Chapitre 1

Tristan

 — Et... coupez ! lance le réalisateur. 

Aussitôt, le brouhaha explose dans mes tympans et une dizaine de personnes commencent à s’activer sur le plateau. 

Bordel, c’est pas trop tôt ! soupiré-je tout en décrispant mes doigts qui entourent le dermographe. L’engin tombe avec fracas sur le chariot en métal. Crevé par les heures de tournage sans n, j’étire mon cou, retire mes gants et fais craquer mes phalanges en me redressant. Je mate mon re et dans l’un des miroirs, passe la main sur ma joue râpeuse dévorée par une barbe de plusieurs jours. Je devrais me raser, paraît que ça fait négligé. Mais je n’en ai rien à foutre, comme d’à peu près tout en ce bas monde. 

Je recouvre le tatouage que je viens de terminer de cellophane et arque un sourcil étonné en regardant la gurante allongée à moitié à poil sous mes yeux. 

Elle n’a pas l’air de vouloir bouger ses fesses. 

— Chérie, on a fini. C’est bon, tu peux remonter ta culotte. 

Elle se décide quand même à tourner la tête sur le côté et à jeter un regard par-dessus son épaule pour admirer son cul. Son visage s’éclaire. 

— Oh, trop beau ! Merci Tris, roucoule-t-elle. 

Je hausse une épaule. Rien à foutre de ses remer- ciements. Surtout pour une daube pareille. Elle se contorsionne, descend de la table et baisse en n sa robe sur le dauphin encadré par des bulles de savon qui orne désormais le creux de ses reins. Certaines personnes en mal de célébrité sont prêtes à tout pour passer à la télé et se faire un peu de blé, même à se taper un tatouage débile pour le restant de leurs jours. 

Il faut que je me tire d’ici. Je contourne les caméras encore en place et passe devant l’assistant du réalisateur qui me grati e d’une tape amicale dans le dos. 

— T’as assuré, Tristan !

Je ne vois pas en quoi.

— Tu déchires, mec, renchérit l’ingé-son.

Et c’est ainsi jusqu’à ce que je sorte du plateau. La mâchoire contractée, je lève mon poing fermé et réponds par un check à chacun des membres de l’équipe technique. J’exècre mon job, c’est un fait, mais ces gars n’y sont pour rien. Ils sont comme moi, ils font ce qu’on leur demande de faire. 

Pile au moment où je pénètre dans ma loge, la voix de Dom, l’un des producteurs, me parvient depuis le bureau du grand manitou du programme. Ce branleur s’adonne à son passe-temps favori : me démonter auprès de la prod.   

— J’avoue, il a une belle gueule, mais ça ne suffit pas, putain ! peste-t-il. Notre show a besoin de types qui ont du talent. Un véritable talent. Ouvrez les yeux, nom d’un chien ! Sa place est dans la vitrine d’une boutique Abercrombie, pas dans l’émission ! 

Je ronge mon frein en silence tandis qu’une maquil- leuse s’applique à me débarrasser du fond de teint et de la poudre dont on nous tartine le visage avant le tournage. Les cloisons étant aussi nes que du papier à cigarette, je ne perds rien de sa logorrhée. Et cette couille molle de Dom le sait. 

— Pour être honnête, je ne pige pas ce que vous lui trouvez, boss, poursuit-il. 

Mon poing me démange, ma peau est brûlante et l’organe qui me sert de cœur palpite à une vitesse phénoménale. J’ai une envie furieuse de casser des gueules, en commençant par la sienne. En fait, c’est simple, depuis que je suis la vedette de Los Angeles Ink, il essaie par tous les moyens de me faire virer. Ça le rend malade à en crever de m’avoir cédé les commandes de son show. 

Le business, baby... 

Quand mon front et mes pommettes retrouvent leur teinte d’origine, je chope mon blouson en cuir, mes clopes, et prends le chemin en sens inverse. J’ai besoin d’air. 

Alors que je passe devant la porte ouverte du bureau du big boss, ce dernier contourne mon meilleur ennemi et m’arrête. Pour me masturber l’ego, je suppose. 

