends le long de son corps, embrassant, dégustant, léchant chaque centimètre de sa peau. Liz dit mon nom en gémissant. Je n’arrête pas. Au contraire, je suce la chair tendre qui recouvre sa hanche et je glisse la main entre ses jambes, sur cet endroit chaud et moite et prêt pour moi.

– Sam !

Cette fois elle crie.

– Sam ! Sam !

Encore et encore, jusqu’à ce que mon nom ressemble plus à un grincement strident qu’à un mot.

En poussant un grognement, je me retourne et j’écrase le bouton d’arrêt de mon réveil plus fort qu’il n’est nécessaire. Je n’ai pas envie de m’interroger sur la raison pour laquelle je rêve de Liz Thompson alors que je ne lui adresse plus la parole. Ces rêves sont fréquents et de plus en plus frustrants, et ma queue ne veut pas savoir que je ne devrais pas la désirer, alors je la prends dans la main, je ferme les yeux et j’imagine Liz attachée comme elle l’était dans mon rêve.

Je serre le poing et j’imagine que j’empoigne son cul tout en la pénétrant si violemment que les murs en tremblent. Je peux presque entendre les petits bruits qu’elle fait quand je la caresse. Et ma main a beau n’être qu’un substitut minable, le fantasme rend ma branlette plus satisfaisante que d’habitude et je jouis rapidement et violemment avant que le réveil ne sonne de nouveau.

2

Liz

Il fut un temps où je croyais que je n’aimais rien tant en ce monde qu’un homme qui me dirait des cochonneries – le frottement de sa barbe dans mon cou entre deux paroles suggestives murmurées à mon oreille, le grondement rauque de sa voix, l’ivresse grisante de l’assurance de savoir comment finirait la soirée, de savoir que nous désirions les mêmes choses.

Mais je me trompais. Parce que, s’il est vrai qu’un bon nombre d’hommes sont capables de dire des cochonneries, je peux compter sur les doigts d’une main ceux que j’ai rencontrés qui le font bien. Au cours de mes escapades amoureuses des huit derniers mois, j’ai appris qu’il y a deux sortes d’hommes qui usent de mots cochons en ce bas monde : ceux qui utilisent ce genre de langage comme préliminaires, ce qui transforme mes jambes en guimauve, et ceux qui se contentent de répéter les paroles d’un rap de mauvaise qualité.

– J’ai envie de te la mettre, Bébé.

C’est ce que me dit mon rencard. Il se prénomme Harry. Et il est velu. C’est le genre de mec qui laisse le col de son polo ouvert de façon à mettre en évidence des touffes de poils désordonnées. Je n’ai rien contre les poils, mais je préfère qu’ils soient disciplinés et taillés là où il faut. S’ils sont dans cet état sur son torse, qu’est-ce que ça doit être dans son caleçon ?

– Tu as envie que je te la mette, hein ?

Il a l’air si sûr de lui.

Non, Harry le velu, je ne veux pas que tu me la mettes, pas du tout. Mais je ne le dis pas. Il a entre vingt-trois et trente-quatre ans (du moins, c’est ce que dit son profil), un boulot stable, il aime ses parents et recherche quelqu’un avec qui se fixer, de préférence à New Hope. Ce sont toutes les qualités que je recherche chez un homme, et je suis censée lui donner une chance. J’aimerais lui donner sa chance.

Pour choisir les hommes avec qui je sors, j’ai toujours privilégié un corps sexy et de remarquables aptitudes au lit – ce qui explique probablement pourquoi, à vingt-quatre ans, je n’ai encore jamais connu de relation amoureuse qui dure plus de trois mois.

– Hum, je fais en esquivant un deuxième baiser aromatisé à la bière. Désolée, mais je ne couche pas le premier soir. Jamais.

Plus jamais serait plus exact, mais je ne crois pas que Dieu me tienne rigueur de ce mensonge quand je le fais pour éviter une coucherie regrettable.

Nous sommes dans la salle du fond, chez Brady. C’est là que j’ai retrouvé Harry pour prendre un verre et il m’a coincée quand je sortais des toilettes, ce qui, de sa part, faisait montre d’une grande expertise en matière de séduction, parce qu’il faut bien dire que rien n’est aussi « sexy » que l’odeur d’urine et de bière éventée.

Son souffle est chaud et poisseux dans mon cou, sa main remonte le long de ma jupe. J’attrape son poignet pour l’arrêter et je décide de compter jusqu’à dix avant de le repousser. Il avait l’air sympa sur Internet. C’est peut-être la nervosité qui en fait un complet abruti ce soir.

– Tu veux que je prenne mon temps, Bébé ? Je peux faire ça. Avec moi tu vas vouloir que ça dure toute la nuit.

Ouais, ben, permets-moi d’en douter.

– Écoute, Ha…

– Excusez-moi, dit une voix grave.

Je repousse Harry pour regarder par-dessus son épaule et je me retrouve en face de Sam Bradshaw. Sam Le dieu du plumard Bradshaw, LE Sam Bradshaw qui m’a déjà vue nue.

À son expression, je devine qu’il a assisté à plus de ma conversation intime avec Harry que je ne souhaiterais avoir vécue moi-même. Je ne suis pas sûre que le mot mortification soit assez fort pour décrire ce que je ressens en ce moment.

Je relève le menton.

– Tu voulais quelque chose ?

Sam désigne un point derrière moi.

– Aller aux toilettes.

– Oh. Bien sûr.

Sam dévisage Harry avant de me regarder avec un petit sourire moqueur.

– Amusez-vous bien, les jeunes.

Alors lui, c’est un homme qui sait dire des cochonneries. Sam pousse la porte battante pour entrer dans les toilettes. Les épaules larges et la démarche conquérante. Et pas la moindre touffe de poils en vue.

Harry se racle la gorge.

– Tu le connais ?

Intimement.

– C’est un ami de longue date.

Il fait un signe de tête vers la porte du fond.

– On se casse, Bébé ?

J’essaie, vraiment, de garder l’esprit ouvert en ce qui concerne les hommes qui ne ressemblent pas à Sam Bradshaw – des hommes qui ne m’excitent pas autant que Sam Bradshaw –, mais un trentenaire blanc bedonnant ne devrait pas essayer de parler comme les mecs de la fraternité de l’université de Sinclair.

– Je te ramène chez moi, je vais te montrer ce que je peux t’offrir.

Il me fait un clin d’œil – pour être bien sûr que je saisis le double sens du message, je suppose.

Je danse d’un pied sur l’autre, mal à l’aise.

– Je suis désolée, Harry, mais je parlais sérieusement quand je t’ai dit que je ne couche pas le premier soir.

Bien entendu, c’est le moment que Sam choisit pour réapparaître. Sam, pour qui j’ai sorti le grand jeu en deux occasions et avec qui j’ai remporté la somme fabuleuse de zéro rencards. Il pousse un petit grognement, me lance un sourire entendu et retourne dans le bar en me laissant seule avec un Harry velu et excité.

– On n’est pas obligés de coucher. Je vais te montrer qu’un vrai mec peut te donner du plaisir sans dépasser certaines limites.

– C’est juste que…

– Dis-moi ce que tu veux, Bébé.

Je sais ce qu’Harry a en tête, mais mes yeux ne quittent pas la silhouette de Sam qui s’éloigne et je me dis que la seule chose que je veux, c’est une seconde chance. Avec Sam.

– Rien. Je suis fatiguée, c’est tout.

– La prochaine fois, alors.

Il m’attire vers lui et pose un baiser mouillé sur ma bouche en aspirant mes deux lèvres entre les siennes. Je me demande s’il essaie de m’embrasser ou de m’avaler. Beurk.

– Bonne nuit, mon chou.

Je marmonne un vague bonsoir en le regardant sortir par la porte du fond, à la fois soulagée et déprimée de me retrouver seule encore une fois.

Et qu’est-ce que je suis censée faire maintenant ?

Je pourrais rentrer chez moi et me préparer un plateau télé, mais cela risquerait de me rappeler ce qui me pousse à donner des rencards à des mecs horribles comme Harry. Je pourrais passer à l’improviste chez ma sœur jumelle, Hanna, pour voir mes adorables petites nièces, mais cela voudrait dire regarder mon futur beau-frère baver devant ma sœur. L’adoration que Nate lui porte me rappellerait pourquoi des types comme Harry ne seront jamais à la hauteur. Je pourrais aussi passer un peu de temps utile sur des sites de recherche d’emploi pour poursuivre ma quête apparemment interminable d’un nouveau boulot.

Je choisis de boire.

Je me dirige vers le bar et je fais signe à Brady, le proprio de ce bistrot que mes amis et moi aimons tant.

– Ce type-là ? Vraiment ?

