Putain de karma de merde !
Le passé vient de m’envoyer une balle en plein dans le crâne. Il a ressurgi sous les traits d’une meuf que je croyais ne plus jamais revoir, et qui est actuellement mariée à un toubib.
Mariée.
La blague, bordel ! J’ai dû sacrément faire chier les dieux pour me prendre un tel revers. Ce soir, je réalise que dix années peuvent tout changer… ou bien pas du tout. Une décennie devrait suffire à balayer la colère, non ? Ou au moins à la rendre plus supportable. Je le croyais, jusqu’à ce que cette pétasse revienne dans cette ville comme si de rien n’était.
– Arrête de picoler comme un trou, lâche Gun en s’installant à côté de moi. Tu en es à combien de verres ? Et pourquoi tu te fous une mine, d’abord ? Qu’est-ce que tu as sur le cœur ?
Des émotions négatives que même l’alcool ne parvient pas à effacer ni à maîtriser.
– J’ai rien de mieux à faire, grogné-je. Qu’est-ce que tu me veux ?
Au lieu de me répondre, mon meilleur pote pousse un soupir faussement rêveur.
– J’ai hâte de voir la gueule des tatouages que tu feras à tes clients demain matin. Je veux des photos.
– Ils seront parfaits, comme toujours, assuré-je.
– Ouais, en attendant, je m’inquiète pour toi. En bon vice-président, c’est normal que je prenne des nouvelles de mes troupes !
Il m’énerve, à se pavaner. Mais, dans le fond, il a raison. Le bras droit du chef se doit de veiller à ce que ses soldats puissent se foutre au garde-à-vous dans la seconde. Il ne parle pas d’alcool, parce que les soirées beuverie on ne les compte plus au sein du club. Il cherche surtout à me sonder à propos de mon état émotionnel.
– Je veux juste me détendre un peu, OK ?
Pour l’instant, le bar des Styx Riders est fermé au public : j’en profite pour picoler tranquillement. D’ici une heure, les lieux seront pleins à craquer de civils et de motards à la recherche de sensations fortes ; de filles venues pour la baise et de bikers tous plus frappés les uns que les autres. Le Purgatoire deviendra le repère des âmes damnées, comme trois fois par semaine depuis plus de dix ans. Pas que je m’en plaigne : les ouvertures au public permettent de blanchir l’argent des armes qu’on vend à travers le pays.
Gun commande un verre au barman, avant de redevenir sérieux.
– Allez, je veux tout savoir, insiste-t-il. Pourquoi tu chiales comme une vierge à qui on vient de trouer le cul ?
– Lâche-moi. Pas ce soir.
– Aucune chance. Réponds-moi, c’est un ordre.
Vice-président ou pas, j’ai envie de lui envoyer une bonne droite. Ça m’arrive de le faire, même si je me mange le revers de la médaille en pleine tronche ensuite. Gun et moi, c’est du solide. On se connaît depuis qu’on est mômes : mon paternel l’a élevé comme son propre fils. Voilà pourquoi il ne lâche pas l’affaire. Face à n’importe quel autre membre du club, il aurait sans doute attendu que la situation sente moins le roussi pour le forcer à parler. Mais je ne suis pas n’importe qui. Et lui non plus. Les hauts gradés se doivent de garder la tête hors de l’eau, j’en ai bien conscience.
– Je t’écoute, frangin, reprend-il. Parle-moi. Qui est-ce qu’on doit aller buter ?
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la dévotion de cet abruti me touche profondément.
D’abord, les mots refusent de franchir mes lèvres. J’ai l’impression que, si je parle, de la merde sortira de ma bouche, assez pour que je me noie dedans. Du coup, j’inspire, je vide mon verre de bourbon d’une traite et j’attends que la rage cesse de couler dans mes veines. Je peux patienter longtemps… C’est bien connu qu’Ash Devon ne contrôle pas sa colère, et ce soir ne fait pas exception à la règle.
Enfin, je crache le morceau :
– Shirley est revenue.
