Prologue

Chère Zoe.

C’est moi, ton toi de dix-huit ans. Si j’ai décidé de t’écrire, c’est parce qu’à la rentrée prochaine tu intégreras une université new-yorkaise et que tu t’apprêtes donc à démarrer une grande aventure. Te lancer dans tes études implique non seulement de t’éloigner de ta famille, mais surtout de quitter Snowflakes Garden, cette ville qui t’a vue naître et grandir.

Je ne sais pas vraiment quel âge tu auras quand tu liras cette lettre, mais j’espère que tu en prendras soin, parce que ce que j’ai à te dire est extrêmement important : tu adores Noël ! Tu aimes cette fête plus que ton anniversaire, plus que les fraises, les cupcakes et le chocolat, et même plus que Jason Momoa. Peu importe que tu sois loin de Snowflakes Garden, peu importe ce qui se passera dans ta vie, il faut que tu t’en souviennes et que jamais tu n’oublies ce sentiment de légèreté et d’euphorie qui t’habite chaque fois que débute le mois de décembre.

Tu vas mûrir, te construire une vie, et j’ai remarqué qu’en vieillissant les adultes ont la fâcheuse tendance d’arrêter d’aimer Noël, comme si cette fête finissait par les blaser. Comme si, passé un certain âge, l’adorer devenait ringard.

Eh bien, il ne faut jamais que cela se produise pour toi. Tu m’entends, Zoe ? Quoi qu’il arrive, tu continueras à croire en la magie de Noël et à apprécier l’ambiance si douce qui n’apparaît qu’à cette période. Promets-moi – enfin, promets-toi – que cette part de nous ne mourra jamais et que tu feras tout pour l’entretenir. Je sais que tu peux y arriver, j’ai confiance en toi.

Pour terminer, amuse-toi bien et profite des années qui se profilent à l’horizon.

 

Zoe, accro à Noël pour toujours.

 

P.-S. : si tu pouvais faire en sorte de trouver un métier qui soit en rapport avec Noël, ce serait bien. Sinon, fais de ton mieux pour réussir tes études et décrocher un job sympa.

P.P.-S. : Rosalie a cette année encore remporté le concours de maisons en pain d’épice. Un jour, ce sera toi la gagnante.

P.P.P.-S. : au cas où l’idée te repasserait par la tête : ne te refais jamais de frange. Ça te donne l’impression de porter un casque en permanence et ça ne te met pas du tout en valeur. Je n’ai pas envie que tu reproduises les erreurs que nous avons déjà commises.

P.P.P.P.-S. : pense à te renseigner sur le nombre de « P.-S. » qu’on peut mettre dans une lettre avant que cela ne soit considéré comme abusif. On ne sait jamais.

Chapitre 1

ZOE

Dix ans plus tard – New York, le 30 novembre

Le dos courbé, le geste sûr et ma concentration poussée à son maximum, je parsème de petits éclats dorés une étoile en résine, en m’assurant que chacune de ses branches soit entièrement recouverte. Je la fais ensuite tourner sur elle-même pour vérifier que les pigments accrochent la lumière et brillent de mille feux, puis je me redresse, étire mes membres engourdis et prends le temps d’admirer le résultat. Sur le sol sont alignés cent cinquante ornements pailletés, prêts à rejoindre les branches d’un sapin pour lui conférer une aura magique.

Parfait !

M’octroyant une pause bien méritée, je me dirige vers le fond de la pièce pour me servir une boisson chaude. Face à l’irrésistible étal de jarres remplies de friandises en tous genres qui s’étend à côté de la bouilloire, je ne résiste pas à l’envie de plonger la main dans un bocal pour attraper un biscuit en forme de bonhomme de neige. Tout en croquant dans le sablé aux délicieux effluves de vanille, je jette un regard circulaire autour de moi et je souris. Installés sur de longues tables en bois recouvertes de toutes sortes de matériels créatifs, sept de mes salariés suivent scrupuleusement les croquis et les schémas que je leur ai concoctés afin de créer des ornements sur mesure.

