Prologue

Quelques mois auparavant à Paris… le sexe, c’est simple comme un coup de fil.


LUKE

– Depuis quand tu ne partages plus ?

La voix d’Aïdan me parvient aux oreilles alors que je lui ai déjà tourné le dos et que je me dirige vers l’escalier pour regagner le pont de sa péniche.

– Depuis que je l’ai décidé, ma poule ! je réplique en haussant les épaules.

Soit moins d’une minute, à la seconde même où j’ai récupéré le numéro de téléphone tant espéré auprès de ce crétin qui, bien entendu, le possédait. Je grimpe les marches à toute vitesse et déboule à l’air libre. Mon portable dans une main, je rejoins ma voiture en sifflotant. Subitement de meilleure humeur.

La nuit que j’ai passée avec elle… Bon sang ! Cette nana est une sacrée bombe ! Et cette unique nuit était trop courte. Le pire, c’est que je n’avais pas envie de partager Justine avec Aïdan. Pour la première fois de ma vie, je voulais que ce plan à trois ne soit qu’un duo… Étrange et déstabilisant. Une réaction inhabituelle et inexplicable. Je la voulais… pour moi seul. Ce qui déjà pose un problème.

C’est donc une contrariété que j’ai décidé de résoudre, et pas plus tard que maintenant. Quelques heures seul avec elle, à profiter de son corps, devraient me remettre les idées en place. Pas de plan à trois, cette fois. Même si elle a eu l’air d’apprécier énormément cette nuit avec Aïdan et moi. Elle ne posera ses mains, sa bouche, que sur mon corps.

Juste elle et moi !

Ensuite ?

Ensuite, nos chemins se croiseront de temps à autre, rien de plus. Peut-être une bonne séance de baise au hasard de mes séjours à Paris, qui sait ? Mais rien de plus !

J’enclenche la première, et tout en accélérant, je lance :

– Appelez Justine !

Oui, c’est exactement ce qu’il me faut. Ce dont j’ai besoin. Une nuit de sexe torride avec elle, et puis basta…

– Allô ?

Sa voix est rauque, sexy. Une voix parfaite pour murmurer, pour supplier… et j’ai la ferme intention de l’écouter gémir à n’en plus finir, de lui faire crier mon prénom, cette nuit.

– Allô ?! Il y a quelqu’un ?

Elle n’est même pas encore devant moi, et simplement l’entendre au téléphone me fait bander comme un malade. À moins que les images de nos corps emmêlés dansant devant mes yeux ne soient responsables de mon état. Merde ! J’ai l’impression d’être un véritable demeuré. Une fois que je l’aurai sortie de ma tête, tout rentrera dans l’ordre.

Et je sais parfaitement comment régler cette complication.

– C’est Luke… comment ça va ?

Pas de réponse. Sans doute à cause de la musique assourdissante que je perçois en bruit de fond, et qui l’empêche de saisir mes paroles. Alors je répète mon prénom plus fort, puis j’ajoute :

– Le témoin du marié…

Toujours rien. Elle est devenue muette ou quoi ? Et cette musique techno qui me hurle dans les oreilles commence à me porter sur les nerfs. Je me sens perdre patience.

D’un brusque coup de volant, je me gare en vitesse sur une place de livraison.

– Le plan à trois, si tu préfères.

Pas certain que ce soit la meilleure façon de me rappeler à son bon souvenir… quoique…

– Le blond ou le brun ? lâche-t-elle enfin. J’ai besoin de précisions pour éviter toute confusion… d’autant que le souvenir, même s’il fut assez agréable, ne m’a pas non plus donné matière à y repenser plus que ça.

Souvenir assez agréable ? Le blond ou le brun ?

– À ton avis ?! je rétorque, brusquement en rogne face à son détachement.

– Hum… vu le ton d’ours mal léché, j’aurais tendance à miser sur le brun. Le blond m’ayant laissé un souvenir plus chaleureux, minaude-t-elle. Mais je suis plutôt occupée en ce moment, et je n’ai ni le temps ni l’envie de jouer aux devinettes. On se reverra au mariage. Bye !

Et sans me laisser le loisir d’aligner un mot, elle raccroche.

On se reverra au mariage ?! Ours mal léché ?!

Je reste sidéré quelques secondes, à fixer le téléphone dans ma main. Merde ! C’était quoi, ça ?! Mademoiselle est occupée ? Occupée à quoi ? Et avec qui ? Je ne prends même pas la peine de la rappeler, devinant à l’avance que cela ne servira à rien.

Souvenir assez agréable ? Le mot assez décuple ma rage… et tout le reste aussi, d’ailleurs. Aussitôt, j’appelle Aïdan.

– Localise-moi son téléphone, je beugle dès qu’il décroche. J’ai besoin de savoir où elle se trouve.

– Le téléphone de qui ? Ce ne serait pas plus simple d’interroger l’objet de ton désir pour savoir où elle est ? Sauf si tu l’as déjà fait et qu’elle n’a pas envie de te le dire, bien sûr. Dans ce cas, je m’interroge sur le bien-fondé de ta requête… après tout, si la demoiselle ne veut pas te voir, inutile d’insister. Autant en chercher une autre, ma poule.

Il éclate de rire. OK ! Ce crétin ne va pas me rendre les choses faciles. Je le laisse se payer ma tête encore un moment en songeant que le fait qu’il soit un génie de l’informatique m’empêche de lui balancer mon poing dans la tronche. Pourtant l’envie me démange furieusement.

– C’est bon, tu as fini ?