Je hausse les épaules. Brady m’a vue rencontrer un tas de mecs devant un verre depuis quelques mois, une seule fois pour la plupart.

– Il avait l’air bien sur le papier.

Il me sert un shot qu’il me passe par-dessus le comptoir.

– Si tu te mets à faire dans l’homme mûr, je vais m’inscrire sur la liste.

Je lui souris et j’avale la tequila cul sec, appréciant la chaleur qui se répand aussitôt dans ma poitrine

– Il prétend avoir trente-quatre ans. De toute façon, je ne suis pas sûre que je pourrais tenir la distance avec toi.

Je remets le verre à shot dans sa main ridée et couverte de taches de vieillesse.

En gloussant, il remplit mon verre.

– Peu de filles le peuvent.

Puis, plus sérieusement, il ajoute :

– Toujours aucune perspective ?

Je secoue la tête.

– Si ça se trouve, je vais rester vieille fille.

– Peut-être pas.

Il tourne les yeux vers l’autre côté du bar et je suis son regard vers le box où Sam est assis avec ses potes, William Bailey et Max Hallowell. Will et Max rient ensemble, mais Sam ne me quitte pas des yeux. Il soutient mon regard un moment avant de reporter son attention sur ses amis, et mon cœur me fait part de sa déception.

– Sam et moi, ça ne pourrait pas marcher.

Je me redresse sur mon siège. Comme tout bon barman qui se respecte, Brady connaît plus de choses sur les aléas de ma vie amoureuse que mes meilleures amies – surtout parce que celles-ci sont trop préoccupées par leurs vies amoureuses réussies pour que je veuille les ennuyer avec mes déboires.

– Pourquoi dis-tu cela ?

Parce qu’il ne pourra jamais me pardonner l’erreur que j’ai commise un soir d’ivresse.

– C’est le parfait play-boy. Cela m’amusait quand j’étais plus jeune, mais ce n’est pas le genre d’homme qui cherche à s’installer et à faire des enfants.

La simple idée de faire des enfants avec Sam fait battre mon cœur plus vite. C’est ça qui serait amusant. Je soupire.

– Si tu veux mon avis, tu le sous-estimes.

Je hausse les épaules.

– Appelle ça de l’intuition féminine.

Ou chat échaudé craint l’eau froide. Je sais à quoi m’en tenir avec Sam. Je l’ai appris dans la douleur la première fois que nous avons couché ensemble. Dès que j’ai voulu tenter de remettre le couvert, j’ai su à quoi m’attendre. Ou plutôt à quoi ne pas m’attendre.

– Moi, je dis que c’est idiot, dit Brady en hochant la tête. Tu t’obstines à pêcher des hommes dans ce ramassis de losers qu’on appelle Internet et tu as l’air étonnée chaque fois que tu te plantes.

J’avale mon deuxième shot, en faisant moins la grimace, cette fois.

– Il y a des tas de types qui vont sur des sites de rencontres sans pour autant être des losers.

Il grogne.

– Tu n’en as encore amené aucun ici.

Sur ce, il se dirige vers l’autre bout du bar pour servir un autre client. Je me retrouve devant mon verre vide, à contempler ma vie tout aussi vide.

Pas de boulot. Pas de petit ami. Pas de perspective.

Une alerte sonne sur mon téléphone dans mon sac – pas n’importe quelle alerte, mais la sonnerie spéciale assignée à l’appli Something Real. Ce son fait monter un sourire sur mes lèvres et mon estomac se noue d’impatience. Ce n’est pas bien, mais c’est comme ça. Il n’y a qu’une personne qui me contacte avec cette appli, et l’idée d’un nouveau message venant de lui me fait toujours sourire.

 

Riverrat69 : Comment s’est passé ce rencard ?

Tink24 : Disons que les baisers du rottweiller de ma sœur me font plus d’effet. C’est décidé, à partir de maintenant, je fais la grève des rencards.

 

Dès que mes sœurs et mes meilleures amies se sont mises à trouver l’amour de leur vie, j’ai pris la décision de prendre ma propre vie amoureuse plus au sérieux. Avant, je ne recherchais pas la stabilité et c’était avant tout le mec le plus sexy qui m’intéressait, mais cette époque est révolue. Après mon Super Fiasco de l’Été, j’ai décidé qu’il était temps de relever le niveau et j’ai commencé à m’inscrire sur des sites de rencontre, mais cette démarche sur les sites traditionnels ne m’a menée nulle part. Brady a raison là-dessus, et le rencard de ce soir avec l’Horrible Harry le prouve bien.

Tout en continuant à consulter les AmourToujours.com de la planète, je me suis dit que je pouvais tenter ma chance sur un nouveau service. Something Real est le nouveau site de rencontre branché pour les habitants de New Hope. Un développeur web a mis au point le programme et a fait des tests auprès des habitants de New Hope et des alentours. Ce qui rend Something Real unique, c’est qu’il n’autorise pas ses utilisateurs à échanger des photos ni même leurs noms jusqu’à ce qu’ils aient atteint certains critères dans leur relation. C’est comme ça que j’ai rencontré Riverrat69, mon ami anonyme et mon obsession du moment.

L’objectif de Something Real correspond tout à fait à ce que je recherche : une relation sérieuse entre personnes qui désirent des enfants, une relation qui dure toute la vie. River, lui, n’était pas sur le site pour chercher l’amour. C’est une personne qui a eu l’opportunité d’investir dans le logiciel. Il voulait le tester et se mettre dans la peau de l’utilisateur avant d’engager les fonds dont le développeur a besoin pour aller plus loin.

River n’a pas les mêmes motivations que moi et il a été clair à ce sujet depuis le début. Mais on a accroché malgré tout.

Au cours des deux derniers mois, on a pris l’habitude de s’envoyer des messages toute la journée, et j’attends les siens avec l’impatience d’une toxico qui attend son prochain fix. Je l’aime bien, mais de son côté, pour autant que je le sache après tout ce temps, la seule chose qu’il veut, c’est m’attacher et me faire jouir.

Ce qui n’est pas très différent de ce que Sam Bradshaw m’a dit un jour vouloir me faire.

Mon téléphone vibre dans ma main quand son message suivant arrive.

 

Riverrat69 : Tu peux trouver mieux que ce mec-là, en tout cas.

 

Comment peut-il le savoir ? Je me mords la lèvre inférieure. Est-ce que c’est juste une phrase toute faite qu’on dit comme ça ou est-ce qu’il sait avec qui j’étais ce soir ? Je regarde par-dessus mon épaule la table où Sam est assis. Max est au téléphone et William n’est plus là. Quant à Sam, il est en train de taper quelque chose sur son téléphone. Mon cœur s’emballe en même temps que mes parties intimes, et je leur dis à l’un comme aux autres de se calmer.

Sam relève la tête et nos regards se croisent. Quand mon téléphone se met à vibrer dans ma main, je fais un bond.

 

Riverrat69 : J’ai un aveu à te faire.

Tink24 : Lequel ?

Riverrat69 : Je ne peux pas détacher les yeux de cette dernière photo.

 

Je ferme les yeux et j’essaie d’imaginer mon ami sans visage en train de regarder la photo que je lui ai envoyée ce matin. Après avoir relu les textos d’hier soir, j’étais tellement excitée, que lui envoyer une photo de ma hanche était le meilleur exutoire à ma frustration.

Depuis le début, nous nous sommes conformés à la règle de l’anonymat, mais je lui ai envoyé des photos. Mes jambes nues étalées sur le lit, du genou à la cheville, mes doigts de pieds après une pédicure, mon cul moulé dans une culotte noire toute neuve – des pièces d’un puzzle érotique que je voudrais absolument qu’il assemble.

 

Tink24 : Je t’avoue que j’espérais que tu aurais ce problème.

Riverrat69 : Je ne peux pas parler pour l’instant, mais envoie-moi un message quand tu te coucheras ce soir.

 

Soudain, la perspective de me mettre au lit toute seule semble bien plus attirante que cela ne l’a été depuis des semaines. Je relis le message. Je ne peux pas parler pour le moment.

 

Je relève brusquement la tête et je vois Sam assis avec son téléphone sous la main. J’étais si absorbée par la lecture des messages de River que j’ai oublié d’observer Sam pour voir s’il était en train de taper avant chacun d’entre eux.

Je ne sais pas si mon ami sur Internet habite à New Hope, mais je sais qu’il vit dans la région et qu’il a fréquenté le lycée de New Hope. Je sais qu’il a une grande famille et qu’il est dans la finance, comme Sam. Je sais qu’il s’est brûlé les ailes dans une histoire d’amour et qu’il ne veut pas entendre parler d’engagement.