Ici, nous sommes dans mon atelier, que j’ai installé dans le sous-sol d’un building et que j’ai transformé en sanctuaire de la décoration. Le père Noël lui-même en serait vert de jalousie s’il le voyait ! Chaque mètre carré de l’espace a été exploité pour que l’imagination puisse s’y exprimer sans limite. Deux pans de mur entiers sont dédiés au stockage des fournitures. Dans de grandes caisses en bois, on trouve des boules de toutes les couleurs que mon équipe et moi customisons selon les thèmes choisis par nos clients. Une rangée est consacrée aux globes en cristal, les plus fragiles, mais aussi ceux que je préfère décorer. Nous disposons également de pistolets à peinture, de paillettes de toutes les couleurs possibles, de tissus, d’un large éventail de bougies, de branches de sapin… Peu importe l’objet, s’il évoque Noël, il se trouve forcément dans cet atelier.

Couturières, artistes-peintres ou encore ébénistes composent les rangs d’une équipe que je suis fière de diriger. Tous ensemble, nous sommes « Les Lutins du père Noël ». L’idée de nommer mon entreprise d’événementiel ainsi m’est venue naturellement, et lorsque chaque jour je vois ces hommes et ces femmes se démener pour répandre la magie des fêtes avec moi, je sais que j’ai fait le bon choix de carrière…

En réalité, je n’en voyais aucun autre pour moi.

Après m’être assurée que tout est sous contrôle, je quitte le sous-sol en époussetant les paillettes qui se sont collées sur ma salopette. J’entre dans l’ascenseur puis je me rends au troisième étage, dans lequel sont implantés les bureaux de mon entreprise. J’y retrouve Julia et Simon, deux autres membres de mon équipe.

– Prévenez tout le monde que je serai bientôt prête à partir pour le Plaza, leur dis-je. Ils peuvent commencer à charger les vans, je vais me changer et je vous retrouve en bas dans cinq minutes.

– C’est comme si c’était fait, répond Julia en levant son mug à l’effigie du père Noël dans ma direction.

Je lui souris puis je passe dans mon bureau, dont je ferme la porte à double tour avant de me diriger vers le fauteuil sur lequel sont posés mes vêtements de rechange.

J’adore passer du temps à l’atelier, et généralement, lorsque je me plonge dans la création, les heures filent à une vitesse impressionnante. Mais ce n’est pas le seul aspect de mon métier qui m’enthousiasme. Il y a aussi la mise en place, le moment où tout ce que j’ai imaginé pendant une année prend vie devant mes yeux. Et enfin, nous y sommes !

Une fois changée, je m’attarde un instant, le regard levé vers le mur. Je souris en relisant la lettre que je me suis écrite lorsque j’avais dix-huit ans et qui est désormais encadrée dans mon bureau. À l’époque, poussée par la peur de quitter ma famille ainsi que ma ville natale, j’avais ressenti le besoin de rédiger une sorte de rappel à moi-même. Je n’avais pourtant pas de souci à me faire : dix ans plus tard, mon amour inconditionnel pour Noël coule toujours dans mes veines et je suis très fière de ne pas avoir perdu l’émerveillement qui m’habitait en y pensant. Un sourire nostalgique aux lèvres, j’enfile mon manteau et j’attrape le dossier dans lequel sont rangés les croquis qui concernent le Plaza, l’hôtel dans lequel mon équipe et moi allons effectuer notre mission du jour.

En quittant mon bureau, je ne peux m’empêcher de me répéter une fois de plus à quel point je suis chanceuse d’avoir réussi à transformer ma passion en métier.

– Un peu plus à gauche… Maintenant, un peu à droite. Redresse légèrement. Stop !

Je recule de quelques pas pour admirer mon œuvre dans son ensemble.

Parfait !

Je fais signe à Julia de descendre de l’escabeau sur lequel elle est maintenant perchée depuis de longues minutes, puis j’annonce :

– C’était la dernière couronne, nous en avons terminé avec les portes des chambres. Allons-y, ne perdons pas de temps.

Julia m’emboîte le pas, et nous regagnons rapidement l’escalier majestueux qui mène au hall de l’hôtel. Durant notre trajet, je passe en revue les tâches qui ont déjà été accomplies.

– Décorer le grand escalier, les chambres, la réception, les salles des restaurants… Oh, d’ailleurs, est-ce que des branches de gui ont bien été suspendues à l’entrée de chaque pièce ?

– Simon m’a envoyé un message pour me dire que cela venait d’être fait, me confirme Julia.

– Super, il ne nous reste donc plus que le hall et notre mission sera officiellement terminée.