– Explique-moi un truc, Luke. Est-ce qu’elle t’a raccroché au nez, comme Barbie avec Geoffrey ?

– Techniquement, je ne le formulerais pas de cette façon, je marmonne en songeant que ce petit con a vraiment de la chance d’être en dehors de la zone de contact de mon poing. Et elle n’a pas non plus refusé de me dire où elle était…

Vu qu’elle a interrompu notre conversation avant que j’aie pu le lui demander.

– Alors, il te faut combien de temps pour la localiser ? Tu perds la main ou quoi ?

Il m’envoie une flopée de jurons tandis que je fouille frénétiquement dans la boîte à gants.

– Fais chier ! Geoffrey n’a même pas un paquet de chewing-gums dans cette caisse…

– Depuis quand tu ne fumes plus, déjà ? Parce que tu es franchement chiant, crois-moi.

– Trois mois, je soupire en découvrant un paquet de cigarillos. Trois longs mois… j’ai une de ces envies de m’en griller une !

La tentation est forte de prendre un cigarillo… juste un… histoire de me détendre un peu. Et Dieu sait que j’en ai besoin en cet instant.

– C’est fait, ma poule ! Localisation de la demoiselle en moins de trois minutes ! Alors ne viens surtout pas dire que j’ai perdu la main…

– Ouais… je t’ai quand même connu beaucoup plus rapide, je réplique avec un sourire.

– Exact, s’il s’agit du boulot. Je t’envoie l’adresse par SMS. Tu n’es pas très loin… et si jamais tu as besoin d’un coup de main pour satisfaire Justine, n’hésite pas. Je tiens une forme d’enfer en ce moment.

Son rire résonne dans mes oreilles alors que j’ai déjà raccroché. J’attrape mon Zippo – dernier cadeau d’Emily dont je ne me sépare jamais – dans la poche de mon jean. J’allume un cigarillo et triture le briquet tout en songeant à Aïdan et Geoffrey, mes deux meilleurs amis et associés. Parfois, je me demande quelle serait ma vie, leurs vies, si nous ne nous étions pas rencontrés… s’ils n’étaient pas tombés fous amoureux d’Emily. Serions-nous aussi liés que des frères ? Serions-nous capables du meilleur et du pire les uns pour les autres sans la tragédie qui nous lie tous les trois ? La réception du SMS d’Aïdan m’extirpe brusquement de mes sombres pensées. Je tape l’adresse dans le GPS, et il me faut à peine dix minutes pour rejoindre la rue de Rivoli. Je lance la clé de la BMW que Geoffrey m’a prêtée au voiturier et me dirige rapidement vers l’entrée du night-club. À quand remonte ma dernière virée en boîte ? Je ne m’en souviens même plus. À part celle où j’ai accompagné Geoffrey à notre retour de Chine et où j’ai rencontré celle qui sera d’ici peu la femme de mon meilleur ami : Barbie ! Enfin, je n’ai pas tout de suite repéré la future mariée.

En revanche, j’ai très bien vu Justine… Comment aurais-je pu ne pas la remarquer ?

J’ai d’abord été happé par un regard océan qui m’a coupé le souffle. Puis une bouche sensuelle aussi rouge qu’un fruit défendu m’a déclenché la plus belle des visions érotiques en l’imaginant aussitôt sur mon sexe. Et impossible de négliger un corps aux courbes aussi voluptueuses, et dont la chute de reins et les jambes devaient faire saliver tous les hommes présents. Moi le premier. Une vraie déesse ! Une femme capable d’assumer ses désirs et ses fantasmes… comme un plan à trois avec Aïdan et moi. Bref, le genre de femme qui mérite un second round sexuel. Mais un second round uniquement avec moi !

Oh oui… très bientôt !

Et personne ne pourra m’en empêcher.

JUSTINE

Il me faut plusieurs minutes pour comprendre ce qui vient de se produire… je rêve ou quoi ?! Trois semaines sans nouvelles. Pas un coup de téléphone, et soudain, Monsieur se souvient de moi ?

Et puis quoi encore ? Je reporte mon attention sur le charmant spécimen masculin qui se tient devant moi. D’une main, j’attrape sa chemise pour le rapprocher, puis je murmure à son oreille :

– Où en étions-nous déjà ?

Ravi de nous savoir à nouveau sur la même longueur d’onde, il s’autorise à faire ce dont il rêve depuis qu’il a engagé la conversation avec moi et que ce malheureux coup de téléphone a failli mettre en plan – si j’avais dit oui –, à savoir poser sa main sur ma taille. Il me sourit comme s’il se réjouissait d’une chose dont je ne soupçonne rien. Un peu plus, et il me donnerait envie de le planter là. Mais il danse plutôt bien, alors je reste. Et peut-être – je dis bien, peut-être –, s’il ne commet pas d’écart d’ici là, me donnera-t-il assez envie pour que je l’autorise à finir la nuit avec moi. Je me laisse porter par la musique. Ses mains sur ma taille. Nos corps collés l’un contre l’autre. J’attends avec impatience ce fameux frisson, annonciateur de désir. Ce frisson qui me donnerait à croire que les choses sont – enfin – rentrées dans l’ordre. Que ma copine libido-dodo émerge de son long sommeil. Mais c’est le calme plat. Agacée, je me plaque un peu plus contre lui. Je réprime un soupir en constatant que rien ne se passe. Pas la plus petite étincelle… jusqu’à ce que je croise un regard.

Brusquement, mon corps se réveille. Toutes les sensations me reviennent. D’un seul coup. Mais pas à cause de celui qui me tient dans ses bras. Non ! Grâce à celui qui me fixe de loin d’un regard… furax ! Ce qui m’excite encore plus.