Gun recrache sa boisson par tous les trous sous l’effet de la surprise. Je frappe dans son dos pour éviter qu’il clamse. Les mèches blondes échappées de son chignon dégueulasse trempent dans son verre alors qu’il tente de se remettre de la nouvelle. D’habitude, il est plutôt pâlot sous sa barbe claire, mais là il est tout rouge.
– Putain ! Shirley ! s’exclame-t-il.
– Ouais. Shirley.
Je commande un nouveau bourbon avant de l’avaler sans hésiter. Mon frère et moi restons un long moment silencieux. Cette connerie se passe de mots, je crois.
– Comment tu le sais ? finit-il par me demander.
– Je l’ai croisée à un carrefour l’autre jour. J’étais pas certain que c’était elle, alors pour m’en assurer j’ai envoyé Isaac enquêter.
Isaac fait partie des prospects des Styx Riders. Quand un mec veut entrer dans un club de bikers, aussi appelé un MC, il passe d’abord par la case « période d’essai ». Pendant quelques mois il devient le larbin des membres, et on l’envoie effectuer toutes sortes de missions merdiques. Par exemple, passer la nuit devant une maison pour rapporter des infos sur l’ex de son supérieur hiérarchique.
Je dois avouer que j’ai fait galérer Isaac, juste pour gagner du temps et réfléchir à l’éventualité du retour d’une certaine rouquine.
Tu parles. La réflexion ne m’a pas aidé à encaisser quand mes doutes ont été confirmés.
– Tu t’en branles, elle appartient au passé, lance Gun.
C’est bien la réflexion de quelqu’un qui n’a pas connu la douleur liée à un foutu cœur brisé, ça… Je n’en veux pas à mon ami : il n’a jamais été amoureux, lui.
L’amour. Vraiment une invention de la pire espèce !
– Qu’elle aille au diable, cette pute, conclut le vice-président face à mon silence.
Mon verre frappe le sien et un sourire étire mes lèvres.
– Amen, mon frère.
On finit par se lancer dans une partie de billard en évitant le sujet « Shirley ». Quelques gars se joignent à nous, l’ambiance dans ma tête passe de pesante à familiale. Gold, un membre de ma petite équipe perso d’enforcers, me propose un pari pour pimenter un peu la soirée, même si je me doute que c’est pour me remonter le moral. D’habitude il préfère ne pas trop s’impliquer, pourtant. Si je gagne, il bichonne ma bécane pendant trois semaines. Si je perds, en revanche, je devrai l’appeler « maître » pendant la même durée.
– Elle te vient d’où, cette idée à la con ? lui demandé-je.
– De Cassiopée. Elle prétend que je ne m’amuse pas assez.
La petite sœur de mon enforcer a des idées bien louches, quand même…
– OK. J’espère que tu vas kiffer nettoyer ma bécane, ricané-je.
Il me répond par un sourire plein d’assurance. Je prends le premier tour, lui le second et ainsi de suite. Chaque coup frappé dans les boules de billard me libère de mon humeur massacrante. Passer du temps avec mes frangins m’aide à gérer mon trop-plein d’émotions. Pour affronter les obstacles de la vie, il n’existe rien de mieux que le club, cette famille que je me suis choisie, composée de gros malades sur qui je peux compter.
Comme prévu, je gagne. Devant la mine faussement dégoûtée de Gold, je lance :
– Ma moto a besoin d’un bon nettoyage. Genre, maintenant.
L’enforcer capitule sans la moindre résistance. Un pari, c’est un pari. Il sort du Purgatoire en maugréant dans sa barbe qu’il ne suivra plus les conseils de sa sœur. Je tape dans les poings de Gun et retourne m’installer au comptoir avec lui.
– Rassure-moi, Ash, tu comptes pas faire le con ? me demande-t-il lorsque nous sommes loin des oreilles indiscrètes.
– Je n’ai pas l’intention de cramer la baraque de ma charmante ex, si c’est ce que tu cherches à savoir.
– Je te connais, tu en serais capable. C’est pour ça que je me sens obligé de te rappeler que le club n’a pas besoin d’un homicide sur les bras. Du moins, pas le genre d’homicide qu’on serait incapables de planquer.