– Attends une seconde, lance ma décoratrice en regardant son smartphone. « Les Lutins du père Noël », Julia à votre écoute… Oh, très bien, je fais passer le message.

Elle range son téléphone dans sa poche et m’annonce :

– Le sapin a quitté l’entrepôt, il est en route.

– Bonne nouvelle, surtout que les ornements viennent d’arriver. J’y pense, où en est la livraison des poinsettias ?

– Ils ont été déposés à l’accueil il y a une heure. Les employés de l’hôtel se sont chargés de les installer en suivant ton plan.

– Parfait. Le timing est très serré, mais on devrait pouvoir terminer dans les temps.

Julia et moi débouchons dans le hall d’entrée. Plusieurs membres de mon équipe s’y affairent, et des boîtes remplies de décorations passent de bras en bras. Des guirlandes lumineuses et des paillettes jonchent le sol tandis qu’arrive soudain, portée par trois employés du Plaza, une énorme boule scintillante. Mes yeux se mettent immédiatement à pétiller.

– Attention messieurs, c’est très fragile, dis-je en analysant le moindre des mouvements des trois hommes pour prévenir toute catastrophe. Cette pièce a demandé plus de mille cinq cents heures de travail, alors il faut la manipuler avec une extrême délicatesse.

La sphère en métal est recouverte de petits cristaux dans lesquels ont été incrustées des LED qui clignotent doucement. Son motif est la réplique en version XXL des boules qui orneront les branches du sapin. Suspendue pile au-dessus de la cime de l’arbre, elle sera la pièce maîtresse de la décoration du hall de l’hôtel. Le pire qui pourrait nous arriver serait qu’elle soit détruite à cause d’une maladresse : il s’agit d’une création unique, sur mesure. La prudence est donc de mise.

– C’est vraiment magnifique, s’exclame Julia, ébahie, une fois que la boule est enfin suspendue au plafond.

– C’est vrai, je réponds, remplie de joie. Mais ce n’est pas le moment de se relâcher, le sapin arrive bientôt. Simon, combien de cartons reste-t-il à décharger ?

– Encore une vingtaine, déclare-t-il.

– Alors allons-y.

– Madame, s’il vous plaît ? m’interpelle une voix à cet instant.

Je me tourne en direction d’un serveur de l’hôtel, qui tient sur son plateau en argent une flûte remplie d’un liquide rose clair.

– Oh, merci, mais je n’ai rien commandé, je lui renvoie.

– C’est offert par le client au bar, me précise le serveur avec un petit mouvement de la tête.

Je me penche et j’aperçois un homme assis sur l’un des tabourets en cuir, un verre levé dans ma direction. Surprise, je lui sers un petit sourire bien que je sois contrainte de refuser la boisson. Je suis sur mon lieu de travail, en plein milieu d’une mission, et j’ai un planning très serré à tenir. Il est donc hors de question que je prenne du bon temps, même auprès d’un inconnu particulièrement mignon.

Imperturbable, le serveur s’éloigne. Quant à moi, je retourne auprès de mon équipe. Nous finissons de trier les ornements juste à temps avant l’arrivée du sapin. Il est haut de plus de cinq mètres ; pas moins de six personnes le portent jusqu’au centre du hall, sous notre regard impatient. Je donne des directives pour qu’il soit placé pile en dessous de l’énorme boule scintillante. En plus d’être difficile à manier, il est extrêmement lourd et je vois bien que quelques-uns des porteurs roulent des yeux à force de m’entendre leur demander de « déplacer légèrement » le roi de la forêt, parfois d’un ou deux centimètres seulement, mais je ne m’en formalise pas. J’ai conscience que je peux être exigeante… Cependant, je prends Noël bien trop au sérieux pour négliger le moindre détail.

Enfin, lorsque je suis satisfaite, nous passons à l’étape suivante : la décoration. Plusieurs membres de mon équipe grimpent sur des échelles pour s’occuper du haut du sapin, tandis que Julia, Simon et moi nous occupons de la partie basse du conifère. Cette année, j’ai décidé de n’utiliser que deux couleurs pour habiller l’arbre du Plaza. Du blanc, et une large palette de nuances dorées assorties au vert des branches du sapin. Le résultat s’annonce superbe.