Ses yeux, aussi sombres qu’une nuit sans lune, me harponnent. Campé au beau milieu de la piste de danse, il est le seul à ne pas bouger. Alors je me déhanche plus sensuellement encore contre mon cavalier dont j’ai déjà oublié le prénom. Les lèvres de mon spectateur frémissent. Ses poings se crispent. Il est à moins d’un mètre de moi, j’aperçois l’ombre d’une barbe naissante sur sa mâchoire carrée. J’aimerais y frotter ma joue pour qu’elle laisse des traces sur ma peau. J’ignore combien de temps nous restons à nous fixer mutuellement. Incapables de nous quitter du regard. De rompre ce lien visuel… aussi délicieux que pervers. À nous provoquer ainsi en silence. Ma respiration s’accélère à mesure que les secondes défilent. Mon corps est en apesanteur. Avec un seul besoin. Un besoin qu’il est le seul à pouvoir satisfaire. Je n’avais plus ressenti ça depuis la nuit où j’ai fait l’amour avec Aïdan et lui…

Ce type me rend folle !

Il n’esquisse toujours pas le moindre mouvement tandis que je suis bombardée de sensations aussi puissantes qu’enivrantes. J’ai envie de passer mes doigts dans ses cheveux bruns trop longs et décoiffés. De glisser ma main dans l’ouverture de sa chemise. Rien ne vient perturber son visage aux lignes dures et à la beauté sauvage. Rien ne semble le décider à faire un pas. Un geste vers moi.

Un frisson nerveux me saisit lorsque je réalise jusqu’où il est prêt à aller.

Alors, c’est comme ça ? Tu te pointes jusqu’ici, et tu attends ? Vraiment ?!

Je lui décoche un sourire diabolique, puis je passe ma langue sur mes lèvres. Mes doigts se déplacent doucement – pour bien lui laisser le temps de comprendre ce que je m’apprête à faire – jusqu’au visage de mon cavalier. Sans le lâcher du regard, je m’approche avec lenteur de ce visage que je tiens, mais ne vois plus. Ma bouche s’avance vers cette autre dont je n’ai plus la moindre envie, maintenant qu’il est là, lui. Et, alors que mes lèvres ne sont plus qu’à quelques centimètres…

– Dégage de là ! rugit Luke, furieux, en m’enlaçant d’une main ferme, tandis que l’autre repousse mon prétendant avec une force phénoménale. Elle est avec moi…

Celui qui pensait finir sa nuit avec moi préfère capituler sans faire un geste ou même dire un mot.

Non, mais quel connard ! je songe en le regardant s’éloigner.

– Si tu avais été avec moi, grogne Luke à mon oreille tout en la mordillant. Jamais un mec n’aurait pu se permettre ce que je viens de faire.

Je n’ai pas le temps de lui répondre que sa bouche plonge vers la mienne. Il me dévore comme s’il était affamé. J’ai l’impression que je vais fondre comme un carré de chocolat en plein soleil, tant je brûle de désir. Ses bras me serrent contre lui afin d’approfondir le baiser le plus dévastateur que j’ai jamais reçu. Ma langue est aussi avide de la sienne. Ses paumes plaquées sur mes fesses se font plus exigeantes et me pressent avec force contre son bassin. Impossible de ne pas sentir l’envie que je lui inspire. Quand notre baiser prend fin, son regard n’est que pur désir. Un désir brut et sauvage qui m’électrise totalement.

– Je peux t’assurer qu’après cette nuit, tu ne me confondras plus jamais avec Aïdan, lâche-t-il d’une voix rauque qui me fait frémir de plaisir. Je vais tellement te baiser que tu me supplieras d’arrêter…

Son arrogance m’excite autant qu’elle me hérisse. Ma réflexion au téléphone l’a visiblement vexé, et je ne peux m’empêcher d’y trouver un certain plaisir. Après trois semaines de silence et m’avoir posé un lapin, il mérite bien de ramer un peu. Beaucoup, même.

– J’ai très envie de jouer avec toi, je murmure en me mordillant les lèvres. Et toi, tu as envie de jouer avec moi ?

– Oh oui ! Je vais jouer avec toi toute la nuit, me promet-il d’une voix éraillée avant de me prendre par la main pour me guider vers la sortie. Et si tu es gentille, tu pourras aussi jouer avec moi…

Arrivée au vestiaire, je m’arrête pour récupérer mon sac et, pendant qu’il attrape ses clés de voiture, j’en profite pour demander à Cara – en toute discrétion – un petit accessoire qui va m’être bien utile pour jouer selon mes règles. Je le glisse ensuite dans mon sac et rejoins Luke qui m’attend un peu plus loin. Un sourire aguicheur ne quitte pas mon visage tout le long du trajet. Il s’agrandit même encore quand nous arrivons à notre destination.

Ce sera encore plus fun avec des témoins.

– Angie dort ici, ce soir, je l’informe en le suivant dans l’appartement de son ami Geoffrey, également futur époux de ma meilleure amie. J’ignorais que tu y avais une chambre…

– J’y ai une chambre réservée à chacun de mes séjours à Paris, précise-t-il en déposant une multitude de baisers dans mon cou. Je ne passe pas assez de temps en France pour avoir intérêt à y acquérir un appart…

Oh mon Dieu !