— Tristan, je tenais à vous féliciter, vous avez encore une fois explosé tous les records d’audience. La diffusion du dernier épisode vient d’atteindre le million de vues sur YouTube et l’émission a été propulsée en haut des tendances de la semaine. Rendez-vous compte, le direct live sur Facebook a carrément fait planter le serveur ! 

J’acquiesce sans montrer aucune émotion. En réalité, je m’en torche le cul de ses boniments. Tant que je récupère mon chèque, le reste ne m’intéresse pas. 

— Le show casse tout bonnement la baraque, ajoute- t-il, des dollars scintillants à la place de ses iris. 

Il semble attendre une réaction de ma part. 

— Là, tel que vous me voyez, je suis au comble de l’excitation. 

Derrière lui, Dom me mate de son habituel regard mauvais. Je penche la tête sur le côté et le salue avec mon majeur. 

— Bref, continuez comme ça, fils. 

Fils... 

OK. Ça va, ça suffit le léchage de bottes. Je mets un terme à notre conversation et m’éloigne jusqu’à la porte métallique du hangar qui abrite le studio. J’ai les nerfs à vif, mes mains sont prises de tremblements frénétiques. Je dois m’en griller une de toute urgence. Crise de manque de merde. 

D’habitude, j’arrive à gérer mieux que ça. Mais il faut croire que les monstres du passé se languissent de me torturer. Tapis dans l’ombre, ils guettent le bon moment pour m’attirer dans les ténèbres. Rajoutez à ça ce trou du cul de Dom qui me pousse à bout à longueur de temps, pas étonnant que je sois à deux doigts de péter un câble. impitoyable de LA Ink, chantonne la voix off qui parasite mon esprit. 

Une fois à l’extérieur du studio, j’incline la tête et lève mon regard vers le ciel. Le soleil taquine l’horizon et, dans un dégradé rouge orangé, s’apprête à laisser place à une nuit sans étoiles. Je reste un instant, comme ça, le nez en l’air. 

— Tris, on se rejoint au pub? demande Monroe, tatoueur également, et l’un de mes seuls vrais amis. 

Concentré sur l’immensité qui nous surplombe, je hoche la tête sans lui accorder un regard. Il ne s’en formalise pas, il l’a habitude avec moi, et continue son chemin. Une minute passe, peut-être moins, je ne me rends pas vraiment compte. Quand je reviens à moi, le manque me foudroie brusquement et sans crier gare, je vacille tandis qu’un mal de crâne me bouffe le cerveau. 

Je coince un joint au coin de mes lèvres, l’allume et tire une latte. Je suis une loque, j’en ai conscience. Je sais aussi ce qu’il me faut : aspirer la dose libératrice. Heureusement, j’ai toujours ce qu’il faut sur moi. Pour planer, pas besoin d’ailes. 

Après mon sniff, je suis loin. Loin d’ici.

Loin de tout.

Loin et libre. 

Ma vue se brouille, mes pupilles se dilatent, je savoure en n la sensation de légèreté qui m’enveloppe, le soulagement est immédiat. Je peux presque sentir l’apaisement couler dans mes veines, s’in ltrer dans mon système, s’enrouler autour de mes organes. Le remède est grisant, le poison dévorant. 

Le dos calé contre la façade en préfabriqué du studio, je me délecte de mon cocktail au goût de fiel, le regard perdu sur les volutes de fumée qui s’échappent de mes narines. Voluptueuses, elles ressemblent à de minuscules fantômes nacrés qui tournoient dans une lente danse macabre. 

Quand j’ai fini, je rejoins mon pote de galère au Chesterton, un pub irlandais situé à deux pas d’ici. L’endroit est notre sanctuaire pour un before sans pression avant le début de la soirée à proprement parler. 

En n, surtout pour moi. Monroe ayant trouvé l’amour de sa vie genre à l’école primaire, il se contente de partager quelques verres avec moi avant de rejoindre sa copine au Cedars-Sinaï, l’hosto où elle bosse presque non-stop. 

À peine ai-je poussé la porte du Chester que je suis assailli par les ri s celtiques crachés par les basses. Bodhi, derrière le bar, me repère et me salue d’un signe de la main. Mes chaussures couinent à chaque pas sur le plancher crasseux. Les relents d’alcool, de fumée et de sueur emplissent l’air. 