Je grimace tout en précisant :
– Quadruple homicide. Shirley s’est maquée, ils ont deux gosses.
– Merde alors.
J’avoue, l’idée m’a traversé l’esprit d’aller rendre visite à la petite famille. Puis je me suis rappelé que j’avais bientôt trente piges, plus quinze. Je suis censé savoir contrôler ma frustration. Je resterai le plus loin possible de cette meuf et des démons qu’elle a apportés avec elle, ce sera mieux.
– Je ne leur ferai rien, affirmé-je.
– Tu m’en vois ravi, réplique Gun. Au fait, j’ai croisé Buck sur la route, tout à l’heure. Il m’a demandé de te donner ça.
Mon frère sort de sa poche un morceau de papier sur lequel sont inscrits les noms et adresses de plusieurs mauvais payeurs qui nous doivent de l’argent. Le club se débrouille pas mal dans l’art de se procurer et de vendre des armes, mais il arrive que certains clients oublient qu’on sait aussi faire disparaître des corps.
– Parfait, dis-je. J’ai une furieuse envie de calmer mes nerfs, tu vois.
Gun claque ses mains sur le comptoir, puis se lève.
– Quand tu seras sobre, décrète-t-il.
– Va te f…
– C’est un ordre, sergent. Quand tu seras sobre.
Une demi-heure plus tard, le bar ouvre ses portes au public. Je décide qu’il est temps pour moi de me barrer mais, au moment où je me prépare à foutre les voiles, une nana vêtue de cuir me rejoint, armée d’un sourire qui en dit long sur ses intentions. Elle fait partie des brebis, ces filles faciles qui gravitent autour des clubs de bikers. Elles pensent que, par le sexe, elles obtiendront une place auprès des mecs du MC. Sauf que nous sommes des enfoirés qui ont l’habitude de prendre, mais pas de donner.
J’observe la fille de la tête aux pieds, prenant conscience qu’une partie de jambes en l’air me permettra de décompresser. Elle a des tatouages sur le ventre et au-dessus de la poitrine. Je les reconnais : c’est moi qui les ai encrés sur sa peau. Et je me souviens de chacune de mes créations.
La brunette se glisse contre moi. Elle est loin d’être repoussante. Son parfum bon marché vient caresser mes narines tandis qu’elle me susurre :
– Salut, Ash. Tu n’as pas l’air d’avoir le moral ce soir. Je t’ai vu bouder, je me suis dit que tu aurais envie de compagnie.
Elle connaît mon nom. Je n’ai pas retenu le sien.
– Tu ne te souviens pas de moi, devine-t-elle avec une moue désolée.
– Si, bien sûr.
Elle gobe mon mensonge avec un sourire ravi. J’avale mon dernier shot, le claque sur le comptoir et enroule mon bras autour de la taille de la demoiselle.
– Tu as quelques minutes à m’accorder ? lui demandé-je.
– Même toute la nuit, si tu veux, me répond-elle.
Son regard se charge d’un appétit féroce ; son désir coule sur ma peau jusqu’à me faire bander.
– Pas la peine, déclaré-je. Une demi-heure suffira.
Je ne compte pas la baiser, une gâterie fera largement l’affaire. Je veux juste qu’elle soulage mon crâne de toutes mes pensées merdiques. Je l’attire dans une arrière-salle réservée aux membres du club et ferme la porte à clé. Immédiatement, le bruit de la musique s’atténue. Ça fait du bien.
Je déboucle ma ceinture, baisse mon futal et sors ma queue. La brunette comprend le message. Tel un prédateur, elle s’agenouille, attrape mon sexe dans sa main et l’entoure de ses lèvres. C’est le moment où je décide de ne plus réfléchir. Je prends appui contre la porte, la tête renversée en arrière. Je me laisse embarquer sur un océan de bien-être éphémère. La langue de la fille calme les tensions que j’ai accumulées les trois derniers jours, anesthésie mes muscles et mon âme.