Je sais qu’il tient des propos obscènes comme un pro et qu’il veut m’attacher – et c’est donc ce qui m’a fait penser que l’inconnu anonyme à qui je parle n’est pas du tout un inconnu. Tous les indices concordent pour désigner Sam Bradshaw, ce don de Dieu pour toutes les femmes où qu’elles soient. Cette intuition m’est venue très tôt dans nos échanges, mais je l’ai rejetée en me disant que je prenais mes désirs pour des réalités. N’empêche, tous les indices concordaient, et depuis que nous échangeons des messages coquins, je m’imagine que c’est Sam.

Je m’oblige à regarder ailleurs. Mon vrai problème en ce moment, c’est que je n’arrive pas à décider si River est vraiment Sam, ou si j’ai juste envie qu’il le soit.

D’accord, ce n’est pas mon seul et unique problème. Si River est réellement Sam, cela suppose toute une liste de nouveaux problèmes. En tête de cette liste ? Depuis l’été de mon Super Fiasco, Sam me déteste.

Je jette un nouveau coup d’œil dans sa direction et en voyant qu’il est parti, je ressens un profond soulagement. En fait, je suis une trouillarde et je ne suis pas prête à admettre à quel point j’ai envie que Sam soit l’homme avec lequel je communique en ligne.

*
*     *

Sam

– Bonsoir, Monsieur Bradshaw.

Le son de cette voix me fige le sang, mais je refuse de laisser mon corps réagir.

Asia Frank est assise dans le halo de lumière diffusé par la lampe de mon porche. Ses cheveux noirs coupés très court en petites mèches plaquées sur son crâne mettent en valeur ses grands yeux bleus. Elle porte une petite jupe totalement inappropriée par cette température, et une cigarette pend au bout de ses doigts.

À part un cigare de temps en temps avec mes potes, je n’ai jamais été fumeur. Mais le simple fait de la voir me donne envie de lui piquer cette cigarette et de la fumer jusqu’au filtre.

– Asia, je réponds d’une voix glaciale.

Elle penche la tête sur le côté pour me lancer un de ces regards dont elle se sert si habilement pour manipuler les hommes de son entourage.

– Tu pourrais au moins faire comme si tu étais content de me voir. Cela fait si longtemps.

– Pas assez, en ce qui me concerne.

Elle fait la moue en avançant la lèvre inférieure. Quand je pense que cela me faisait craquer à une époque, j’ai du mal à le croire.

– Ok, d’accord. Si tu le prends comme ça.

Je croise les bras et lui jette un regard appuyé.

– Bébé, il fait froid dehors. Tu ne m’invites pas à entrer ?

– Je ne veux déjà pas que tu t’approches de chez moi, ce n’est pas pour te faire entrer.

Comme si j’avais appuyé sur un interrupteur, son visage se durcit, faisant disparaître en un clin d’œil toute cette fausse douceur.

– Il y a des choses qui ne changent pas et je peux te dire que tu es toujours le même connard.

– Dis-moi ce que tu veux. Je n’aime pas me trouver si près de toi.

Elle se lève prudemment en laissant tomber sa cigarette qu’elle écrase d’un mouvement rageur de la pointe de sa chaussure rouge à talon.

– J’ai besoin d’argent.

– Hors de question.

Je sors mes clés de ma poche, prêt à rentrer chez moi en la laissant dehors. Je n’ai aucune envie d’écouter je ne sais quelle histoire à faire pleurer dans les chaumières. Je suis tombé dans le panneau une fois, je ne vais pas recommencer. Pas cette fois.

– Les deux dernières années ont été très dures. J’étais tellement déprimée que je pouvais à peine me lever la plupart du temps. Toutes mes économies ont servi à payer des factures

Je pousse un grognement. Les fameuses « économies » dont elle parle sont en fait le pécule que je lui ai constitué quand je croyais qu’elle portait mon enfant. Ça m’étonnerait qu’Asia ait eu le moindre centime à la banque avant de faire un test de grossesse. Je mets brusquement la clé dans la serrure et je pousse la porte pour l’ouvrir.

– Va te chercher une autre poire.

Un éclair de colère brille dans son regard, mais immédiatement sa voix se fait câline à nouveau. La pauvre petite Asia, si malheureuse comme toujours.

– Tu ne peux pas faire comme si je n’existais pas. Tu connais très bien la cause de ma dépression.

Quand elle penche la tête avec ostentation, je regarde par-dessus mon épaule pour voir pour qui elle fait tout ce cirque, et ouais, bien sûr, madame O’Neil qui nous observe de son porche n’en perd pas une miette.

– Tout va bien, Sam ?

– Ne me renvoie pas, Sam, dit Asia avec emphase.

Elle cligne des paupières plusieurs fois et parvient à verser quelques larmes.

– Pas avant de m’avoir écoutée.

– Sam ? insiste madame O’Neil.

– Tout va bien, Madame O’Neil. Asia, tu veux qu’on parle de cela à l’intérieur ?

Je fais un effort pour ne pas lui cracher les mots au visage. Elle me lance un sourire satisfait.

– En fait…

Elle entre chez moi d’un pas décidé. Je suis un mec plutôt sociable et rares sont les gens que je ne veux pas voir chez moi. Mais Asia Frank arrive en tête. Et pourtant, elle est là.

Je referme la porte derrière moi.

– Pas question de te donner de l’argent.

– Oh, bien sûr que si, tu vas m’en donner.

Elle entre sans se presser et observe l’espace ouvert.

– Tu vas me donner tout ce que je veux, parce que tu ne voudrais pas que mon histoire vienne détruire ta bienheureuse petite vie.

Du regard, elle scrute la pièce et je sais ce qu’elle cherche – n’importe quel objet qui ait de la valeur et qui renforcerait son idée que le monde est injuste et que certaines personnes ont tout alors qu’elle n’a rien. Tout ce qui peut justifier qu’elle me fasse chanter.

Je croise les bras.

– Ton histoire n’intéresse personne.

De nouveau elle pointe sa lèvre inférieure.

– Pourquoi est-ce que tu me détestes autant ?

Parce que tu as volé quelque chose qui m’appartenait.

– Je pense au contraire que des tas de gens seront intéressés par mon histoire. Surtout maintenant que ton papa se présente au poste de gouverneur. J’ai cru comprendre que la concurrence est rude pour les primaires.

– Son fils a baisé une strip-teaseuse un soir de cuite. Les électeurs en ont vu d’autres.

Elle pousse un profond soupir.

– Ce que je crois, c’est qu’ils trouveraient intéressante la partie où tu m’as obligée…

Elle me regarde droit dans les yeux et cligne des paupières pour faire remonter ses larmes de crocodile.

– La partie où tu m’as obligée à avorter. J’aurais fait n’importe quoi pour garder mon bébé.

La rage monte en moi si vite et si violemment que je fais trois pas vers elle avant de me forcer à me retenir en serrant les poings le long de mon corps.

– Espèce de connasse. Qu’est-ce que je t’ai fait ?

Ma voix résonne de colère et de haine.

Son regard se durcit et elle sort quelque chose de sa poche. Lorsqu’elle me montre un enregistreur minuscule, je recule de quelques pas en trébuchant. Je n’ai aucun mal à imaginer l’effet que notre échange produirait sur n’importe qui à qui elle le ferait écouter. Et je sais qu’elle n’hésiterait pas une seconde à le faire écouter à quiconque serait prêt à lui donner ce qu’elle voudrait en échange.

– Que veux-tu de moi ?

Elle s’approche et passe les mains sur mon torse. Je ne les repousse pas parce que je ne suis pas certain de me contrôler si je pose la main sur elle. Jamais de ma vie je n’ai autant détesté quelqu’un. Je n’ai jamais voulu faire de mal à une femme, mais elle, j’ai envie de lui faire mal.

– Je ne te le pardonnerai jamais, tu sais, murmure-t-elle. Tu m’as fait croire…

Cette remarque est destinée à l’enregistrement, cela ne fait aucun doute.

– Combien ?

– Dix mille, et je disparais.

– Et si je refuse ?

– Je rendrai mon histoire publique.

– Je leur dirai la vérité.

Elle glisse les doigts sur les boutons de ma chemise, un à un.

– Il est évident que tu mentirais pour protéger ton père du scandale. Tout comme tu m’as payée pour me faire avorter pour protéger ta famille du scandale.

Je saisis son poignet et je serre.

– Dix mille, et tu sors de ma vie.

– Bien sûr. Je ne demande pas plus que ce qu’il me faut pour m’en sortir. Tu ne sais pas à quel point ça a été dur pour moi.

Son regard se porte sur son poignet que je serre.

– Je pense que tu vas me faire des bleus. Qu’est-ce que les gens vont penser ?

Je la lâche et je recule.

– Je te donnerai cet argent.

– Je suis heureuse de voir que nous nous comprenons.

Elle se dirige vers la porte en balançant les hanches.