Ici, ni strass ni paillettes. C’est crade, ça pue et pour- tant, c’est là que je me sens le mieux. Peut-être parce que je suis à ma place, justement. Je me pose sur le tabouret voisin de celui de Monroe. 

— Mon pote, qu’est-ce que je te sers ? Comme d’hab ? me questionne le barman. 

Je réponds par un léger hochement de la tête. La seconde suivante, mon verre claque contre le zinc. J’ignore mon voisin de gauche qui se gratte les par- ties sans aucune gêne et rive mon regard droit devant moi. L’écran plat est constamment réglé sur la chaîne sportive, ce qui veut dire: zéro émission de téléréalité et, par extension, aucun risque de voir ma tronche en 16/9e. 

Le cerveau embrumé, je suis la rencontre qui oppose les Mariners de Seattle à nos Dodgers locaux, mais mon regard s’éparpille et se promène sur le miroir qui tapisse l’arrière du comptoir. J’y aperçois mon re et en version psychédélique. Roe se penche vers moi pour me con er des trucs dont je n’ai pas grand-chose à foutre. J’avale quelques traits de mon whisky en l’écoutant d’une oreille me parler de ses projets d’avenir. Il a assez de blé de côté, une belle baraque, et vient de demander sa copine en mariage. 

— Je vais filer ma démission, je voulais te le dire en premier, lâche-t-il soudain. 

Quoi ? 

Je le mate du coin de l’œil et fronce les sourcils.

— Attends, t’es sérieux ?

— On ne peut plus sérieux. J’en ai ma claque de tout ça, j’ai envie de me poser, d’avoir des enfants, fonder ma propre famille, quoi ! 

Je réprime le frisson de dégoût qui me parcourt le corps. 

— Tris, ça va ? On dirait que tu vas gerber, se marre- t-il en faisant tinter les glaçons dans son verre. 

— Je m’interroge sur ta santé mentale, c’est tout. 

— Ma santé mentale? M’en veux pas, mais pour quelqu’un qui est défoncé H24... 

OK, il marque un point.

— J’admets. Mais, mec... un mioche ?

Il con rme par un sourire ridiculement niais avant d’ajouter:

— Tu changeras d’avis dans quelques années.

— Aucune chance. J’aime trop ma vie telle qu’elle est. 

— Rassure-moi, Tristan, t’as conscience que tout ça, nos carrières, le succès, la gloire, l’émission, le pognon, les meufs, c’est éphémère ? 

Mon silence est éloquent. Pour être honnête, je vis le moment présent sans me poser de questions, point barre. Le reste : je m’en tape ! 

— En n bref, je me vois bien avec une famille nombreuse, genre deux filles et deux garçons. Je sais que tu vas trouver ça tordu, mais Debbie et moi, on a même préparé une liste de prénoms. 

Je fais signe au barman, il pige direct et nous sert une nouvelle tournée. 

— Tristan, tu veux les entendre ? 

— Ouais... Bien sûr, ça me plairait autant qu’avaler un acon d’arsenic. 

Je siffle mon verre cul sec pour faire passer la bile. 

Quoi ? C’est pas de ma faute si je suis allergique à toute cette guimauve. 

J’observe Monroe, ses longs cheveux lui tombent dans le dos, sa peau mate est presque aussi tatouée que la mienne. Il a des écarteurs aux oreilles et une belle collection de piercings répartie entre son arcade sourcilière et sa lèvre inférieure. 

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai du mal à l’imaginer en train de pouponner. Au moins, je sais quoi lui o rir en cadeau de naissance : une corde. 

— On en reparlera quand tu auras rencontré la bonne, raille-t-il en me pointant du doigt. 

— Pour ton info : elles sont toutes bonnes.

Il secoue la tête, l’air franchement dépité.

— Je ne parle pas des meufs que tu lèves à la pelle, 

mais de celle qui chamboulera ton univers et remettra en cause toutes tes perspectives. La seule. L’unique. 

— Mon pote, tu me vois vraiment baiser la même chatte jusqu’à ma mort ? 