Cette nana est douée. Elle calque ses mouvements sur mes pensées, comme si elle les percevait. Les minutes s’allongent, mon plaisir décuple. La brebis lâche quelques gémissements. Me tailler une pipe réveille son excitation, on dirait.
Le divertissement est toutefois de courte durée. L’image d’une certaine rousse aux grands yeux verts s’impose dans mon esprit. Ce visage aussi magnifique que démoniaque balaie mon désir. La réalité reprend ses droits, vient me foutre une patate en pleine gueule.
– Putain, Shirley ! m’écrié-je.
– Je m’appelle Cristal, me corrige la brebis.
D’une main, je la repousse et la force à se relever. J’ai débandé aussi sec en songeant à mon ex. Il n’y a plus de plaisir en moi, rien que de la colère.
Je reboutonne mon jean sans un regard pour la brunette.
– Attends, c’est tout ? s’impatiente-t-elle.
Elle espérait m’enfourcher, de la même manière qu’elle espère enfourcher la bécane d’un membre un jour. Ça n’arrivera jamais : cet honneur est réservé à nos femmes, à ces êtres d’exception capables de nous accepter corps et âme. Autant dire que celle qui m’est destinée sait se faire attendre.
– Retourne à côté et trouve-toi un autre gars, conseillé-je à Cristal. Ils sont chauds ce soir.
Sur ce, je rejoins la salle principale, encore plus nerveux qu’auparavant.
Alors que je me dirige vers le comptoir pour prendre un dernier verre, je remarque soudain un changement dans l’atmosphère. Il est ténu, mais ne m’échappe pas. Je suis le regard de quelques motards pour identifier l’origine de ce trouble dans l’air. Une nana se tient debout au milieu de la pièce, l’air un peu paumé.
– C’est une blague ? ricané-je.
L’inconnue n’a rien à faire au Purgatoire. Elle est à l’opposé des nanas qui transpirent la rébellion, le sexe et la témérité que l’on trouve ici. Dans sa robe blanche à fleurs roses, elle ressemble à une gamine qu’on aurait balancée au cœur des enfers pour qu’elle se fasse bouffer toute crue. Ses boucles brunes ondulent sur ses épaules quand elle tourne la tête pour regarder autour d’elle, ce qui me permet de remarquer les plumes et les perles qui ornent ses cheveux.
Malgré tout, elle ne paraît pas terrifiée. Le visage détendu, elle observe ce qui l’entoure sans trahir le moindre jugement. J’attends le moment où elle se rendra compte que les loups ont la dalle et qu’elle ferait un bon repas. Ses yeux de biche s’arrêtent sur une brebis à moitié à poil, glissent sur un mec en train de gerber sur une table de billard.
Toujours aucune trace de dégoût sur ses traits chastes.
Soit elle est complètement défoncée, soit elle vient nous parler du bon Dieu et de la main salvatrice qu’il pourrait nous tendre.
Elle sourit, inconsciente du monde sombre et dégueulasse dans lequel elle vient de plonger. Encore une minute et elle s’y noiera. Faut pas se leurrer, le bien se fait bouffer ici.
Un motard la bouscule sans s’arrêter ; elle recule, grimace. Enfin, quelques rides d’inquiétude plissent son front. Elle a pigé, la petite !
Soudain, elle se tourne vers moi et plonge son regard dans le mien. Pendant une seconde, mon âme vacille. Elle retrouve son sourire, comme si elle venait de trouver en moi un protecteur. Tu parles d’une ironie : je suis sans doute le mec le plus dangereux du coin.
J’avance vers elle avec détermination.
– Tout public ne veut pas dire « tout public », en fait, l’abordé-je en faisant référence à la pancarte sur la porte du bar. Tu devrais foutre le camp.
– J’aimerais bien. Je suis là pour ça, d’ailleurs, me répond-elle. J’ai besoin d’aide.