Je n’oublierai jamais cette soirée où Asia s’est pointée chez moi il y a deux ans. J’avais encore la tête pleine d’images de la visite impromptue de Liz à mon bureau, et je tombais sur Asia, qui m’attendait pour combler mon désir en me disant qu’elle comptait garder le bébé.

J’étais si abasourdi et reconnaissant que j’ai dû faire un effort pour ne pas oublier de respirer. J’ai pris le visage d’Asia entre mes mains pour la regarder sérieusement.

– Tu me le jures ?

Je ne sais pas ce que je comptais y voir, mais je la regardai fixement jusqu’à ce que je sois sûr de pouvoir la croire.

– Je te le jure.

Alors je l’embrassai – non parce que je l’aimais ni que je comptais faire ma vie avec elle. Je l’ai embrassée parce que je comprenais qu’elle m’offrait un présent.

Après son départ, j’ai pris une douche, je me suis habillé et je suis retourné chez Lizzy. Je n’aime pas raconter ma vie privée, mais je tenais à parler à Liz d’Asia et du bébé. Je m’aventurais en terrain inconnu et j’avais besoin du soutien d’une personne amie. Je voulais que cette personne soit Liz, qu’elle fasse partie de ma vie.

Quand je suis arrivé chez elle, quelque chose avait changé dans son attitude. Elle était plus distante. Presque comme si elle était gênée de me regarder. Je lui ai demandé de m’accompagner pour une promenade et je gardais les yeux sur les feuilles brunissantes en cherchant mes mots. Je n’avais jamais demandé à une fille de sortir avec moi de façon régulière, je n’en avais jamais eu envie, alors je ne savais pas du tout comment commencer avec Liz. Je me décidai enfin à rompre le silence.

– Je sais que nous avions dit que ce n’était qu’une aventure sans lendemain…

Elle me sourit d’un air tendu.

– Pas de liens, pas d’attaches, pas d’attentes. Tu n’es pas venu me dire que tu as changé d’avis à mon sujet, si ?

Une petite voix au fond de moi me dit que c’était ça la raison pour laquelle je n’avais jamais demandé à une femme autre chose que du sexe. Elle ne veut pas de toi, me prévenait-elle.

– Je…

Et quand je lui aurais dit qu’une autre femme attendait mon enfant ? Est-ce que je pouvais vraiment croire que cela allait plaider en ma faveur ?

– Une amie m’a annoncé quelque chose ce matin et je me demandais si je pouvais t’inviter à prendre un verre. Pour t’en parler.

– Je n’ai pas tellement le temps, là.

Elle détourna le regard.

– On a dit pas d’attentes, Sam, et ça marche dans les deux sens, ok ? Je préfère qu’il n’y ait pas de malentendu entre nous.

Elle avait accepté ce que je lui avais offert, et elle ne voulait rien de plus. Je déglutis avec difficulté, je n’avais pas envie de dire seulement adieu.

– Tu n’es pas comme les autres, Canaille. Parfois j’ai l’impression que tu n’en es pas vraiment consciente.

– Je suis juste une fille qui avait besoin d’une bonne baise. Et je t’en remercie.

Elle parlait d’une voix à la fois monocorde et coupante qui pénétra dans ma poitrine comme une lame rouillée et ébréchée.

– Je ne sais même pas quoi penser de toi.

– Est-ce bien important ?

Elle dansait d’un pied sur l’autre, l’air gêné.

– Pourrais-tu me faire une faveur ? Ne parle à personne de notre petite… indiscrétion ? J’aimerais que cela reste notre secret ? Je ne veux pas que les gens se méprennent sur mon compte.

J’aimerais pouvoir dire que c’était la première fois qu’à cause d’une femme je n’étais pas très fier de moi, comme si nous partagions un secret glauque qu’elle préférait ne pas divulguer aux autres. J’aimerais pouvoir dire qu’elle était la première à me faire ressentir qu’elle ne présentait pour moi aucun autre intérêt que le cul. Peut-être que si je n’avais pas été si habitué à ce genre de relations avec les femmes, je me serais battu avec plus de conviction pour la garder. Elle serait peut-être devenue ma petite amie et ce qui s’est passé l’été dernier ne serait jamais arrivé.

– À qui est-ce que j’en parlerais ?

Alors, je suis allé au gymnase et j’ai fait une longue séance de muscu, à laquelle je n’ai mis un terme que lorsque mes poumons et mes muscles épuisés ont protesté avec véhémence. Je n’ai jamais parlé à personne de ma nuit avec Liz, ni d’Asia, ni à âme qui vive que j’allais être père et que j’étais tout à la fois excité, enthousiaste et terrifié à cette idée.

Je n’ai pas eu à le dire parce qu’Asia a utilisé mon argent pour s’acheter des meubles et se constituer une petite réserve sympa sur son compte d’épargne et n’est revenue me donner de ses nouvelles que pour m’annoncer qu’elle s’était fait avorter et qu’elle ne voulait plus jamais entendre parler de moi.

3

Liz

Quand je rentre chez moi, la maison est étrangement silencieuse. Le plus souvent, je regrette l’époque où Hanna et moi vivions ensemble ici. Elle est à la fois ma sœur jumelle et ma meilleure amie. Enfants, nous dormions dans la même chambre, et cela a continué à la cité universitaire puis dans cette maison, lorsque nous étions à la fac. Elle me manque, mais ce soir je suis contente d’être seule parce qu’un inconnu anonyme veut bavarder avec moi quand j’irai me coucher.

Je prends une douche, me lave les cheveux pour faire disparaître l’odeur du bar et d’Harry qui imprègne ma peau. Au lieu du pantalon de jogging et du sweat-shirt que je porte habituellement en hiver, j’enfile une fine combinaison de soie noire qui glisse sur ma peau et dans laquelle je me sens gravement sexy. Il ne me verra pas, mais ce n’est pas pour autant que je n’ai pas envie de me sentir bien – être sexy, c’est un état d’esprit, après tout.

J’attrape mon ordi et je me couche. Même si nous avons tous les deux l’appli sur nos smartphones, la majeure partie de nos échanges se fait sur le clavier ; c’est beaucoup plus facile de taper nos bribes de texte de cette façon.

Je m’enfonce dans mes oreillers et j’allume mon ordi. Ma page de discussion s’ouvre immédiatement et je ne peux me retenir de sourire quand je vois le voyant vert allumé près de son nom.

 

Tink24 : Ça fait longtemps que tu m’attends ?

Riverrat69 : Cela en valait la peine. Comment te sens-tu ?

Tink24 : Mieux depuis que je me suis douchée pour faire disparaître toute trace de mon rencard de ce soir.

Riverrat69 : Ce n’est pas bon signe. Est-ce qu’il faut que j’aille trouver ce gars pour lui flanquer une raclée ?

Tink24 : Ah ! C’est gentil de ta part, mais ce n’est pas la peine. C’est juste que je me sens… frustrée.

Riverrat69 : Sentimentalement ou sexuellement ?

Tink24 : Les deux, pour être honnête.

Riverrat69 : J’ai du mal à croire qu’une fille comme toi n’ait pas une foule de mecs qui se bousculent devant sa porte.

Tink24 : Une fille comme moi ? C’est-à-dire ?

Riverrat69 : Drôle. Intelligente. Vachement sexy.

Tink24 : Tu ne m’as jamais vue. Comment peux-tu savoir si je suis sexy ?

Riverrat69 : Une simple hanche en dit long sur une fille… et aussi le genre de culotte qu’elle porte.

Tink24 : En fait, mon apparence n’a jamais été un problème pour moi. Je ne dis pas que je suis canon, mais je ne manque pas de mecs prêts à coucher avec moi si j’en ai envie.

Riverrat69 : Mais tu veux… quelque chose en plus.

Tink24 : C’est ça. Je n’ai pas honte de le dire. Pourquoi est-ce que ce n’est pas le cas pour toi ?

Riverrat69 : Ça l’a été, à une époque. Les choses n’ont pas tourné comme je l’espérais.

Tink24 : Que veux-tu dire ?

 

Je serre les paupières, totalement consciente de la prise de tête à laquelle je m’expose en ayant cette conversation avec Peut-être Sam, à essayer d’interpréter tout ce qu’il dit.

Je pousse un long soupir et quand je rouvre les yeux je vois que le curseur continue à clignoter – il ne répond pas. Je devrais laisser tomber les questions trop personnelles.

 

Tink24 : Tu n’es pas obligé de répondre à ça.

Riverrat69 : Non, ça ne fait rien. C’est juste que je ne sais pas trop comment répondre. Ne te brade pas, d’accord ? Je sais que tu recherches une relation sérieuse et que cela peut être frustrant, mais ne te contente pas de quelqu’un pour qui ton cœur ne s’emballe pas.