La force de l’habitude aidant, mes employés et moi sommes redoutablement efficaces. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, des kilomètres de guirlandes lumineuses entourent le sapin tandis que les cent cinquante étoiles sur lesquelles je travaillais quelques heures plus tôt prennent place entre les branches. Puis c’est une ribambelle de nœuds blanc nacré, de boules de toutes formes, de cristaux en forme de gouttelettes et de petits paquets cadeau qui les rejoignent sur l’arbre. Enfin, j’ajoute le dernier détail, dont je ne suis pas peu fière : des sucres d’orge que j’ai commandés chez un confiseur sur la Troisième Avenue, spécialement pour les clients de l’hôtel, qui pourront se servir à leur guise.

Alors que les boîtes de décoration se vident petit à petit, je prends du recul pour admirer mon œuvre.

Parfait, encore une fois.

Le seul détail qui me chagrine, c’est que ce sapin est artificiel. Nous ne sommes que fin novembre et la directrice du Plaza entend garder son décor de Noël jusqu’à la fin du mois de janvier. Dans ces conditions, un arbre naturel était inenvisageable. Sans entretien, il n’aurait malheureusement pas tenu deux longs mois sans perdre de sa superbe…

Heureusement, le sapin que j’ai choisi peut facilement tromper l’œil. Ses branches et ses épines ressemblent à s’y méprendre à des vraies.

Discrètement, je jette un regard autour de moi. Comme je l’espérais, les quelques clients assis dans l’un des salons attenants au hall détaillent en souriant le conifère paré de ses plus beaux atours et illuminant l’hôtel. Dans leurs yeux, je vois que j’ai réussi ma mission… Mais tout n’est pas gagné : je dois désormais en convaincre Mme White, la directrice de l’établissement.

Tandis que je m’apprête à reprendre mon travail, je repère, toujours installé au bar, l’homme qui m’a proposé un verre un peu plus tôt. Apparemment pas rebuté par mon refus, il me sourit largement. Son comportement commence à me mettre mal à l’aise : le regard braqué dans ma direction, il semble clairement vouloir attirer mon attention malgré les signaux négatifs que je lui renvoie.

De deux choses l’une : soit il est aussi accro à Noël que moi et voir les premières décorations le met dans tous ses états, soit c’est un prédateur en chasse.

Quoi qu’il en soit, je décide de continuer à l’ignorer en espérant qu’il finira par se faire une raison et s’intéresser à quelqu’un d’autre que moi.

– Écoutez tous, j’annonce à mon équipe. Notre travail ici touche à sa fin, il ne nous reste plus qu’à ranger nos cartons avant que Mme White ne vienne inspecter notre travail. Elle sera là d’une minute à l’autre.

Sans attendre, tout le monde s’affaire pour remballer notre matériel. Nous terminons juste à temps pour l’arrivée de la directrice de l’hôtel. Je l’observe aussitôt avec attention, espérant apercevoir cette petite lueur qui s’allume immanquablement dans les yeux de mes clients lorsque la décoration leur plaît, lorsque l’enfant qui sommeille en eux refait surface pour apprécier l’esprit de Noël que j’ai apporté à leur établissement.

– Zoe, c’est fantastique ! s’extasie Mme White. L’harmonie des couleurs, toutes ces lumières, et cette ambiance si chaleureuse… Vous avez parfaitement su capturer ce que je désirais. C’est Noël avant l’heure.

Je m’esclaffe, un grand sourire aux lèvres.

– Non, vraiment, je suis conquise, insiste la directrice, les yeux pétillants. Cette boule qui scintille au-dessus du sapin est une véritable merveille. Cela fait déjà trois ans que vous décorez notre bel hôtel, et chaque année, vous réussissez à m’éblouir. Je ne manquerai pas de refaire appel à vous l’an prochain.

– J’en serais ravie, Mme White, dis-je, reconnaissante.

Les Lutins du père Noël se sont constitué une excellente réputation à New York, et cela se ressent dans notre planning. Entre mes clients fidèles, dont le Plaza fait partie, et ceux qui s’ajoutent au fil des ans, la saison prochaine est déjà complète alors que nous sommes encore en train de boucler celle de cette année !

Quand j’y repense, je m’émerveille de la façon dont le bouche à oreille a fonctionné pour moi, un an seulement après le lancement de mon entreprise. Mme White a été la première à m’avoir donné ma chance. Le Plaza, hôtel de luxe à la renommée internationale, m’a servi de vitrine pendant tout un hiver. Depuis, les coups de fil d’autres établissements qui demandent mes services de décoration sont de plus en plus nombreux.