Le silence s’abat sur moi et sur le type venu à ma rencontre. On dirait que ma réponse le surprend. Il n’a pas l’air d’apprécier de me trouver là, mais c’est le cadet de mes soucis. J’ai besoin de me reposer, de trouver un téléphone et de faire le plein d’essence. Je me sens cruche d’être tombée en panne. Si mon biker de père l’apprenait, il me balancerait un truc du genre : « Tu te fous de moi ? Je t’ai appris à retaper toutes sortes de bagnoles et tu as le culot de tomber en rade sur le bas-côté ? »
Ou alors il sauterait sur sa moto, prendrait des hommes avec lui et viendrait me chercher manu militari. C’est plutôt ça, son style.
En attendant, mon interlocuteur ne me répond pas. À la place, il me détaille de ses yeux bleu glace dont la couleur happe toute ma concentration. Ils m’évoquent l’océan étincelant sous un soleil de plomb. Une puissance tranquille les illumine de l’intérieur, mêlée à une étincelle bien plus carnassière.
– Vous m’avez entendu ? insisté-je. Je ne vous embêterai qu’une minute.
Aucun biker ne m’impressionne en dehors de mon père. Surtout qu’au vu de sa position de président international des Faucheurs – un club parmi les plus influents au monde –, aucun de ceux qui ont croisé ma route ne s’est risqué à tenter de m’en mettre plein la vue.
Cet inconnu n’essaie même pas, pourtant il y parvient avec brio. Grand et large d’épaules, il a ce physique imposant qui coupe toute envie de lui chercher des noises. Son visage transpire une dureté accentuée par ses cheveux coupés ras et ses nombreux tatouages.
– Bon, écoutez, laissez tomber, je vais me débrouiller, finis-je par lâcher. C’est gentil d’avoir pris la peine de venir me saluer. Bonne soirée.
– C’est bon, relax. C’est quoi ton problème ?
Me relaxer ? Je suis tout ce qu’il y a de plus détendue. En dehors de ma patience sur le point d’éclater en morceaux, tout va pour le mieux.
– Je suis en panne d’essence, expliqué-je. J’ai besoin d’un téléphone portable pour appeler une dépanneuse, le mien n’a plus de batterie.
– En panne d’essence, hein ? Pas de bol, réplique le type.
Il fait un autre pas vers moi. L’air devient plus lourd. Toutefois, malgré mon envie de reculer, je reste campée sur mes jambes. Si ça se trouve, il veut juste me tester ? Essayer de me faire peur ? Je me concentre sur les œuvres encrées sur sa peau pour ne pas avoir à croiser son regard troublant. Les dessins aux contours sombres s’épanouissent sur ses mains, sur ses bras, dans son cou. Je m’attarde sur le visage féminin sublime qui s’étale sur le côté de son crâne. Des serpents prêts à mordre remplacent sa chevelure et ses yeux ne sont que deux orbites vides.
– On t’a déjà dit que c’était impoli de mater les gens de cette manière ? me lance le biker.
Surprise, je me concentre à nouveau sur son visage et lui souris. Il a pris une expression taquine qui le rend beaucoup plus humain.
– Absolument, réponds-je.
Plusieurs dizaines de centimètres me séparent de l’inconnu, pourtant sa chaleur m’entoure. Elle n’a rien de désagréable, pas plus que son parfum qui taquine mes narines.
– Vous êtes membre d’un club de motos ? demandé-je pour faire la conversation.
Mon père porte une veste sans manches dans le même style que celle de l’homme qui me fait face, mais avec des écussons différents. Il m’a expliqué qu’on pouvait connaître le rang d’un biker dans sa hiérarchie aux patchs cousus sur son blouson. Je ne parviens pas à deviner celui de ce motard. En revanche, son appartenance à un club nommé « Styx Riders » est évidente.
– Tu mates mon cut ? remarque-t-il en plissant les paupières.
– Que signifie « Styx Riders » ? le questionné-je en retour.
Il avance encore d’un pas, et je me rends compte que je recule au moment où mes fesses frappent le bord d’une table. Incapable de me détourner, je reste figée pendant plusieurs secondes. La main du biker se lève avec lenteur ; mon cœur s’emballe, avant de manquer de s’arrêter lorsque ses doigts se posent sur la ligne de mon menton. Très vite, ils s’enroulent autour d’une plume bleue.