Il éclate de rire, et, l’esprit nimbé par un combo de drogue et d’alcool, je me joins à lui. La tournure que prend la discussion me fait marrer. En revanche, ce qui est moins drôle, ce sont les appels répétés qui font vibrer ma poche arrière. 

Je lève le coude et descends le reste de mon whisky tandis que mon téléphone s’excite à nouveau. Je mate ma montre : plus de minuit. 

Évidemment, ça ne peut être que Sheryl. 

Sheryl: Bordel, pourquoi tu ne me réponds pas, Tristan de mes couilles? T’es attendu au Closed dans une heure. Grosse soirée! Une voiture passe te prendre dans 5 minutes. T’as plutôt intérêt à y aller. 

J’hésite fortement à l’envoyer chier a n qu’elle se rentre dans le crâne que c’est moi qui paie son putain de salaire. Mais je sais aussi que ça ne servirait à rien sinon à asseoir la réputation de gros connard que je traîne comme un boulet au pied. 

Et puis, selon la production, c’est bon pour mon image d’être vu dans les endroits les plus hype de la ville. C’est à ça que sert Sheryl Kyle. Son taf est de gérer mes sorties et de faire en sorte que je sois au bon endroit, au bon moment, histoire qu’on parle de moi dans les torchons dont raffole la ménagère de moins de cinquante ans. La stratégie porte ses fruits puisque tout le monde s’arrache Tristan Jaymes. Des clubs sont prêts à raquer un max pour m’avoir. Sauf que j’en paie aussi le prix. 

Un soupir silencieux m’échappe alors que j’imagine déjà tous les appareils photos à l’a ût, braqués sur ma gueule. 

— Je m’arrache, lancé-je à Monroe. 

— Quoi, déjà ? C’est la discussion sur les gosses qui t’a fait faire dans ton froc ? 

— Ferme-la, le devoir m’appelle. 

Ce dernier a che un regard compatissant avant de me souhaiter bonne chance. 

— Bonne chance ? Pour quoi faire ? T’as l’air d’oublier que tous les mecs de la terre seraient prêts à vendre leurs mères pour être à ma place ! rétorqué-je en sortant mon portefeuille. 

C’est toujours moi qui rince.

— Ouais, c’est ça ! Tous les mecs de la terre... sauf un. 

— Qui ça? Toi?

Quel sale hypocrite.

— Non, toi.   

Sa réponse me prend au dépourvu. Je l’ignore et, les dents serrées, je me dirige vers la sortie sans me retourner. Ça me fait chier que ce connard me connaisse si bien... 

Comme prévu, une fois dehors, la voiture m’attend. Je m’installe à l’arrière, débranche mes neurones tandis que le chauffeur démarre et roule dans l’obscurité qui nous avale dans ses entrailles. 

Au programme de la soirée : tâcher de ne pas crever d’une overdose. 

Chapitre 2

Tristan

Installé dans le carré VIP, entouré de guignols dont j’ignore le nom, je me cale contre la banquette en cuir blanc et embrasse la piste de danse du regard. Dans mes tripes, je ressens chaque note de musique et chaque vibration. L’adrénaline irrigue mes veines à toute vitesse. Quelques paparazzis sont là. Difficile d’ignorer les flashs qui crépitent. Dès demain, les photos seront vendues au plus o rant et feront le tour du pays. C’est le jeu, j’en ai conscience. J’imagine déjà les gros titres: «Tristan, le roi de la night... et de la white. » 

Les narines irritées, je sens une puissante boule d’énergie qui crépite à l’intérieur de mon corps et m’électrise tout entier. Je me sens fort, blindé, indestructible, prêt à défier n’importe qui, à affronter le monde. Je ne calcule plus personne, pas même les mouches à fruits qui gravitent autour de moi, m’adulent et se prosternent à mes pieds. Je suis leur héros ! D’ailleurs, si je le voulais, je pourrais voler, j’en suis sûr! Sans cape, sans costume à la con, simplement en écartant les bras. 

— Il me faut un nom, m’entends-je prononcer en ricanant. 

Baiseman... C’est pas mal, non ? 