Quand il m’embrasse comme ça, j’ai presque envie d’oublier ma petite vengeance. Presque. Tandis que nous pénétrons dans sa chambre, il passe son bras autour de ma taille pour me serrer plus fort contre lui. Il porte toujours son jean et sa chemise. D’une main, je fais glisser ma robe au sol et lui ordonne de retirer ses vêtements. Il accepte avec un sourire. J’avale ma salive avec difficulté lorsqu’il se retrouve nu, me laissant apprécier son érection triomphante. Je lis dans ses yeux un désir si brut et si primaire que j’en ai le souffle coupé. Puis il m’attire brusquement contre lui.

– Justine… murmure-t-il en capturant ma bouche.

Son baiser est féroce. Je le lui rends avec un désir éperdu. Intense. Je ne veux plus rien d’autre que sentir ses mains sur moi. Rien d’autre que me perdre en lui. Je ne veux surtout pas qu’il s’arrête. Parce qu’il est le seul homme à me faire ressentir un plaisir aussi violent. Je sens son sexe dur contre mon ventre. Quand sa bouche quitte la mienne, je suffoque alors qu’un grognement rauque et sensuel s’échappe de ses lèvres.

Oh mon Dieu ! Je suis désespérément et follement excitée !

– Tu as toujours envie de jouer ?

Il me faut plusieurs secondes pour comprendre de quoi il parle.

– Ou tu préfères me laisser…

Je pose mon index sur sa bouche pour le faire taire. Luke aime dominer. Au lit. Et j’imagine que c’est également le cas dans la vie quotidienne. Mais je ne compte pas lui céder le contrôle, ce soir.

– Oui, j’ai toujours envie de jouer. Allonge-toi sur le lit.

Je file récupérer mon petit accessoire dans mon sac qui se trouve sur la commode, puis je retourne sur le lit. Je me positionne à califourchon au-dessus de lui en lui montrant ce que je cache dans mes mains.

– Des menottes ?!

Je vois tout de suite qu’il n’est pas emballé, alors pour le motiver, je me frotte langoureusement contre lui. Ma culotte ne tarde pas à être complètement trempée et nos gémissements résonnent bientôt dans la chambre. Haletante et tremblante de plaisir, je lui demande de se mettre sur le ventre pour que je puisse lui passer les menottes. Pendant un instant, je pense qu’il va refuser. Mais il finit par accepter et roule docilement face contre le matelas en me présentant ses poignets, que j’emprisonne dans les bracelets d’acier. Puis je dépose un baiser sur le tatouage qui couvre une grande partie de son dos. Avant qu’il n’ait le temps de réaliser, je saute ensuite du lit, attrape mes vêtements, mon sac et mes chaussures, et lui lance juste au moment de quitter la chambre :

– J’ai adoré jouer avec toi, Luke ! Je suis certaine que la partie se serait terminée différemment pour toi… il y a trois semaines. Sans rancune, mon lapin, hein ! À la prochaine !

LUKE

J’entends la porte qui claque. Je me retourne vivement sur le dos en espérant découvrir Justine dans la pièce. Sauf qu’elle n’y est pas. D’accord, la demoiselle n’a pas apprécié notre rendez-vous manqué, mais à ma décharge, vu l’état dans lequel je me trouvais, il valait mieux qu’elle ne me voie pas. OK, j’aurais pu passer un coup de téléphone et lui présenter des excuses. Surtout que ce n’est pas dans mes habitudes d’agir ainsi. Seulement, nous étions en pleine négociation à ce moment-là. Nous cherchions des moyens de pression, et j’étais fou de rage de ne pas avoir de preuves pour coincer ces deux salopards… Preuves que nous n’avons toujours pas en notre possession à l’heure actuelle, d’ailleurs !

Bordel ! Qu’est-ce qu’elle fout ? Ça fait combien de temps qu’elle est partie maintenant ?

J’essaie de lire l’heure sur ma montre, mais avec les mains menottées dans le dos, autant dire que c’est mission impossible. Je marche de long en large dans la chambre en l’attendant. J’ignore combien de temps je me balade à poil entre ces quatre murs tout en essayant de me dégager les mains des saletés de bracelets que Justine m’a offerts. La seule chose que j’y gagne, c’est de me bousiller les poignets. Évidemment, je ne peux m’empêcher de l’appeler à plusieurs reprises. En vain. Je finis par comprendre qu’elle n’a aucune intention de revenir, et je ne vois alors qu’une seule solution pour me sortir de ce traquenard. Tant bien que mal, j’attrape le drap et tire d’un coup sec pour tenter de m’en couvrir et gagner ensuite la chambre de Geoffrey. Je frappe une fois. Pas de réponse. Pas vraiment de bonne humeur, je tambourine avec mes pieds sur la porte. Toujours aucune réponse.

– Fais chier ! Il est sourd ou quoi ?

Je pivote puis, de dos, attrape la poignée à pleine main et pousse le battant qui, à mon grand soulagement, s’ouvre sans difficulté. Sans perdre de temps, j’entre dans la chambre.

– Fais vraiment chier, je marmonne en découvrant pourquoi Geoffrey n’avait pas toute sa tête pour venir à mon secours.

Je viens visiblement de le déranger en pleine activité avec sa future épouse. Future épouse qui, dès qu’elle m’aperçoit, bondit hors du lit en hurlant :

– NON ! NON ! ET NON !

Geoffrey enfile un short à la va-vite, tandis qu’Angeline parcourt la pièce comme une furie en bafouillant :

– Si vous croyez que… que… je… nous…

– Du calme, Barbie ! je lance en espérant l’apaiser.

Elle me jette un regard noir avant de saisir une bouteille d’eau qu’elle me balance sur la tronche.