– Que signifie-t-elle ? me demande-t-il.
– Si je vous réponds, vous m’aidez ?
– Marché conclu.
Il tire une chaise juste derrière lui et se laisse tomber dessus. Ses pieds chaussés de bottes de moto se posent sur la table, juste à côté de moi. J’ignore ce qui me pousse à continuer à discuter avec lui parce que, franchement, il mérite des claques. Mais j’entre dans la partie, curieuse de savoir s’il tiendra parole.
– C’est mon père qui m’a offert ces plumes, dis-je. Chez les Sioux Lakota, nous considérons qu’elles nous lient avec l’oiseau qui les portait. Celle-ci vient d’un merlebleu, elle est censée m’aider à trouver bonheur et accomplissement.
J’en ai bien besoin pour commencer ma nouvelle vie…
Le regard du biker reste braqué sur moi. Sa position nonchalante jure avec la tension dans ses muscles. Pourquoi est-il autant sur la défensive ?
– OK, on passe un marché, finit-il par lâcher. Tu me files une plume et je te prête un téléphone.
– Il me semble que vous avez ce qu’il faut en matière de protection, lui fais-je remarquer en désignant l’arme à sa ceinture.
– On a tous besoin de protection spirituelle. Allez, une seule.
D’un bond, le motard se remet sur ses pieds et pose ses mains sur la table, de chaque côté de ma taille. Sa brusque proximité dévore mon espace vital, aspire l’oxygène autour de moi. J’aimerais lui demander pourquoi il se comporte d’une façon aussi primale, mais c’est une autre question qui sort de ma bouche :
– Pourquoi vous en donnerais-je une ?
– Parce que je la veux, et que j’obtiens toujours ce que je désire, surtout de la part des nanas.
Je comprends pourquoi. Ce gars possède un sex-appeal impressionnant. Tout chez lui respire l’aplomb. Les femmes qui gravitent autour des bikers aiment ce genre d’assurance. D’ailleurs, il suffit que je tourne la tête pour remarquer les regards de certaines brebis posés sur moi. Elles n’apprécient pas l’intérêt que me porte le motard. Je sais ce qu’elles désirent : entrer dans la famille, devenir essentielles au club du coin.
Pendant une fraction de seconde, le passé m’emporte. J’imagine ma mère marcher entre ces tables, se faire reluquer comme un morceau de viande. Vingt ans plus tôt, m’aurait-elle considérée comme une menace elle aussi ?
Mon cœur se serre. Non, pas ma mère. Elle me ressemblait trop…
Ce n’est que lorsque l’inconnu fait claquer ses doigts devant mon visage que je reviens à la réalité. Je me rappelle pourquoi je suis entrée dans ce bar et, d’un coup, j’explose, ma patience épuisée :
– Vous avez l’intention de m’aider ?
L’homme doit se rendre compte que je suis à bout, parce qu’il cesse brusquement son jeu ridicule. Il m’attrape par les épaules et m’attire à lui. Mais avant que je ne m’écrase contre son torse, il me contourne avec une facilité incroyable.
– Regarde le mec là-bas, derrière le comptoir, souffle-t-il à mon oreille.
Au lieu de regarder dans la direction qu’il indique du doigt, je demeure hypnotisée par les dessins sur son biceps tendu. Ils sont sombres, torturés, empreints d’une douleur profonde.
– La vue te plaît, petit chat ?
Je m’oblige à ignorer ce surnom pour observer le type que l’inconnu me désigne. Il a la même dégaine que la plupart des mecs présents : tatouages, mine patibulaire, veste de cuir.
– Dis-lui qu’Ash t’a donné l’autorisation d’utiliser le téléphone public, me précise le biker.
Ash.
Ce prénom s’incruste d’une étrange façon dans mon esprit, comme si cet homme n’aurait pu s’appeler autrement.
Ash.
Mon premier contact à Black Lake. L’extrémité d’une chaîne que je compte étendre jusqu’à l’infini.