 

Mon cœur s’emballe pour Sam. Mon cœur s’emballe pour toi.

Je le tape sur le clavier, mais aussitôt après je garde le doigt appuyé sur la touche « effacer » jusqu’à ce que les mots disparaissent.

 

Riverrat69 : Parle-moi de l’homme de tes rêves. À quoi ressemble-t-il ?

 

Je garde les yeux rivés sur mon ordi un long moment, le cœur battant à tout rompre. À une époque, j’ai imaginé que Sam était l’homme de mes rêves. Je l’avais désiré pendant si longtemps, et quand finalement nous avons conclu, c’était… parfait. Sexy et passionné, mais intense, aussi, dans un registre que je pourrais presque qualifier de sentimental. Je ne peux en vouloir qu’à moi-même si j’ai nourri des espérances à la suite de cette nuit-là. Sam m’avait prévenue qu’il n’était pas intéressé par une relation durable.

« Je ne fais pas dans les liens sentimentaux. »

Et moi, sotte et naïve, j’ai pensé qu’il voulait que je le sauve, que je sois celle qui changerait cela chez lui.

Je suis allée chez lui et je l’ai trouvé avec elle. Une femme que je n’avais jamais vue. Ce n’était pas juste de souffrir en voyant ça. Il ne m’avait fait aucune promesse. Mais la façon dont il la tenait dans ses bras. La façon dont il la regardait.

Il ne voulait pas de moi pour se réparer, mais il la regardait comme si elle y était parvenue. Et mon cœur se brisa en voyant cela.

 

Riverrat69 : Laisse tomber. C’est idiot.

 

En secouant la tête, je repose les doigts sur mon clavier. J’ai envie de taper : Es-tu Sam Bradshaw ? Mais je ne le fais pas. Je ne suis pas prête à affronter une certitude. De plus, je ne suis pas prête à lui dévoiler qui je suis.

 

Tink24 : Ce n’est pas idiot, mais ce n’est pas facile de répondre à cette question.

Riverrat69 : Essaie quand même.

Tink24 : Le fiancé de ma sœur lui a offert un chien. Pas un chiot – ils ont deux nouveau-nés, alors un chiot serait plutôt cruel. Il lui a acheté un chien. Elle s’appelle Nana, comme le chien dans Peter Pan. Elle est très douce et habituée aux enfants, mais son maître précédent s’est rendu compte que leur enfant était allergique, alors ils ont dû lui trouver un nouveau foyer.

Le fiancé de ma sœur est un mec bien, et je l’ai toujours apprécié, mais quand il a ramené ce chien à la maison, j’ai pensé que je l’aimais. Quelle femme n’aimerait pas un homme qui lui achète un chien ?

Riverrat69 : Donc tu recherches un homme qui t’achètera un chien ?

Tink24 : Je voudrais un homme qui sache quand j’aurai besoin d’un chien.

 

Je plisse le front. Ces conversations obscures, personnelles mais vagues, sont devenues la norme entre nous. Ce qui est triste, c’est que même sans les détails personnels et alors que je m’efforce de préserver mon identité, je me sens plus proche de cet homme que de tous les rencards avec qui je suis sortie au cours des huit derniers mois. Cela me fait peur. Je commence à me demander si je ne suis pas destinée à demeurer célibataire pour le restant de mes jours.

 

Riverrat69 : Je te souhaite de le trouver, sincèrement.

Tink24 : Assez parlé de moi. Comment s’est passée ta journée ?

Riverrat69 : Cette photo m’a tué ce matin. As-tu la moindre idée de ce que ça fait de mener à terme une réunion de travail quand une belle femme t’envoie une photo de son cul ?

Tink24 : Désolée, mais pas désolée !

Riverrat69 : Il ne te manque rien. De l’esprit, un corps de rêve, de l’humour. Tu me fais…

Tink24 : Quoi ?

Riverrat69 : Tu me fais espérer qu’il pourrait y avoir autre chose. Tu me donnes envie d’aller plus loin.

Tink24 : Tu as toujours été très clair dans ce domaine.

 

Après une seconde d’hésitation, je tape.

 

Tink24 : Et si nous nous rencontrions ? Je veux dire, en dehors de Something Real.

 

Je retiens mon souffle en attendant sa réaction. Soit le manque d’oxygène rend le temps plus long, soit il prend plus de temps que d’habitude pour répondre.

 

Riverrat69 : New Hope est une petite ville. Il n’est pas exclu que cela arrive.

 

Je commence à taper Tu habites à New Hope maintenant ?, mais je l’efface aussitôt. Cette question briserait l’accord tacite que nous avons de rester dans l’anonymat. Et, en toute franchise, quelque part, cet anonymat me plaît. Un peu comme si le fait de savoir son nom le rendrait trop réel et une fois qu’il serait réel, je devrais le laisser tomber pour faire de la place pour la vraie relation que je me suis promis de trouver.

Je me retourne sur le ventre et, en installant mon ordi devant moi, je repositionne l’écran de façon à ce que la caméra soit orientée directement sur mon décolleté bien mis en évidence. Je joins la photo à un nouveau message et j’envoie le tout, une façon de me rappeler exactement ce qu’est cette relation et ce qu’elle n’est pas.

Riverrat69 : Bon sang ! Tu me tues.

Tink24 : J’aime penser à toi en train de me regarder. Même si ce n’est qu’un petit bout à la fois.

Riverrat69 : Ce matin, lorsque tu m’as envoyé cette photo, je ne pensais qu’à une chose, t’enlever cette culotte. Je bandais tellement que j’avais du mal à me concentrer sur ma réunion.

Tink24 : Dis-moi à quoi tu pensais.

Riverrat69 : Je pensais à quel point j’ai envie de t’attacher au lit pendant que tu me regardes te déshabiller. J’ai envie de goûter chaque centimètre de ton corps – en commençant par le cou et en allant de plus en plus bas. J’embrasserais tes seins et ton ventre, et quand j’arriverais enfin à tes jambes, je les écarterais pour pouvoir te regarder avant d’enfouir mon visage entre tes cuisses.

 

Pendant un instant, un truc me chiffonne – la froideur des mots qui s’inscrivent en noir sur le blanc de l’écran –, mais je ferme les yeux et j’imagine que c’est Sam qui me chuchote à l’oreille, et je suis obligée de serrer les jambes pour apaiser la tension que je ressens là. Mais ce mouvement ne fait qu’empirer les choses. C’est une vraie torture. Il faut soit que j’arrête tout soit que j’aille plus loin – que je le rencontre, que je sache son nom, que je le confronte à toutes les suggestions qu’il a faites depuis quelques semaines.

 

Riverrat69 : Bonne nuit, ma beauté sexy. On se reparle demain.

 

Je regarde sur l’écran le petit voyant vert à côté de son nom devenir gris et je garde les yeux fixés bêtement devant moi encore quelques minutes. Je ferme mon ordi, j’enfonce mon visage dans mon oreiller et je crie.

*
*     *

Il suffit d’entrer dans cette pâtisserie pour risquer de prendre au moins deux kilos, mais je serais prête à prendre du ventre et un double menton plutôt que de renoncer à ma visite rituelle tôt le matin jusqu’à la fin de mes jours.

La sonnette retentit quand je pousse la porte en verre de la pâtisserie de ma sœur jumelle, Café, Gâteaux et Confiseries. Notre sœur aînée, Krystal, est à l’œuvre derrière le comptoir ce matin, en train de ranger les filtres à café ou je ne sais quoi. À Noël dernier, elle est venue remplacer Hanna à la direction de la boutique pendant son congé de maternité. Quand Hanna a repris le travail après la naissance des jumelles, elle a gardé Krystal de façon à pouvoir se concentrer sur la confection des gâteaux et avoir plus de temps libre. Et franchement, Krystal s’en tire très bien – mieux que moi, même si Hanna ne s’est jamais plainte.

– Bonjour, Liz, dit Krystal. Un café ?

– S’il te plaît. Et tu peux ajouter genre une demi-tasse de cette sauce au caramel dedans ?

Krystal, préoccupée comme toujours par notre santé, lève un sourcil, mais fait ce que je lui demande. Je prends un croissant au chocolat. La vie est trop courte pour ne pas manger les croissants au chocolat d’Hanna. Sérieux.

– On m’a dit que tu avais eu un nouveau rencard hier soir, dit Krystal en me tendant mon café.

– Qui t’a dit ça ?

Je prends une bouchée de ma viennoiserie au chocolat. Bon sang, c’est bon cette cochonnerie.

– C’est dans le New Hope Tattler.

Je me rembrunis.

– Qu’est-ce qu’ils en ont à faire de ma vie amoureuse ? Sérieusement, il ne se passe rien de plus intéressant dans cette ville ?

Elle hausse les épaules.