Dès qu’un Noël est terminé, je planche déjà sur le suivant. Certaines pièces de mes concepts demandent une année entière de fabrication ; les plans détaillés doivent donc être pensés largement à l’avance. Après cela, dès la mi-novembre, mon équipe et moi avons entre six et huit décorations planifiées par semaine, et ce jusqu’aux alentours du vingt décembre. Autant dire que nous ne chômons pas… mais passionnée comme je suis, je n’ai jamais le sentiment de travailler.

Si je me suis d’abord lancée seule, Julia et Simon m’ont vite rejointe et c’est aujourd’hui une équipe de douze personnes que je chapeaute, dont sept créateurs.

– C’est toujours un véritable challenge de réussir à imaginer un décor aussi majestueux que cet hôtel, mais je ne me lasse pas d’essayer chaque année, dis-je en souriant à Mme White.

– Et vous réussissez haut la main. Oh, et cet escalier ! s’extasie-t-elle en passant une main sur les rambardes entourées de guirlandes en sapin lumineuses, agrémentées de boules rouges et dorées brillantes. Vous méritez amplement votre titre de nouvelle reine de Noël, Zoe.

– Merci beaucoup.

– Vos lutins et vous prendrez bien un verre avant de retourner au pôle Nord ?

Je m’esclaffe avant de suivre Mme White vers le bar, où mes employés nous rejoignent. Une coupe de champagne à la main, la directrice de l’hôtel s’attarde sur les détails qu’elle aperçoit au fil des minutes, mais elle en revient toujours à la boule scintillante. Je savais qu’elle ferait son petit effet…

Lorsque je quitte le Plaza, ma satisfaction est immense.

À l’extérieur, Julia et Simon remplissent le van de l’entreprise du surplus de décorations qui n’a finalement pas servi. La clé, dans mon travail, c’est de prévoir toujours plus qu’il n’en faut, juste au cas où…

– Vous avez fait du bon boulot, dis-je à mes décorateurs.

– Tu rentres au bureau avec nous ? me demande Julia.

– Non, et hors de question de bosser ce soir pour vous aussi, d’ailleurs. On se retrouve demain matin pour faire un point sur le planning de décembre.

– Ça marche, lance Simon. À demain, Zoe.

Julia et lui ferment les portes arrière du van, ornées du logo de mon entreprise – trois bonnets de père Noël –, puis ils grimpent à l’intérieur avant de s’insérer dans la circulation new-yorkaise. De mon côté, je recule de quelques mètres pour admirer le Plaza d’un peu plus loin. Je laisse passer deux minutes et souris lorsque je vois les guirlandes qui encadrent la devanture s’allumer.

Parfait !

Le cœur léger, je m’apprête à rejoindre le métro lorsque j’entends dans mon dos une voix qui m’appelle.

– Mademoiselle ? S’il vous plaît…

Je pivote et découvre derrière moi l’homme qui a tenté de m’offrir un verre un peu plus tôt.

Oh, bon sang… Cette fois, c’en est trop.

Qu’il me lance des regards insistants même après mon refus est une chose ; qu’il me poursuive dans la rue en est une autre. Cette fois, c’est clair : j’ai affaire à un prédateur en chasse, et l’inquiétude commence à poindre en moi.

– Excusez-moi, reprend-il. J’espérais pouvoir vous parler avant que vous ne quittiez l’hôtel.

– À propos de quoi ?

– Je vous ai beaucoup observée et je dois dire que vous avez fait un super travail de décoration.

– Merci d’être sorti pour me le faire savoir. Bonne soirée… dis-je en faisant volte-face.

– Attendez !

Je resserre mon sac à main contre mon flanc, prête à sortir la bombe lacrymogène qui s’y trouve. Inconscient de ma nervosité, l’inconnu ajoute :

– Ça vous dirait qu’on aille prendre un verre pour parler de…

– Je vous arrête tout de suite, je le coupe. Vous êtes certainement très sympathique, mais je n’accepterai pas un rendez-vous avec vous.

– Oh, mais je voulais simplement que nous…

– Désolée, mais c’est non.