Du coin de l’œil, j’enregistre son profil pour ne pas l’oublier. Il n’arbore pas de barbe, contrairement aux autres motards autour de lui. Il se contente de laisser une ombre couvrir la partie inférieure de son visage, en osmose avec les ténèbres dans ses yeux pourtant clairs.
Il capte mon attention posée sur lui ; je me détourne en m’exclamant :
– D’accord, merci beaucoup ! Vous venez de me sauver la vie, Ash.
Au moment où je m’éloigne, ses doigts entourent mon poignet pour me retenir.
– Pas de plume ? tente-t-il.
– Vous ne m’avez pas vraiment prêté de téléphone, vous m’avez juste indiqué où en trouver un.
Sur ce, je me détache de lui après lui avoir adressé un dernier sourire. J’ai le sentiment de sortir d’une bulle invisible : je parviens à respirer plus facilement. Le biker émet une aura étouffante quand on se trouve près de lui…
Je me retourne, poussée par une étrange curiosité, mais il a disparu.
Mince alors, il est rapide.
Chassant mon trouble, je franchis les quelques mètres qui me séparent du barman et lui lance :
– Bonsoir ! J’ai besoin d’utiliser votre téléphone public, ma voiture est tombée en panne d’essence. C’est Ash qui m’envoie.
Plusieurs paires d’yeux me scrutent. D’autres Styx Riders, deviné-je au cut qu’ils portent.
– Le quoi ? grommelle le type que j’ai interpellé.
– Le téléphone public ? répété-je.
Ma voix part dans les aigus. Génial.
– Quel téléphone ?
– Celui du bar ?
Le barbu me regarde comme s’il avait affaire à une demeurée.
– On n’a pas de téléphone public, juste des portables perso. Tu t’es crue où ?
– Oh.
Les rires moqueurs fusent. Mes épaules s’affaissent. Je viens de me faire avoir comme une bleue… Pour ma défense, je suis épuisée. Je viens de faire plus de huit cents kilomètres en une journée et je meurs de faim.
Après un dernier sourire maladroit, je me dirige vers la sortie de l’établissement. Il ne me reste plus qu’à marcher jusqu’à la prochaine station-service. Il doit y en avoir une dans le coin, non ?
Cependant, à peine ai-je franchi la porte du bar qu’un bras tendu m’empêche de continuer. Sous la lueur rouge sang des néons, je reconnais le style graphique des tatouages d’Ash. Dans sa main, l’écran de son portable brille.
– On ne tient pas de téléphone à la disposition des clients, lâche-t-il.
– Je sais, votre ami me l’a dit, répliqué-je. C’est très fin de votre part, je me suis fait humilier.
Ash recrache la fumée de sa cigarette, la tête posée contre le mur, les paupières closes. Ses lèvres sont entrouvertes, et je me surprends à me demander ce que ça ferait de les embrasser.
Et maintenant, la fatigue me fait fantasmer. Parfait…
– Crois-moi, tu es sans doute la seule fille du bar qui ne s’est pas humiliée ce soir, déclare le biker. Tiens, appelle ta dépanneuse.
Il me tend son téléphone déverrouillé.
– Merci, j’en ai pour une minute.
Je cherche le numéro d’un garage sur Internet puis le compose en m’éloignant de quelques pas. Des Harley-Davidson bondent le parking. Mes motos préférées…
Un homme finit par me répondre au bout du fil. Je lui expose ma situation, mais il me coupe la parole. Son employé d’astreinte a eu un problème sur une intervention, il ne pourra pas venir m’aider avant demain matin.
– Demain matin ? couiné-je.
– Oui. J’enregistre tout de même votre demande ?
J’acquiesce. De toute façon, il faut bien que je parte d’ici… Je raccroche et retourne auprès d’Ash pour lui rendre son portable en essayant de masquer ma déception. Peine perdue, on dirait.
– Qu’est-ce qui ne va pas ? me demande-t-il.
– Rien.
– Ah bon ? Parce que tu ressembles à un petit chat que l’on va dépecer vivant et qui le sait très bien.
L’image m’écœure.