– Il y a aussi un article entier consacré au mariage d’Hanna. C’est New Hope. Qu’est-ce que tu veux y faire ?

– Est-ce que la future mariée est au fond ?

– Jusqu’aux coudes dans le fondant.

– Et je ne voudrais pour rien au monde être ailleurs, crie Hanna depuis la cuisine.

En souriant, je prends mon café et mon croissant et je me dirige vers l’endroit d’où nous parvient sa voix.

– Il n’existe pas une règle interdisant aux futures mariées de confectionner leur propre gâteau de mariage ? je demande en la voyant étaler une mince couche de glaçage fondant.

Avant, je détestais cette cochonnerie mais c’était avant que j’essaie celui d’Hanna.

– Si c’est le cas, c’est une règle idiote.

Elle est radieuse aujourd’hui. En y repensant, elle est radieuse tous les jours depuis que Nate est venue s’installer en ville, et cela s’est encore amplifié après la naissance de ses jumelles.

Mon cœur est tiraillé entre l’envie et le bonheur comme chaque fois que je me trouve près d’elle. Personne au monde ne mérite plus que ma sœur jumelle d’être heureuse et je pourrais embrasser les pieds de Nate pour être l’artisan de son bonheur. Mais j’aimerais tant avoir un peu de ce qu’elle a. Tellement que cela fait presque mal.

– C’était bien ton rencard d’hier soir ?

– Tu n’as pas lu ce qu’ils en disent dans le Tattler ?

Elle lève les yeux au ciel.

– Si. Juste avant de lire qu’on dit que Taylor Swift sera une de mes demoiselles d’honneur.

Je ricane.

– Un point pour toi. Donc, le Tattler n’est sans doute pas un modèle d’exactitude, mais tous les détails horribles qu’il donne à propos de mon rencard avec Harry sont probablement vrais, malheureusement.

– Ils disent que c’était un marchand de tapis de cinquante-deux ans venant de Terre Haute, dit-elle en levant un sourcil.

Je fronce le nez.

– À l’en croire, il avait trente-quatre ans, mais il se peut qu’il ait triché d’une ou deux décennies.

– C’était si nul que ça ?

Je hausse les épaules.

– Ce n’est pas tellement un problème d’âge. Je ne serais pas contre un mec plus vieux du genre George Clooney. Mais là, je n’ai pas ressenti la moindre étincelle.

– Tu cherchais une étincelle ?

– Il m’a coincée au moment où je sortais des toilettes. Il a enfoncé sa langue dans ma bouche.

Je secoue la tête.

– Et c’est là que Sam est apparu comme par enchantement.

– Tu étais où, déjà ?

– Chez Brady.

– Il faudrait peut-être que tu arrêtes de donner tes rendez-vous chez Brady si tu ne veux pas tomber sur Sam.

Mais peut-être que, justement, je veux tomber sur Sam. Peut-être que Sam me manque. Je secoue la tête et je reprends une bouchée de mon croissant. Hanna est au courant de mon Super Fiasco de l’Été et de ses conséquences sur ma relation avec Sam. À supposer qu’une telle relation ait existé. Je regrette qu’il ne soit pas plus raisonnable à ce sujet, mais quand il s’agit de Della, Sam n’est pas l’analyste réfléchi qu’il est quotidiennement à la banque. Quand il s’agit de Della, Sam joue à cent pour cent le grand frère protecteur.

Je fais passer ma pâtisserie avec mon café super-sucré et je finis par me sentir un peu mieux.

– Et la recherche d’emploi, qu’est-ce que ça donne ?

Je crois que je vais me faire faire un T-shirt avec la mention « Nan, toujours pas de petit ami, toujours pas de boulot ». Ce serait destiné à tous les autres, bien sûr. Hanna, elle, a le droit de poser la question.

– Rien. C’est triste, non, j’ai vingt-quatre ans et je ne sais toujours pas ce que je veux faire dans la vie.

– Tu peux travailler ici, si tu veux.

– Tu es un chou de me le proposer, mais je suis décidée à m’en sortir toute seule. Je suis une grande fille, maintenant.

– C’est nul que Della ait laissé vos différends personnels prendre le pas sur votre relation de boulot. Tu étais super avec les petits.

– J’aimerais bien voir les choses de façon aussi optimiste. J’étais nulle et je détestais ça.

Je me passe la main sur le visage. La sœur de Sam, Della, et moi avons toutes les deux un diplôme d’enseignement élémentaire, et l’année dernière, comme nous ne trouvions pas de boulot, nous avions décidé d’ouvrir une école maternelle. Tout allait pour le mieux jusqu’à ce qu’elle décrète que je n’étais qu’une pute qu’elle devait éjecter de sa vie.

Pour tout dire, Della me manque plus que l’école maternelle. Alors que j’avais toujours pensé vouloir travailler avec des enfants, je me suis aperçue que je passais mon temps à regarder la pendule en attendant le moment où je pourrais sortir de l’école, dire des blagues cochonnes et jurer comme un charretier – en d’autres termes, être moi-même.

– Tu vas trouver quelque chose, dit Hanna. J’en suis sûre.

– Tout est prêt pour ce week-end ?

Je préfère changer de sujet. Un large sourire éclaire son visage.

– Je pense. Je n’arrive pas à croire qu’on y est enfin.

– Bon, eh bien, n’hésite pas si tu as besoin de moi. J’ai beaucoup de temps libre.

Je lui pose un baiser sur une joue rose de bonheur et je retourne vers la sortie de la pâtisserie où je tombe sur monsieur Bradshaw, le père de Sam, debout au comptoir, une tasse de café à la main.

– Monsieur Bradshaw. Comment allez-vous ?

– Quelle journée magnifique ! Je pense qu’on peut sentir la première neige dans l’air. Je n’ai pas beaucoup vu ta mère du côté de mon QG de campagne, Elizabeth. Où se cache-t-elle ?

Il tend plusieurs billets à Krystal qui rougit sous son regard.

– Garde la monnaie.

– Elle est pas mal prise avec mes nièces. Entre les jumelles et la gestion de son affaire, Hanna a besoin de toute l’aide qu’elle peut trouver. Mais je sais que maman vous soutient et que vous pouvez compter sur son vote.

Il me sourit en plissant les yeux. Il me fait penser à Sam. Vieillira-t-il comme ça ? Avec la même distinction dans ces cheveux poivre et sel et cette voix grave qui devient plus rauque avec l’âge ? Soudain, je m’imagine m’éveillant aux côtés de Sam quand nous aurons la cinquantaine, et mon cœur se serre.

Arrête d’en faire quelque chose qu’il n’est pas. Je sais bien que je ne devrais pas, mais j’ai imaginé pas mal de choses de cet ordre récemment. Je me suis surprise à nous imaginer ensemble, ce qui est absurde puisqu’il me déteste. C’est juste que toute cette histoire avec River me fait penser que Sam pourrait…

Non. Je ne peux que me faire du mal en continuant comme ça.

– Della m’a dit que tu avais démissionné de ton poste au jardin d’enfants. J’espère que ce n’était pas à cause d’elle.

Je me tends un peu, mais j’espère qu’il ne s’en aperçoit pas.

– Oh, bien sûr que non. En fait, ce n’était pas du tout mon truc. J’aurais bien aimé, mais la vérité est que je ne sais toujours pas ce que je veux faire. Je n’ai pas encore trouvé ma voie, je suppose.

– Sam m’a dit que tu l’avais aidé à rédiger les demandes de subventions pour l’école maternelle et les équipements du nouveau terrain de jeux.

Sam lui a dit ça ?

– Oui, c’est vrai.

– Eh bien, je faisais partie de la commission qui a sélectionné les bénéficiaires, et ta demande était de loin la meilleure que nous ayons reçue.

Il me scrute un moment, puis change de position.

– Tu sais, au printemps, quand tu as fait du bénévolat au bureau, j’ai toujours admiré la perspective que tu apportais en faisant passer mon message au public. J’ai été désolé de ne plus te voir.

– Oh, je n’avais plus le temps.

Je me suis fait plus rare après le Super Fiasco de l’Été, mais puisque nous nous étions mis d’accord pour ne pas l’ébruiter, monsieur Bradshaw ne sait pas pourquoi j’ai arrêté mon bénévolat.

– Tu sais, on a besoin de tout un village pour mener une campagne de candidat au poste de gouverneur. J’ai une idée. Présente-toi au QG si cela t’intéresse. On te mettra au travail et on verra si tu conviens.

Cela m’étonne qu’il pense que je puisse apporter une contribution significative à sa campagne. Tout le monde me trouve écervelée mais cet homme politique respecté pense que je suis assez bonne pour faire partie de son équipe.

– J’adorerais.

C’est dingue. En un clin d’œil ma journée passe de bof à incroyable.