– Mais ça ne va pas ?! Tu es malade ou quoi ?

– C’est toi qui es complètement malade, grogne-t-elle en posant brutalement son index sur mon torse mouillé. Oui, vous êtes deux grands malades ! Tous les deux !

Putain, mais quelle soirée !

– Bordel ! beugle Geoffrey en lui présentant un short. Tu vas te rhabiller, oui…

Je lâche un juron alors qu’elle arrache le drap de son lit pour s’en vêtir comme une toge en marmonnant qu’elle ne restera pas dans la même pièce que deux salauds tels que nous. J’ai envie de lui demander ce qu’elle entend par là, cependant je n’ai pas encore ouvert la bouche qu’elle lance, furieuse :

– Ah bon ? Pourquoi ? Vu ce que vous avez l’intention de faire, il vaut mieux être à poil, tu ne crois pas ?

– Mais de quoi tu parles ? riposte Geoffrey sans sembler remarquer que, de mon côté, je commence sérieusement à m’impatienter avec mes menottes.

– Ne me prends pas pour une blonde !

– Tu es pourtant blonde, je ne peux m’empêcher de lui faire remarquer avec un sourire.

– La ferme ! hurlent-ils simultanément avant qu’elle n’ajoute : Prêt à tous les sacrifices ! Ben voyons ! Tu parles d’un sacrifice… un plan à trois, et puis quoi encore ?

Je me marre doucement en comprenant soudain la méprise d’Angie, tandis qu’ils jouent tous les deux au chat et à la souris. Lui en essayant de l’attraper. Elle en sautant sur le matelas pour l’éviter.

Bordel ! On ne va pas y passer la nuit non plus !

Je me place devant la porte afin de l’empêcher de filer en douce et éclate de rire lorsqu’elle me traite de connard. À moins qu’elle ne s’adresse à son futur mari ? J’ai du mal à suivre. Je replonge dans leur conversation :

– Alors, pourquoi est-il ici ? rage-t-elle en me désignant. Si ce n’est pas pour…

– Tu le saurais si tu m’avais laissé le temps de t’expliquer, je la coupe d’une voix basse. Je ne suis pas venu pour un plan à trois, ma belle. Je suis là pour ça…

En lâchant un juron, je me tourne pour qu’elle voie mon dos et mes mains menottées. Geoffrey se marre, avant de me lancer sur un ton guilleret et ironique :

– Qui t’a laissé comme ça ?

Quand je disais que c’était une putain de soirée !

– À ton avis ? je bougonne, de plus en plus de mauvais poil.

– Tu as la clé ?

Je m’assois sur le lit avant de lui répondre :

– J’espère qu’elle ne l’a pas balancée à la poubelle… J’ai cru qu’elle allait revenir…

Ce salaud expose littéralement de rire, cette fois.

– Tu fais chier ! je râle en faisant tout mon possible pour garder ce putain de drap bien placé sur mes hanches. Si tu pouvais m’aider au lieu de te bidonner comme un crétin…

– Alors, ma puce, tu ne devines pas quelle adorable chipie s’est amusée comme ça ? Tu n’as pas une petite idée ?

– Justine ? répond Angie à Geoffrey, puis, pivotant vers moi : Elle est partie en te laissant les menottes aux poignets ? Mais pourquoi ?

Là, Geoffrey est carrément hilare. J’ai une soudaine envie de balancer mon pied dans la tronche de mon meilleur ami. Mais avant que je puisse esquisser le moindre geste, il lance entre deux éclats de rire :

– À ce que je vois, elle lui a fait cadeau d’une belle paire de bracelets et, à mon avis, la nuit ne s’est pas conclue comme il l’espérait…

C’est clair, dès qu’on me libère, je lui balance mon poing dans la tronche !

Tandis que la future mariée vocifère sur tous les tons en me traitant de noms d’oiseaux variés, Geoffrey la saisit par la taille en lui disant de se calmer.

Oui, mon pote, ce serait bien qu’elle m’oublie un peu et qu’on s’occupe de mon problème.

– Explique-moi pourquoi elle t’a laissé dans cet état, hein ? À sa place, je t’aurais attaché au lit et bâillonné. Mais c’est du Justine tout craché, ça. Elle est trop gentille…

Non, mais je rêve, là !

– Trop gentille ? Tu trouves qu’elle est trop gentille ! je fulmine, pour le coup. J’aurais dû me méfier quand elle a insisté pour jouer… quel con ! Ça fait plus d’une heure que j’attends qu’elle revienne et me libère de ces putains de menottes. Sans compter que ça commence à me bousiller les poignets…

– Tant mieux ! J’espère que tu en garderas la marque très longtemps…

Je connais très peu celle qui sera bientôt la femme de mon meilleur ami. Et même si je ne suis pas d’accord avec les raisons ténébreuses qui ont poussé Geoffrey à ce mariage, depuis qu’elle est entrée dans sa vie, j’ai vu à quel point il a changé. Combien il est heureux grâce à elle. Elle l’ignore totalement, mais il est déjà fou amoureux et serait capable de tout pour elle. Tout comme cette petite chipie est capable de tout pour sa meilleure amie.

Ce qui fait qu’elle et moi avons au moins ce point en commun.

– Ta copine et toi êtes vraiment de sales petites chipies, je lance avec un sourire, puis, m’adressant à Geoffrey : Bon, et toi… tu comptes faire quelque chose pour moi ou tu as l’intention de rendre ma nuit plus merdique encore qu’elle ne l’est déjà ?

– Eh, du calme ! Si ta nuit est merdique, ce n’est pas une raison pour pourrir la mienne.