– Attendez, je crois qu’il y a méprise. Je m’appelle Ethan French et je…

– S’il vous plaît, n’insistez pas. Vous n’êtes pas du tout mon genre, c’est assez clair, là ?

Bon, ce n’est pas tout à fait vrai. J’admets qu’il est plutôt séduisant. Sa haute stature ainsi que ses épaules carrées sont sans aucun doute des atouts… mais sa méthode d’approche est à revoir.

– Écoutez, vous vous trompez sur mon compte, plaide-t-il.

Alors qu’il glisse une main dans la poche intérieure de sa veste, je panique pour de bon. Et s’il en sortait une arme ? S’il me kidnappait et me gardait captive pendant les dix prochaines années ?

Hors de question. J’ai des missions de Noël qui m’attendent, et je ne reculerai devant rien pour les accomplir !

Sans attendre, j’ouvre mon sac et j’attrape la bombe lacrymogène qui s’y trouve avant de la pointer sur l’inconnu.

– Peu importe ce que vous cachez dans votre veste, je vous conseille de ne surtout pas le sortir, dis-je. Je vous jure que je n’hésiterai pas une seconde à vous envoyer une décharge de spray droit dans les rétines si vous persistez à me coller aux basques, espèce de taré !

– OK, très bien. J’ai compris.

L’homme lève les mains devant lui en signe de reddition puis recule de plusieurs pas. Je m’éloigne rapidement tout en le gardant à l’œil pour m’assurer qu’il ne me prend pas en chasse. Après plusieurs mètres, lorsque je tourne à l’angle de la rue, je me détends enfin. Je finis même par totalement oublier l’incident lorsque je débouche sur la célèbre Cinquième Avenue, où les enseignes des multiples boutiques de luxe scintillent. Je pénètre dans l’une d’entre elles à la recherche de petits cadeaux pour ma famille : après presque quatre ans à passer avec eux des Noëls en coup de vent, j’ai décidé de m’octroyer trois semaines de vacances. Dès demain, je serai de retour à Snowflakes Garden, la ville de mon enfance. Je vais enfin prendre le temps de réveillonner avec mes proches comme il se doit.

Je passe toute ma séance de shopping à sourire en imaginant les réactions de mes parents, de ma sœur et de ma nièce lorsqu’ils découvriront les petites surprises que je leur ai trouvées. J’ai tellement hâte de les revoir… Chez les Reynolds, Noël, c’est sacré. D’aussi loin que je me souvienne, la joie et l’excitation ont toujours été présentes dans notre foyer à cette période. Mes parents nous ont transmis, à ma sœur et à moi, l’amour de cette fête, l’idée de partage et de générosité qui l’accompagne ainsi que l’importance des moments en famille.

Lorsque je rentre chez moi, mes bras sont chargés de paquets, mais mon cœur est aussi léger qu’une plume.

Demain, nous serons le premier décembre et les vitrines des grands magasins s’illumineront toutes, créant une ambiance féerique attendue par les enfants comme par les adultes.

Demain, la magie de Noël s’installera doucement.

Demain, le mois de l’année que je préfère va enfin débuter.

Chapitre 2

ZOE

Un vent froid me fouette le visage et s’engouffre dans le col de mon manteau, que je remonte vivement. Je jette un œil en direction du ciel et je constate avec joie que des nuages gris s’y amoncellent. Cela ne peut signifier qu’une chose : la neige ne va pas tarder à faire son apparition.

Ce matin, les New-Yorkais sont un peu moins concentrés sur leur téléphone, un peu moins pressés. Le mois de décembre est arrivé et il a apporté avec lui l’esprit des fêtes de fin d’année, qui ne fera qu’enfler de jour en jour jusqu’à Noël.

Tirant derrière moi une valise pleine à craquer sur le trottoir, je perçois quelques bribes de conversations. J’entends les gens que je croise parler de shopping, de cadeaux, de décorations, de repas… et cela fait naître un sourire enthousiaste sur mes lèvres.

Mon téléphone vibre soudain dans ma poche. Je décroche après avoir vu le nom de ma sœur Rosalie s’afficher sur l’écran.

– … parler à tante Zoe, pépie une petite voix à l’autre bout du fil.

– Veux-tu bien patienter une seconde ? lui répond ma sœur.

– Salut, vous deux, je lance.

– TANTE ZOE !