– Super, dit-il avec ce sourire charmeur des hommes politiques. Tu travailleras avec mon gendre. Tu connais Connor, je crois ?

4

Sam

J’ai beau avoir vingt-sept ans, je suis toujours intimidé par mon vieux. En me retrouvant face à lui pour la première fois depuis qu’Asia a passé ma porte pour me menacer de détruire sa campagne, j’ai l’impression d’être toujours le petit garçon qui a envoyé son ballon dans les carreaux. Et même pire. Parce que je n’ai pas dix briques et que si je veux me débarrasser d’Asia, je vais devoir demander l’argent à mon père.

J’aimerais encore mieux faire la queue pour prendre une trempe que d’avoir à affronter cette conversation.

– Tu voulais me parler ? me demande mon père quand j’entre dans son bureau.

Je referme la porte derrière moi. Il nous sert à chacun deux doigts de cognac et me tend un verre avant de s’asseoir.

– Merci.

Il n’imagine pas à quel point j’en ai besoin. Je m’assieds en face de lui et j’avale la moitié de mon verre pendant qu’il tripote son téléphone.

– J’ai un problème.

Jusqu’ici il était distrait, mais là j’ai toute son attention. Mon père est comme ça. Il peut avoir une foule d’obligations à assurer tout le temps, si jamais un de ses enfants a un problème, il est immédiatement disponible. Normalement, je lui en suis reconnaissant, mais en ce moment précis, je préférerais être invisible pendant que je lui avoue ce que j’ai fait.

– Qu’est-ce qui se passe ?

Je roule les épaules en arrière, me préparant à la bataille. Autant y aller franco.

– Il y a environ deux ans, j’ai mis une fille enceinte.

Mon père s’immobilise et son visage devient grave.

– Est-ce que je ne t’ai pas dit et répété de toujours, toujours mettre une capote ?

– Si, père.

J’ai beau avoir plus envie de regarder mes pieds ou mon verre ou n’importe quoi plutôt que de voir la déception dans ses yeux, je soutiens son regard. Il m’a effectivement toujours inculqué l’importance de mettre un préservatif. Et il m’a appris à regarder un homme dans les yeux en lui parlant. Et c’est ce que je fais.

– J’avais trop bu et soit il a craqué soit j’ai oublié. Franchement, je n’en sais rien. Je… ne m’en souviens pas.

– Et maintenant, je suppose qu’elle est revenue te demander de l’argent pour l’enfant, c’est ça ? Bon sang. Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé plus tôt ? Nous aurions pu faire le nécessaire.

Je ne sais pas ce qu’il entend par là – je ne suis pas sûr de vouloir le savoir.

– Il n’y a pas d’enfant. Elle s’est fait avorter.

Il ferme les yeux et pousse un soupir en marmonnant quelque chose qui ressemble à Dieu merci. Ce n’est pas exactement un truc que les électeurs potentiels apprécieraient. En même temps, je ne suis pas un électeur potentiel. Je suis son fils.

Je me force à respirer. J’inspire en serrant les poings, j’expire en les relâchant. C’est la seule chose qui m’empêche de bondir de ma chaise en hurlant, mais mon père n’est pas l’ennemi. Je sais qu’il pense d’abord à moi.

– Je ne voulais pas qu’elle avorte, dis-je quand je parviens finalement à contrôler ma colère. Je l’ai suppliée de le garder. Je lui ai dit que je m’occuperais d’elle. Et pendant un moment, j’ai cru qu’elle allait le faire. C’est ce qu’elle m’avait dit. Mais finalement, elle s’est fait avorter et maintenant elle menace d’aller raconter aux journaux que je l’ai obligée à le faire, que je l’ai menacée et brutalisée. Rien de tout cela n’est vrai, mais elle est au courant de ta campagne et elle veut de l’argent.

– Qui est cette femme ? Quelqu’un d’ici ?

À ce point, il devient plus difficile de ne pas baisser les yeux.

– Une strip-teaseuse de chez Indy.

Le visage de mon père se ferme et la déception se lit sur ses traits.

– Tu as baisé avec une strip-teaseuse et tu l’as mise enceinte ?

Ma gorge se serre. Rien n’est pire que de décevoir mon père.

– Combien veut-elle ?

– Dix mille dollars.

Il pose les coudes sur son bureau et pose sa tête dans ses mains. Je finis mon cognac et me lève pour aller me resservir. Je fais tourner le liquide ambré dans mon verre.

– Je suis désolé, Papa. Je n’ai jamais pensé que mon erreur pouvait se retourner contre toi de cette façon, mais j’aurais dû le savoir.

– On va s’en occuper. Je vais mettre mes gars sur le coup. D’abord, il faut qu’on rassemble les faits – était-elle réellement enceinte, un avortement a-t-il réellement été pratiqué ? Elle ne doit pas pouvoir prouver grand-chose, et avec ce genre de femme, il y a de fortes chances qu’il n’ait même pas été de toi, cet enfant, mais elle sait que cela ferait mauvaise impression, même si on ne peut rien prouver.

Je hoche la tête.

– Entre-temps, ne lui parle pas. Ne prends pas ses appels et arrange-toi pour ne pas te trouver seul avec elle. Donne ses coordonnées à Connor et nous tâcherons de border la situation du mieux possible.

Il avale le reste de son cognac et me regarde attentivement.

– Y a-t-il autre chose que je devrais savoir ? Un autre squelette dans tes placards que je devrais m’attendre à voir me tomber dessus ?

– Non, Père.

– On se voit à la maison ce soir. Ta mère veut que tous ses enfants soient là pour dîner.

J’acquiesce d’un signe de tête et je sors de son bureau, prêt à mettre cette journée de merde derrière moi.

*
*     *

Liz

– Les mariages, ça m’excite.

Ma sœur cadette, Maggie, s’étouffe avec sa bière et mon amie Cally glousse dans son martini. Un groupe de femmes d’âge mûr à la table derrière nous lancent des regards réprobateurs dans ma direction. Qu’elles aillent se faire voir ! Les mariages les excitent probablement elles aussi, mais après toutes ces années à porter des culottes de grand-mère et à prendre des laxatifs, elles n’osent pas l’admettre.

Nous sommes au Wire, où ma mère a proposé à tous les invités qui viennent de loin de venir boire un cocktail. Demain, nous allons tous nous rendre en cortège à Brown County pour le week-end du mariage.

Ce n’est pas seulement la perspective de l’échange des vœux de ma sœur qui me fait de l’effet. Cela pourrait être le cas – il y a quelque chose, dans l’idée d’un homme promettant l’amour éternel à une femme, qui me donne des envies de moments sexy et intellos avec le premier mâle venu. Mais ce soir, la tendance générale de ma pulsion sexuelle est moins déterminée par des vœux de mariage que par les promesses qui m’ont été faites par un parfait inconnu. Ma conversation d’hier soir avec River a été interrompue trop tôt à mon goût, et m’a laissée tendue, remontée comme un ressort et en manque. À sa grande déception, mon corps a dû se contenter de ma main pour faire le travail alors que mon cerveau avait échafaudé toutes sortes de fantasmes lui promettant… Sam.

– Quoi ?

Mes amies et mes sœurs continuent de me regarder avec des yeux ronds.

– Ça fait un bail. Et je m’estime heureuse de pouvoir encore être excitée. Si ça continue comme ça, mon minou est en passe de devenir tout sec.

Nix hausse un sourcil incrédule.

– Un bail ? Tu es sûre ? Combien de temps ?

Je me mords la lèvre et je l’observe. Elle ne me croit pas quand je dis que je traverse vraiment une période d’abstinence.

– Plusieurs mois.

Elle hausse un sourcil

– Tu as fait l’amour il a plusieurs mois et tu espères que je vais éprouver de la compassion pour toi ?

– Tu peux compter sur ma compassion, dit Maggie.

Cally intervient.

– Sur la mienne aussi.

Je fronce les sourcils. Je n’ai pas envie de parler de ça. Pas vraiment. Pas quand Cally, Maggie et ma propre sœur jumelle sont accrochées à leurs hommes comme des champions de rodéo à leurs taureaux.

– Huit mois.

C’est le temps qui s’est écoulé depuis mon Super Fiasco de l’Été.

– Si on parle de vrai sexe, avec quéquette dans
le minou
, alors, ça fait plus longtemps.

Nix tape du pied. Aucune compassion.

– Combien ?

– Quatorze mois, dis-je dans un souffle.

Maggie et Cally me regardent bouche bée.

– Lizzy ! crie Nix d’une voix suraiguë. Tu es en train de nous dire que tu n’as pas fait l’amour depuis ton plan cul avec Sam, au mariage de Will et Cally ?

– Baisse d’un ton, dis-je en grinçant des dents.