– Je sais. Et ce n’était pas du tout dans mes projets de débarquer comme ça… désolé… vraiment.

– Je vais voir ce que je peux faire pour te libérer, dit-il en retournant vers le lit où il dépose Angie.

Elle se pend à son cou en lui chuchotant à l’oreille qu’il peut tout aussi bien s’occuper de moi demain… dans une semaine ou même dans un mois. Mais comme j’ai l’ouïe très fine, je ne rate rien.

– Je ne suis pas sourd !

Geoffrey me rejoint et, alors que je tourne le dos, j’entends :

– Au fait, Luke. Il faut bien reconnaître que tu as un cul d’enfer, toi aussi !

Bordel ! J’y crois pas !

– Barbie ! Je t’interdis de regarder son cul, lui lance Geoffrey en me filant une accolade.

– Dans ce cas-là, dis-lui de ne plus se trimballer presque à poil devant moi.

Quelques mois plus tard,
à New York… la cerise sur le gâteau

JUSTINE

J’écris mon message :

Besoin urgent d’un matelot, car ma sexualité prend l’eau… prêt à relever le défi ? Justine.

Puis j’envoie. Je réalise aussitôt que j’ai oublié de mentionner l’adresse du bar où nous sommes. Je tapote à nouveau sur mon téléphone pour remédier à ce petit problème.

– Tu vas lâcher ce satané portable ?!

Je lève les yeux sur Sarah, l’une de mes meilleures amies, avocate de surcroît, grâce à qui – sans oublier l’aide non négligeable de son confrère spécialisé en droit criminel, Brian Reynolds – nous sommes ici ce soir pour nous amuser. Et surtout, pour fêter le verdict de non-culpabilité de mon autre meilleure amie, Angeline. Quand je pense qu’elle a été accusée de tentative de meurtre sur la personne de son époux et qu’elle a failli finir ses jours en prison, j’en ai encore des sueurs froides. Je n’ose imaginer ce qu’il serait advenu de son père, de moi, de Sarah et de Geoffrey, si les jurés avaient rendu un verdict différent.

Pense à autre chose, Justine ! Tout cela est terminé, maintenant ! Profite juste de cette soirée !

– Voilà, voilà, c’est bon ! je m’impatiente en déposant mon portable sur la table. Tu es contente ?

– Oui ! Un iPhone a beau avoir de multiples fonctions, il ne possède pas encore celle de te filer un orgasme. Alors que les mecs autour de nous, eux sont là pour ça…

Elle avale une gorgée de son cocktail en me désignant du menton un groupe d’hommes qui, eux aussi, semblent être là pour prendre du bon temps.

– Il te suffit de faire ton choix. Le brun en chemise à carreaux est plutôt pas mal, non ?

Je pointe mon regard sur l’objet de son attention, qui détonne dans ce bar branché et plutôt huppé de Manhattan.

– On dirait un bûcheron qui s’est égaré en ville, je pouffe. Mais c’est vrai qu’il a un petit quelque chose de craquant.

– Justement ! Quoi de mieux qu’un bûcheron pour passer une nuit sauvage ? De plus, il a l’air super musclé de partout, enfin… de ce qu’on peut voir. Je suis certaine qu’avec lui, la soirée Thoride est 100 % garantie !

– Soirée Thoride ? C’est quoi, ce nouveau concept ?

Elle éclate de rire en secouant la tête, ce qui a pour effet de faire valser ses boucles rousses.

– Une soirée de festivités coquines en compagnie d’un mec armé d’un gros marteau, précise-t-elle avant de se lever.

Puis, en posant son regard sur le bûcheron, elle ajoute d’une voix espiègle :

– Je pense ouvrir la chasse avec Mister Canada. Tu te décides à bouger tes fesses ?

Discrètement, je jette un coup d’œil sur l’écran de mon téléphone. Toujours rien.

– Je n’ai pas encore trouvé le spécimen masculin capable de détrôner ce fauteuil au point de me donner envie de bouger mes fesses.

Je suis des yeux sa démarche chaloupée tandis qu’elle s’éloigne en direction de sa proie. Je m’installe plus confortablement dans mon fauteuil de cuir en laissant errer mon regard sur la faune new-yorkaise joyeuse et bruyante qui m’entoure. J’avale une nouvelle gorgée de mon cocktail non sans songer que je suis déjà un peu pompette. Avant d’arriver ici, nous avons descendu deux bouteilles de champ’ avec Angie.

Dans ma vision périphérique, j’entrevois Sarah qui vient de harponner l’objet de sa convoitise, quand je perçois une présence derrière moi. Avant même d’avoir le temps de me retourner pour vérifier qui cela peut bien être, je sens deux mains se poser fermement sur chacune de mes épaules, tandis qu’une voix rauque murmure à mon oreille :

– Si tu es toujours à la recherche d’un bon Samaritain pour écoper, je te suggère de te lever…

Sa bouche douce et chaude s’attarde sur ma nuque durant plusieurs secondes. Je frissonne. J’ai chaud. Froid.

– Suis-moi…

Sans un mot, j’attrape ma pochette, prête à m’exécuter. Sa main s’enfouit dans mes cheveux et renverse soudainement ma tête en arrière. Son regard plonge dans le mien.

– Luke…

– Tu me dois une nuit de baise torride, souffle-t-il dans un grondement sourd. Prête à relever le défi ?

Tu n’as pas idée !