Je m’esclaffe en entendant le cri perçant de ma nièce de six ans.

– Lily, laisse-moi le temps de… Lily ! tente ma sœur.

– Tante Zoe, est-ce que tu arrives bientôt ?

– Je serai à Snowflakes Garden dans la journée, ma douce.

– Aujourd’hui ce matin ? Aujourd’hui pour le déjeuner ? Aujourd’hui dans l’après-midi ? Aujourd’hui ce soir ?

– Bon sang, Lily jolie, respire, dis-je en riant. Je serai là pour le dîner.

Les cris de joie de ma nièce se font de plus en plus lointains, et je l’imagine sans peine s’éloigner du téléphone en bondissant. Rosalie en profite pour reprendre la communication.

– Ma fille est sur le point d’exploser alors je t’en prie, dépêche-toi d’arriver, lâche-t-elle.

– Je vais faire aussi vite que possible. Comment vas-tu ?

– Nous sommes le premier décembre, alors à ton avis ?

– Tu te sens euphorique ? Pleine d’énergie ? Sur le point de te mettre à sautiller comme Lily ?

– Exactement !

Nous nous esclaffons.

– Tes affaires sont prêtes ? me demande ma sœur.

– Évidemment. Ma valise est avec moi en ce moment même. J’ai réservé une voiture pour seize heures. Je prendrai la route dès que je quitterai le travail.

Moi qui pensais pouvoir me rendre au bureau à pied, il semblerait que j’aie sous-estimé le poids de mon bagage. Mes muscles commencent déjà à fatiguer à force de le traîner. Le téléphone vissé à mon oreille, je hèle un taxi, dans lequel je m’engouffre après avoir installé ma valise dans le coffre.

– Rosie, si tu savais comme j’ai hâte de passer décembre en famille, je m’exclame une fois assise à l’arrière du véhicule. Ça fait si longtemps…

– Nous aussi, on a hâte de te retrouver, renchérit ma sœur. Les parents ne parlent que de ta venue depuis des semaines. Ces quatre dernières années, on ne t’a vue qu’en coup de vent pour le vingt-cinq décembre, et franchement, ce n’est pas pareil.

– Je sais… Vous m’avez tous manqué. J’aurais aimé pouvoir être là plus souvent, surtout pour toi. Tu n’as pas eu une année facile.

Rosalie pousse un soupir tremblant.

– C’est vrai que ces derniers mois n’ont pas été de tout repos. Alors je suis vraiment heureuse que les Reynolds soient au complet cette année. Ça va être un Noël de folie.

Par la fenêtre du taxi, je regarde New York défiler en pensant à mon retour à Snowflakes Garden et je réponds, le sourire aux lèvres :

– Mieux que ça, Rosie… Ça va être un Noël absolument noëlesque !

Lorsque j’arrive dans mes locaux, toute mon équipe est déjà sur le pont. Je salue mes employés, accepte une tasse de café, dépose sur une table la boîte de sablés de Noël que j’ai achetée dans une boulangerie de Greenwich Avenue, puis je rejoins Julia et Simon qui m’attendent dans mon bureau. Sous leurs regards amusés, je pose mon sac à main et mon manteau avant d’allumer les guirlandes lumineuses disposées un peu partout dans la pièce et de replacer une boule sur le petit sapin posé sur mon bureau. Je tends également dans la direction de mes deux décorateurs une assiette de biscuits que je nous ai réservée pour notre petite réunion.

– Tu sais, commence Julia après que j’ai pris place sur mon fauteuil, j’étais persuadée que tu finirais par annuler tes vacances.

– Moi aussi, l’approuve Simon.

– Et moi aussi, je soupire. Partir trois semaines durant notre période de rush n’a pas été une décision facile à prendre, même pour passer les vacances de Noël avec ma famille. Mais je sais que je peux vous faire confiance. Nos clients sont des habitués de nos services, tout devrait bien se passer. Le seul dossier un peu délicat, c’est celui du Four Seasons, qui fait appel à nous pour la première fois pour décorer la salle de réception dans laquelle ils organiseront leur bal de Noël, le vingt décembre. Je reviendrai donc à New York les dix-sept et dix-huit pour tout superviser, et je retournerai à Snowflakes Garden dès le lendemain.

– C’est noté, déclare Simon.