Mais le Club de la Réprobation à la table voisine me lance à nouveau des regards assassins.

– Tu es une vraie pro du calcul, dis donc.

– Purée ! Même moi, j’ai fait l’amour depuis moins longtemps que ça. Tu es sûre de ne rien avoir oublié ?

– Il y a si longtemps que je n’ai pas fait l’amour que je me demande si mon hymen ne s’est pas reformé, Nix. Tu peux me croire. Je m’en souviendrais, quand même.

Maggie pousse un grognement.

– Je pense d’ailleurs que cette abstinence lui monte à la tête, dit-elle à Nix. Hier, je l’ai vue regarder les saucisses dans mon frigo d’un air bizarre.

– Il y en avait une qui était particulièrement sympa, et en plus j’avais… faim. Ok, je ne trompe personne. Le sexe. Je suis en manque !

– Ce n’est pas le choix qui manque, dit Nix en désignant le nombre de mecs qui traînent autour du bar. Il y a là un paquet de célibataires tout à fait convenables qui adoreraient te raccompagner chez toi.

– Oui, j’en suis sûre.

Je parcours la sélection du regard. Mais je ne suis pas vraiment tentée. Je n’ai pas envie de faire l’amour avec n’importe qui. Je n’ai pas besoin d’être fiancée ou amoureuse ou quoi que ce soit, mais il faut que cela en vaille la peine. C’est comme manger une part de pizza épaisse. Je ne suis pas contre la nourriture hautes calories – faites passer le plat –, mais il n’y a rien de pire que de manger une part de pizza de mille calories qui vous laisse l’impression que vous auriez aussi bien pu prendre un jus de légumes. C’est pareil pour le sexe. Je ne veux pas juste la pénétration. Je veux du sexe qui secoue le lit, qui vous fait perdre la tête à tous les coups. Du sexe qui vous donne envie de remettre le couvert.

Non, je ne veux pas simplement du sexe. Je veux du sexe grandiose, du sexe qui réveille les voisins et fait hurler les chiens à la mort. Toute idée d’attendre de rencontrer le grand amour disparaît à ce point. Je veux vivre un truc dangereux, un truc ébouriffant.

Tombant à pic, mon téléphone se met à vibrer. Je le dissimule sous la table pour que les filles ne le voient pas avant de lire le message.

 

Riverrat69 : Impossible d’arrêter de penser à toi, Bon Dieu !

 

– Tu es vraiment sexy, ce soir, dit Hanna.

Je souris. En partie à cause du message que je viens de recevoir et aussi parce qu’Hanna a raison. Ce soir, j’ai décidé de porter du rouge – la couleur qui met le plus en valeur ma peau claire et mes boucles blondes. J’ai relevé mes cheveux et mis mes talons les plus hauts. Ce qui n’est pas une surprise pour quiconque me connaît – je n’aime pas sortir avant d’être « prête pour la photo » comme dirait ma mère. Pour savoir ce qu’une femme a en tête, il suffit de regarder au-delà de ses vêtements pour voir ce qu’elle porte en dessous.

Et quiconque verrait ce que je porte sous cette robe – et à quel point c’est succinct – saurait que Lizzy Thompson a un secret. Et quel secret !

En réprimant mon sourire pour ne pas éveiller leurs soupçons, je ferme l’appli de discussion que l’objet de tous mes fantasmes utilise pour me parler.

– Regarde-toi, ricane Maggie. Je le vois dans tes yeux. Tu as déjà un truc en vue. Miss Abstinence ne va pas tenir encore longtemps.

– Ce serait trop beau, je réponds.

Mais je lui fais un clin d’œil en prenant une longue gorgée de mon verre pendant que je compose mentalement ma réponse au message.

– Et où en est ta recherche de l’homme parfait ? demande Cally.

– Je peux comprendre qu’on tente les rencontres en ligne, mais je n’arrive pas à croire que tu essaies ce nouveau site, dit Maggie. Qu’est-ce qui se passe si ça marche avec quelqu’un et qu’il n’y a aucune attraction physique entre vous quand vous vous rencontrez ? Cela ne risque pas d’être gênant ? « Désolée Georges, tu as une super personnalité, et je pensais que tu me plaisais, mais j’aime les abdos façon tablettes de chocolat et les tiens ressemblent plus à un tonneau de bière. »

Je pousse un petit grognement en secouant la tête. Depuis le moment où je me suis inscrite sur Something Real, les filles se disent que je suis folle. Nix est la seule du groupe qui sait ce que c’est qu’être célibataire. Les autres planent tellement sur leur petit nuage de l’amour-toujours qu’elles ont oublié ce que signifiait se sentir seule.

– Je pense qu’on peut trouver l’amour n’importe où, dit Hanna. Alors, pourquoi pas sur Internet ?

– Je me suis dit que je ne risquais rien à essayer. Les moyens plus traditionnels ne marchaient pas pour moi.

Maggie se rembrunit.

– Sois prudente, quand même. C’est plein de tarés sur ces sites.

– C’est vrai, dit Cally. Ça ne me plaît pas, ce côté anonyme. T’imagines, tu découvres que tu communiques avec Kenny Rawlins ?

Elle frissonne.

– Il n’est pas marié ? demande Nix.

Maggy pousse un grognement.

– Cela ne l’a jamais empêché…

Elle s’interrompt quand Asher traverse le bar, les yeux rivés sur les siens. Son mari est super-classe ce soir avec son pantalon de costume noir et sa chemise boutonnée.

– On rentre ? demande-t-il en arrivant à notre table.

Il n’échappe à personne en voyant ses yeux que c’est juste une façon codée de dire « Si on allait baiser comme des bêtes ? ». En fait, il n’est même pas besoin de les regarder. Ces deux-là puent les phéromones à plein nez.

– Je pensais que tu ne me le demanderais jamais, ronronne-t-elle.

Elle abandonne sa bière et lui prend la main. Cally parcourt la pièce du regard à la recherche de son mari. William Bailey est de l’autre côté du bar, en grande conversation avec ma mère, qui ne s’est toujours pas remise du fait qu’il ait épousé Cally plutôt qu’une de ses filles.

– Je pense que je vais y aller aussi. C’est ma sœur qui garde le bébé et je ne veux pas la faire veiller trop tard, elle a cours demain.

– Pareil pour moi, dit Hanna en cherchant Nate des yeux. Je dois rentrer m’occuper de mes filles. Merci à vous d’être venues ce soir, Mesdames.

Tout le monde se dit bonsoir, et Nix et moi regardons les couples heureux prendre congé.

– Salopes, marmonne Nix quand nous sommes seules.

Je souris, parce que je sais qu’elle le dit avec affection.

– C’est vraiment injuste, non ?

– Est-ce que je peux te confier un secret ?

– Bien sûr.

Elle soupire et ses épaules s’affaissent.

– Avant de venir habiter ici et de vous rencontrer toutes, je pensais que je ne voulais pas me marier. Je veux dire, jamais, tu vois ? Selon mon expérience, les hommes ne sont bons qu’à une chose, et si on attend d’eux autre chose que du sexe, on est sûre d’être déçue.

J’essaie de ne pas avoir l’air choquée, mais c’est un jugement plutôt radical et c’est la première fois que je l’entends dire ça.

– Tous les mecs ne sont pas des salauds.

Elle hoche la tête.

– Ouais. Je le sais, maintenant. Il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre que j’avais tort depuis que je connais Asher et Will.

– Ce sont des types bien. Nate et Max aussi.

J’incline la tête.

– Hé, je devrais peut-être te brancher avec Max.

Elle lève les mains.

– Surtout pas. La dernière chose dont j’ai besoin, c’est de tomber amoureuse d’un gars qui en pince toujours pour Hanna.

– Ça se défend.

Elle a raison, mais cela me fait de la peine de voir que Max est seul. Si jamais j’avais eu des doutes quant à sa loyauté, l’année qui vient de s’écouler les a balayés. Il mérite de rencontrer quelqu’un de bien.

Nix attrape son sac à main.

– Je vais y aller, mais on se verra demain au mariage.

Je me lève et la serre dans mes bras avant qu’elle parte, puis je prends mon sac et j’ouvre l’appli de discussion pour écrire une réponse à mon inconnu préféré.

 

Tink24 : Moi aussi, je pense à toi. Tu as vraiment le chic pour mettre des idées dans la tête des filles.

 

C’est l’euphémisme du siècle, mais ça ira. Je glisse mon téléphone dans mon sac, je dis bonsoir et me dirige vers ma voiture. Au moment où j’ouvre la portière, mon téléphone se met à vibrer de nouveau.

 

Riverrat69 : Est-ce que tu penserais que j’ai perdu l’esprit si je te disais que j’ai envie de te rencontrer ?

 

 

 

 

 

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