– Oui…

*
*     *

Un mélange de passion intense et de complicité troublante crépite entre nous jusqu’à ce que nous franchissions la porte de ma suite. Le désir brut qui transparaît sur son visage est un pur délice. Je suis dans un tel état de frustration que je serais prête à le supplier. À l’implorer s’il le fallait. Alors qu’il continue de me contempler en silence. Un gémissement s’échappe de mes lèvres.

Et en une fraction de seconde, tout explose.

Comme si l’attente avait été trop longue. Trop insoutenable. Aussi bien pour lui que pour moi.

Nous n’avons pas le temps d’atteindre le lit, Luke me plaque contre le mur. D’un geste brusque et impatient, il relève ma robe, descend ma culotte. Mes doigts s’acharnent avec frénésie sur la ceinture de son pantalon. Puis sur sa braguette. Mon cœur bat frénétiquement. Sa langue plonge profondément dans ma bouche… son sexe s’enfonce brutalement en moi… et là… plus rien n’existe à part lui… son corps… ses mains… sa bouche… et la myriade de sensations qui explosent en moi…

J’ai oublié quelque chose…

Nos corps à moitié dévêtus sont possédés par un même désir impérieux, dévorant et indomptable qui nous entraîne au bord du précipice. Il grogne. Je suffoque. À mi-chemin entre cris et gémissements. Un vertige délicieux et presque suffocant déferle en moi, et tout devient si intense que c’en est douloureux. C’est comme si le temps se figeait et seule compte cette sensation de plaisir intense qui m’envahit. Impossible de résister. Chaque parcelle de mon corps le réclame. Une seule exigence. Un seul désir. Lui…

Et soudain, une délivrance violente et inouïe.

– Regarde-moi, chuchote Luke d’une voix très rauque en saisissant fermement une poignée de mes cheveux. J’espère que tu es toujours en forme, parce que la nuit ne fait que commencer…

Sa poigne se fait plus exigeante. Il ne me laisse aucun répit. Et je n’ai qu’une envie, qu’il m’épuise jusqu’à l’extrême limite de mes forces. Luke est ma dose sexuelle de LSD. Il me rend accro.

On a oublié quelque chose… je songe encore en plein brouillard. Oh oui, Luke ! Encore…

Chapitre 1

Ferme les yeux et fais un vœu

Je suis à un moment de mon existence où je tiens mon avenir entre mes mains. Littéralement. Dans cinq minutes, je vais savoir si ma vie prendra ou non un virage à 90 degrés, une direction totalement différente de tout ce que j’ai pu prévoir, imaginer, rêver, espérer… Ce stylet de plastique blanc renferme une réponse capitale qui se résume à deux mots. Deux petits mots : positif ou négatif. Inutile de dire que, depuis des jours, je prie tous les saints du monde pour que le résultat soit négatif. Je suis même allée à la chapelle Sainte-Rita, avocate des causes désespérées, brûler un cierge. Car je suis une cause désespérée. Totalement désespérée si jamais le résultat n’est pas celui que j’invoque de toutes mes forces. De tout mon cœur.

– Négatif, négatif, je marmonne, lèvres serrées et doigts tremblants. Négatif…

Je jette un regard sur mon portable : encore une minute. Plus qu’une infime minute. Les jambes flageolantes, je me laisse glisser doucement le long du mur de la salle de bains, où j’ai trouvé refuge pour fuir ma mère. Elle s’inquiète à mon sujet. Parce que je suis encore célibataire à plus de vingt-neuf ans, que j’enchaîne les aventures sans lendemain, sans jamais tomber sur le bon candidat… le gendre idéal !

Comme si c’était si facile de trouver un homme intelligent, attentionné, drôle, avec un physique à vous faire mouiller votre petite culotte, qui vous donne des orgasmes comme s’il en pleuvait, fou amoureux, fidèle… et surtout, qui a envie de s’engager !

Parce que ma carrière de décoratrice ne décolle pas. Il faut dire que je ne me bouge pas spécialement non plus pour lui donner le coup de boost nécessaire.

Ma mère regrette que je n’aie pas l’ambition professionnelle de Sarah, avocate dans un grand cabinet à Toronto, et qui fait la fierté de ses parents, des miens, et de moi aussi, j’avoue. Ou la vie sentimentale d’Angeline, folle amoureuse et fraîchement mariée à Monsieur Gendre idéal, justement ! J’ai un sourire involontaire en songeant que, même si leur histoire avait plutôt très mal débuté – un contrat de mariage signé à contrecœur pour une durée de cinq ans afin d’éponger les dettes de son père et de subvenir aux besoins de sa jumelle dans le coma –, ces deux-là ont eu droit à un super happy end. Exactement ce dont ma mère rêve pour moi, à défaut d’une brillante carrière, ou d’une carrière tout court.

J’ai la chance d’être une privilégiée. Je ne manque de rien. Je peux m’acheter tout ce dont j’ai envie. Si demain, je décide de partir au bout du monde, je n’ai pas à me soucier de savoir si mes moyens financiers me le permettront. Outre la fortune de mes parents, j’ai également à ma disposition une petite partie de l’héritage de mes grands-parents paternels. La plus grande partie de cet argent étant bloquée jusqu’à mon mariage, ou à la naissance de mon premier enfant…

Grand-mère aurait-elle eu une prémonition ?

– Justine ? s’écrie ma mère derrière la porte, à l’instant même où l’alarme de mon téléphone résonne. Tout va bien ? Ça fait plus de dix minutes que tu es enfermée dans la salle de bains…

– Tout va bien ! je râle, la respiration soudain plus rapide. Je vous rejoins tout de suite.