J’imagine le projecteur à mon effigie. Une grosse queue lumineuse déchirant le ciel pour que je rapplique toutes boules dehors. 

Un blondinet avec une sale gueule m’observe de l’autre côté de la table. Je suis tellement déchiré que je ne me souviens ni de son nom ni de ce qu’il fout dans mon espace. 

— Mec, pourquoi tu te marres ? Allez... Fais pas ton égoïste, on veut tous savoir ! me balance-t-il. 

— Je me disais : ta mère aurait dû t’avaler. 

Le sourire de mon nouveau pote s’éteint à mesure que les rires enflent. Je le fixe sans ciller, mon regard oscillant entre le sien et le verre vide devant moi. Il com- prend le message et se lève en soupirant. Les discussions reprennent autour de nous pendant que sa copine me mate sans vergogne. Elle suit son mec des yeux alors qu’il se dirige vers le bar et glisse sur la banquette pour se rapprocher de moi. Sans m’adresser le moindre mot, elle me roule une pelle. Un grognement m’échappe quand elle enfonce sa langue dans le fond de ma gorge. Bien que je sois le pire des enfoirés, je me fixe certaines limites. Je m’écarte, réajuste mon futal, mon sou e caressant ses lèvres rougies. 

— Tentant, mais ça ne va pas le faire. 

Vexée, elle se renfrogne, puis, quand son mec réapparaît avec mon verre, elle se lève et l’entraîne sur la piste. C’est ça, cassez-vous les nazes ! 

Les heures passent, la table se remplit et la chaleur devient de plus en plus suffocante. Toutes les nanas se trémoussent au rythme du son électro mixé par un DJ de renom tandis que je me sens à l’étroit dans mon jean ainsi que dans mon propre corps qui à présent me démange. Une tension contracte mes muscles et s’accumule dans mon membre qui se gorge de sang. Il est tendu comme une arbalète, je sais ce que réclame mon organisme. Mais d’abord, un petit tour par les chiottes s’impose. 

Chargé à bloc, je peux sentir le sniff d’héro se répandre dans mes cellules. C’est comme une vague qui m’ensevelit, décuple mes perceptions, affûte mes sens. Résultat : je ressens chaque détail avec une acuité exponentielle. 

OK, je déclare qu’il est grand temps de mettre les voiles, mais pas avant d’avoir tiré un numéro gagnant. Je sors des toilettes, traverse la piste de danse et retourne à ma place. Mon regard survole la salle et étu- die le menu de ce soir. Il y en a pour tous les goûts, mais elles ont toutes un point commun : elles me reluquent avec avidité. 

Je suis à vous, mesdames. 

Je sens courir sur moi leurs prunelles avides. Le langage corporel ne trompe pas. Elles crèvent d’envie de m’avoir. 

Elles m’aiment. Moi aussi, je les aime. De préférence à poil et gémissant mon nom. 

Mon attention se porte sur une brune au corps de déesse, le cul superbement moulé dans une minijupe en cuir qu’elle dandine sous mon nez. Ding, ding, ding... Il semblerait que j’aie trouvé la candidate parfaite. 

Je l’évalue en silence tandis qu’elle n’arrête pas de remuer. Ma queue frétille d’impatience de faire sa connaissance. 

— Si on allait s’amuser un peu... à l’écart ? me souffle-t-elle soudain à l’oreille. 

Voilà une offre qui ne se refuse pas. Harponné par ses yeux noisette, j’accepte l’invitation, imaginant déjà ses lèvres pulpeuses autour de mon sexe. 

Sa main dans la mienne, je l’entraîne dans un coin à l’écart, au fond du club. Dans le corridor qui mène aux vestiaires se trouve un renfoncement qui fera l’a aire. 

— C’est quoi ton nom, déjà ? 

Ma partenaire me répond par un sourire carnassier. OK, peu importe comment elle s’appelle ! 

Une main sur mon torse, elle me plaque contre le mur pendant que l’autre se glisse dans mon jean pour saisir ma bite. Je lâche un soupir quand elle m’avale, à genoux entre mes jambes. Brusquement, une douleur à la poitrine me surprend et emballe mon cœur. Ce n’est pas elle qui provoque ma tachycardie, mais un effet secondaire de la neige que j’ai reniflée. Je vais crever, je le sais. C’est inéluctable, mais pour le moment, je préfère ne pas y penser et me concentrer sur la langue habile qui me déguste. 