– S’il y a le moindre problème, n’hésitez pas à me joindre sur mon téléphone à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, j’ajoute. Snowflakes Garden est à moins de trois heures de route de New York. En cas d’urgence, je pourrai être rapidement parmi vous.

– Tout va bien se passer, Zoe, me dit Julia, rassurante. Tes croquis sont parfaitement clairs et détaillés, nous donnerons vie à tes idées en toute sérénité. Toi, profite de ce mois de décembre avec ta famille. Cela fait quatre ans que tu offres des Noëls magiques à nos clients, tu mérites bien de profiter du tien cette année.

Je souris puis, pendant de longues minutes, nous passons en revue tous les trois le planning plus que chargé qui attend l’entreprise en mon absence. Après quoi, je décrète :

– Je ne serai pas là pour vous le dire de vive voix, alors je prends les devants : le vingt-trois décembre au soir, je veux que toute l’équipe quitte les bureaux et que personne n’y revienne avant le vingt-six. C’est compris ? Je tiens à ce que vous passiez ces deux journées en famille afin que vous me reveniez en pleine forme et prêts à attaquer les contrats du nouvel an.

– Compte sur nous, opine Julia.

– Bon… je pense que nous avons fait le tour.

– Pas tout à fait, intervient Simon. Le TIME a demandé si leur journaliste pouvait passer ce matin, alors j’ai décalé ton rendez-vous avec le fournisseur de sapins.

– Tu as bien fait ! je m’exclame, excitée. Je n’en reviens pas qu’on m’ait proposé un portrait pour la rubrique de Noël. Deux doubles pages, en plus… C’est dingue !

Il y a trois mois, lorsque la rédaction m’a contactée, j’ai eu du mal à croire à ma chance. Le TIME fait partie de ces magazines qui comptent, et chaque année, durant la période des fêtes, il met en avant des « acteurs principaux de Noël ». Au fil des ans, une pléiade de pâtissiers reconnus, de gérants de grands magasins de jouets ou encore de décorateurs chevronnés ont connu leur heure de gloire entre ses pages, interviewés par Diana Ruiz, la journaliste chargée de la rubrique spéciale.

Et maintenant, mon tour est arrivé.

– Tu le mérites amplement, me dit Julia.

– Tu n’es pas du tout objective, je lui fais remarquer.

– Je l’assume, réplique-t-elle avant d’attraper un biscuit et de quitter mon bureau, suivie de Simon.

Après leur départ, je passe une dernière fois en revue les projets dont mon équipe devra s’occuper en mon absence. Ce soir, lorsque je quitterai mon bureau pour presque un mois, je veux être certaine de leur laisser les croquis le plus complets possible…

Mais plus l’heure de mon rendez-vous avec la journaliste approche, plus le stress monte. Je me lève et j’arpente mon bureau en prenant de grandes inspirations pour tenter de faire disparaître la boule qui grossit dans ma gorge. Puis, comme cela ne fonctionne pas, je décide de me préparer en vue de notre conversation.

– Enchantée de faire votre connaissance, Diana, je suis une grande fan de votre rubrique…

Trop pompeux.

– Je vous en prie, installez-vous. Un biscuit de Noël ?

Je m’empresse de mettre l’assiette de sablés bien en évidence pour m’obliger à penser à en proposer à mon invitée.

– Quand ai-je commencé à aimer Noël ? Voyons voir… Quand suis-je née, déjà ?

Je pars d’un rire si bruyant que je me surprends moi-même.

On dirait une hyène, Zoe…

Absorbée dans ma commedia dell’arte, je sursaute lorsque plusieurs coups sont frappés contre la porte de mon bureau. Je prends une profonde inspiration, lisse mes vêtements, passe une main dans mes cheveux, puis lance d’une voix enjouée :

– Entrez !

Je m’avance, prête à accueillir Diana comme il se doit, et déclare :

– C’est un vrai plaisir de vous recevoir dans mon…

Je me fige, stupéfaite, lorsque je m’aperçois que ce n’est pas du tout la journaliste que j’attendais qui vient d’apparaître devant moi. En réalité, je me retrouve face à un homme… que je reconnais immédiatement.

Oh non, le taré d’hier soir m’a retrouvée !

Il s’approche de quelques pas, l’air sérieux, puis il annonce :

– Ethan French, journaliste pour le TIME Magazine.

Commander La romance presque parfaite d'une accro à Noël