J’entends le bruit de ses pas décroître dans le couloir tandis que mon cœur s’affole et qu’une sueur froide me dévale l’échine. Je me lève en prenant appui sur le mur. Le reflet dans le miroir me renvoie l’image de celle que j’étais encore avant…

Avant que tu ne fasses la plus grosse connerie de toute ta vie ! Comment as-tu pu oublier de te protéger ?! Comment ?! Où étaient passés tes foutus neurones ?

Pour ma défense, je ne suis pas la seule à avoir eu le cerveau aux abonnés absents. Si je suis fautive, Luke l’est tout autant que moi. Peut-être même plus, non ? Un mec ne devrait jamais oublier d’enfiler une capote. Jamais ! OK, idem pour une nana.

Lui ? Toi ? Finalement, quelle importance ? Tu crois que c’est vraiment le moment de se prendre la tête avec des détails ? Regarde plutôt ce foutu test de grossesse ! Allez ! Autant en finir ! Et si ça se trouve, tu te fais des films pour rien.

– Carrément même, je lance à mon reflet dans le miroir. Combien y a-t-il de probabilités pour qu’un seul, un seul petit oubli porte à conséquence ?

Brusquement plus confiante, je prends une grande inspiration et pose mon regard sur le test de grossesse pour lire le résultat…

Positif !

PO.SI.TIF.

*
*     *

Deux jours plus tard, et cinq tests de grossesse de plus à la poubelle, je sors de chez mon médecin de famille avec ses félicitations pour mes parents, le futur papa… et oh mon Dieu… la future maman… moi ?!, une ordonnance pour des vitamines, et enfin, ses recommandations plein la tête. D’une main tremblante, je fais défiler les numéros sur l’écran de mon portable pour trouver celui d’Angie.

– Papa va bien ? s’exclame-t-elle en décrochant d’une voix inquiète.

– Oui, ne te fais aucun souci. Ce n’est pas pour lui que j’appelle…

Il me faut quelques secondes avant de retrouver mes esprits et me souvenir que ma meilleure amie se trouve en ce moment en pleine lune de miel.

– Si j’avais pu, je ne t’aurais pas appelée, je lâche, le souffle court et des sanglots dans la voix. Je sais que vous rentrez bientôt et vous avez bien mérité qu’on vous laisse tranquilles…

– Tu as très bien fait, me coupe-t-elle alors que je pleure de plus belle. Les amies sont là pour ça. Dis-moi ce qui ne va pas, Juju.

– Tout… rien ne va, c’était juste un oubli. Ça ne m’est jamais arrivé d’oublier… jamais… pourquoi c’est tombé sur moi ? Hein ? Non, mais tu imagines ? Juste une seule fois, et boum… hein ? Juste une seule fois…

– Justine ! Calme-toi, je ne comprends rien. Qu’est-ce que tu as oublié ?

Je respire un grand coup avant de lâcher :

– Je suis enceinte…

J’entends son hoquet de surprise dans l’écouteur tandis que j’essaie de me calmer en respirant profondément.

– Te serait-il possible, enfin… si ton mari est d’accord, bien sûr, de m’héberger dans votre maison de Brooklyn, le temps pour moi de louer un appartement ?

La nouvelle de ma grossesse semble l’avoir rendue muette, alors je continue :

– Je ne resterai pas longtemps. Juste le temps de…

– C’est Luke, n’est-ce pas ? m’interrompt-elle en retrouvant brusquement l’usage de la parole. Quelle imbécile je suis, évidemment que c’est Luke !

– Que se passe-t-il avec Luke ? intervient une voix masculine derrière elle.

– Luke est-il au courant ? m’interroge-t-elle en soufflant à son mari de se taire.

Je lâche un soupir avant de répondre :

– Pas encore… ce n’est pas le genre de nouvelle qu’on balance au téléphone, tu ne crois pas ? C’est pour cette raison que j’ai besoin de passer un peu de temps à New York…

– Tu pourras rester chez nous le temps que tu voudras. Aussi longtemps que tu le souhaites. Il n’y a aucun problème à ce sujet-là. Geoffrey est totalement d’accord avec moi. Christian viendra te chercher à l’aéroport, et Georges va s’occuper divinement de toi jusqu’à notre retour, ma Juju. Tu verras, tout va bien se passer…

– Tu crois ? je la coupe d’une petite voix. J’ai peur que la nouvelle n’enchante pas Luke le moins du monde.

– Pour le moment, ne te préoccupe que de prendre ton billet pour New York. Dès que tu connais le jour et ton heure d’arrivée, préviens Georges. Je vais t’envoyer son numéro par SMS. D’accord ?

– D’accord…

– Nous rentrons dans quelques jours, et je t’assure que tout va aller. Je t’aime, ma Juju.

– Moi aussi… à bientôt.

Et je raccroche le cœur un peu plus léger, mais la tête pleine de questions.

Il ne me reste plus qu’à réfléchir et à prendre une décision qui bouleversera probablement toute ma vie… et pas seulement la mienne. Est-ce que je souhaite garder ce bébé ? Ou faire une IVG ?

Oh merde ! Merde ! Merde !

Suis-je apte à élever un enfant toute seule ? En ai-je seulement le désir ?

Moi… en mère célibataire ?!

Et si je décide de le garder, il me faut prendre un billet d’avion, faire mes valises, et annoncer à mes parents que, dans neuf mois, ils seront grands-parents… que le père n’est pas encore au courant… et que le taux de probabilités que la nouvelle l’enchante est de zéro… C’est évident, ils vont sauter de joie.

Oh merde ! Merde ! Merde !

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