Aux petites heures du matin, je suis a alé à l’arrière de la somptueuse limousine mise à mon service par la production a n de me permettre de rentrer chez moi sans encombre. Après tout, personne n’aimerait voir la star de l’émission perdre tragiquement la vie dans un stupide accident de la route... 

Bref, nous sommes à l’arrêt devant mon immeuble depuis cinq bonnes minutes et la brune canon de la soirée est à présent en train de coulisser lentement sur ma queue. 

Derrière le volant, le chauffeur ne bougera pas de sa place tant que je ne lui aurai pas fait signe. Je crois que le souvenir de mon cul contracté en pleine séance de baise de l’autre jour va le hanter encore longtemps. 

Bruits de succion et gémissements emplissent l’habitacle tandis que je me décharge en... 

— C’est quoi ton nom déjà, bébé ? 

Cul Sublime relève ses pupilles dilatées vers moi et, pour toute réponse, j’obtiens un borborygme incompréhensible. 

— Tu m’excuseras, je comprends que dalle.

— Tu es tellement drôle, ricane-t-elle en se rhabillant. Si elle le dit... Je remonte mon pantalon, sors de la voiture et n’oublie pas de rétribuer grassement mon chauffeur pour ses services. 

— Merci, monsieur Jaymes.

— Appelez-moi Tristan.

Il acquiesce, mais continuera à m’appeler par mon patronyme.

Les sourcils froncés, je me concentre pour composer 

le code de l’ascenseur, mais le clavier bouge sans arrêt si bien que je ne m’en sors pas. Une fois à l’intérieur de la cabine, je presse le bouton de l’appartement-terrasse. 

— Waouh, tu occupes tout le dernier étage ! s’exclame mon invitée, impressionnée. 

Les portes s’ouvrent sur le salon, je fais un pas sur le côté et l’invite à pénétrer dans mon antre. La bouche grande ouverte, elle fait un tour sur elle-même puis m’indique l’ascenseur en gloussant : 

— Donc, s’il tombe en panne... Tu restes ici pour toujours, coincé au sommet de ta tour d’ivoire ? 

Tour d’ivoire? Ai-je l’air d’une foutue princesse de contes de fées ? 

— Il y a un escalier et un ascenseur de service dans le couloir juste derrière, précisé-je, en lui désignant la porte d’entrée de l’appartement. 

— D’accord, je me disais aussi... En tout cas, c’est magnifique, dit-elle en me matant des pieds à la tête. 

Son regard est lourd de désir. Je m’éclaircis la voix et, bien que mon taux d’alcool frise l’indécence, je n’en oublie pas la politesse élémentaire. 

— Tu as envie de boire quelque chose ? 

— J’ai envie de toi, murmure mon invitée en s’humectant les lèvres. 

— Je suis à toi. 

Pour aujourd’ hui uniquement. 

Ses mains agrippent les deux pans de ma chemise et tirent dessus d’un geste sec, faisant voler les boutons dans tous les sens. 

— Tu viens de ruiner ma chemise, lui fais-je remarquer entre deux baisers. 

— Toutes mes condoléances, vous étiez ensemble depuis longtemps ? 

— Assez, ouais. Comment comptes-tu te faire pardonner ? 

— Je n’ai pas besoin de plus de préliminaires, me susurre-t-elle. 

Je l’entraîne vers ma piaule. Nos fringues se retrouvent vite par terre. Entre ces quatre murs, pas de place pour la tendresse. Uniquement de la pure baise. 

Sauvage.

Bestiale.

Si elle prend son pied, de mon côté, je ne ressens rien, aucune satisfaction. Je me contente d’assouvir un besoin primaire. 

*** 

Quand j’ouvre les yeux, le soleil me crame les rétines. Mais il y a bien pire que d’avoir oublié de fermer les rideaux. Là, tout de suite, mon problème serait plutôt cette silhouette qui se tient devant la baie vitrée. 

Qu’est-ce qu’elle fiche encore là ? 

Je me redresse un peu trop vivement tandis qu’elle se retourne vers moi en souriant. 

— C’est splendide.

— Merci, je suis au courant...

Au prix où j’ai payé cet appartement !

Mon absence de réaction ne semble pas la perturber car elle s’étire en bâillant avant d’ajouter :

— Je meurs de faim.

OK, c’est mignon tout ça, mais ça ne va pas le faire. D’autant qu’un rapide coup d’œil sur ma montre m’indique que je suis grave à la bourre pour le tournage. 

Au même moment, mon téléphone sonne. 

C’est Dom... Évidemment. Je devine d’avance le motif de son appel: m’incendier pour mes retards répétés. 

Faudrait savoir, espèce d’enculé! Tu veux que je fasse la pub de l’émission ou que je sois à l’heure... maugréé-je en me prenant la tête entre les mains. 

J’attrape mon paquet de clopes, en colle une entre mes lèvres sans même sortir du lit. 

— Le tabagisme passif, ça te parle ?

J’arque un sourcil dans sa direction.

— La sortie, ça te dit quelque chose ?

Mon invitée (qui n’est plus la bienvenue depuis que 

j’ai ouvert les yeux) pige le message et se décide en n à se bouger le cul. 

Au revoir, à jamais. 

La sonnerie de mon téléphone retentit à nouveau. Je décroche en soupirant. 

— Bordel, Tris ! Je peux savoir ce que tu fiches, espèce de petit branleur de mes deux ? 

Je décolle mon oreille de l’appareil. À présent adossé à la tête de lit, je tire une nouvelle taffe pour m’envoyer directement une décharge de nicotine dans les poumons. Les yeux fermés, je sens poindre une putain de migraine atroce qui monte crescendo à mesure que les insultes pleuvent à l’autre bout du l. 

— Tristan ? Tu m’écoutes ? Tris ? Tu vas me répondre, putain de merde ? 

J’inspire une bouffée supplémentaire. Il va me falloir quelque chose de plus fort pour supporter cette discussion. 

— Je ne suis pas sourd, connard ! me décidé-je à répondre. 

— T’es vraiment une petite merde, Jaymes !

Les mâchoires contractées, je réponds :

— Une petite merde qui te permet de te faire des couilles en or !

— Et tu crois que ça te donne le droit de faire attendre tout le monde, sombre abruti ? Enregistre ça dans ta cervelle : bientôt, tu tomberas de ton piédestal la gueule la première et il ne te restera plus qu’à retourner dans ce trou à rats où je t’ai pêché. 

Un profond sentiment de rage me saisit à la gorge. Je raccroche sans ménagement avant que les souvenirs nauséabonds n’a uent à la surface. 

Trop tard, les contours ous d’un gosse servant de punching-ball à son enfoiré de paternel me reviennent avec force. 

Selon lui, je n’étais qu’un bon à rien. Mais tant qu’il ne touchait pas à ma mère, je pouvais encaisser les coups. Et encaisser encore... Des années à m’en prendre plein la tronche, en attendant de pouvoir me tirer loin de lui. Ma seule échappatoire était le dessin. 

Un crayon, une feuille et j’étais ailleurs. À mille lieues du chaos, des reproches incessants et de la violence. J’avais onze ans et je voyais le monde en couleurs. Puis ma mère est morte sous ses coups, réduisant mon univers à une seule nuance : le noir. 

Quand il a été envoyé en prison, je me suis retrouvé au foyer de Skid Row. 

La sonnerie de l’entrée me ramène à l’instant présent. Je cille et me rends compte que quelqu’un s’acharne sur ma porte. Décidément, ils se sont tous fait passer le mot pour me faire chier, on dirait ! 

J’éteins ma clope, m’extirpe de mon pieu et en le mon jean de la veille en fulminant. 

Bam bam bam... 

— Ça va, je viens ! 

Bon sang, je vais me faire le plaisir d’accueillir avec le poing ce visiteur inopportun. 

J’attrape la poignée, ouvre la porte et... reste figé comme un con. 

— C’est une blague, c’est ça ? 

Commander Stairway to heaven