– C’est horrible ! Vous auriez pu utiliser une autre métaphore.
– Je te l’accorde. Accouche, je n’ai pas toute la nuit.
Je pousse un soupir las. J’ignore pourquoi j’ai autant besoin de me confier tout à coup. À cause de la tension que j’ai accumulée tout au long de mon trajet depuis Los Angeles ? Ou parce que mon nouveau départ ne commence pas aussi bien que je l’espérais ?
– La dépanneuse ne viendra pas avant demain matin, expliqué-je. Je vais dormir dans ma voiture, je crois.
– Dans ta voiture ? répète Ash.
Son ton est sérieux, cette fois. Je me tourne vers ma Mini garée maladroitement un peu plus loin et déclare :
– Oui, elle est plus confortable qu’elle en a l’air. J’ai une couverture et des cookies, ça devrait aller pour cette nuit.
Le biker secoue la tête.
– Tu réalises où tu te trouves, petit chat ?
– Je m’appelle Heden ! Pas « petit chat ». Et je sais où nous sommes, je ne suis pas idiote. On est…
Je me tords le cou pour lire l’enseigne du bar.
– … au Purgatoire.
Je marque un temps d’arrêt, surprise par le nom de l’établissement. Je n’avais pas pris la peine de lever les yeux avant d’entrer. Les Harley rutilantes accaparaient toute mon attention.
– Bienvenue en enfer, se sent obligé de lancer Ash.
Il marque une pause, puis ajoute :
– Tu peux pas pioncer dans ta caisse ici. Il y a des mecs pas très fréquentables qui traînent dans le coin, si tu vois ce que je veux dire.
Il me prend pour un animal blessé ou quoi ?
– J’ai une bombe au poivre, le rassuré-je.
– Et elle te servira à quoi si des voyous décident de foutre le feu à ta bagnole avec toi à l’intérieur ?
– Personne ne brûlera ma voiture, répliqué-je en haussant un sourcil. Pourquoi ferait-on ça ?
À nouveau, Ash tire une taffe sur sa cigarette puis souffle doucement la fumée. J’en profite pour observer une fois de plus sa bouche pleine et si bien dessinée.
– Tu continues de me mater, intervient-il.
– N’importe quoi. Je réfléchis.
– À la manière dont tu vas me remercier de t’avoir prêté mon téléphone ?
Il n’abandonne jamais, lui ! Je penche la tête sur le côté afin de détacher une plume de mes cheveux.
– N’attirez pas le courroux des mauvais esprits, Ash.
– Je m’en souviendrai.
Tout en faisant tourner la plume entre ses doigts, il ajoute :
– Tu n’as pas envie d’enlever le reste ?
Je comprends immédiatement où il veut en venir : son regard vaut mille mots.
– Je ne vais pas coucher avec vous parce que vous m’avez prêté un téléphone, déclaré-je.
– Dommage. Cela dit, c’est peut-être mieux comme ça. Je ne fais pas dans le détournement de mineure.
Une colère sourde m’envahit. J’ai toujours eu l’air plus jeune que je le suis, alors ça m’énerve qu’on me le rappelle.
– Je ne suis pas mineure, j’ai vingt-deux ans !
– Vraiment ? demande Ash d’une voix vibrante.
– Vous vouliez savoir mon âge, c’est ça ?
– Peut-être que oui, peut-être que non… Tu veux entrer boire un verre, Heden ?
Mon trouble l’amuse, on dirait. Mais nous pouvons être deux à jouer.
– Non, je ne bois pas de verres avec les hommes de plus de quarante ans, répliqué-je. Je ne fais pas dans le vieux croulant.
À son tour de tiquer. Ça fait un point partout. Il fronce les sourcils, ouvre la bouche et lance, choqué :
– C’est moi que tu viens de traiter de vieux croulant ?
En réalité, je lui donne trente ans, à peine. Cependant, hors de question de le lui avouer.
– Vous devriez vous trouver quelqu’un de votre âge, insisté-je.
– Tu aurais mieux fait de me poignarder avec ta plume.
– Je crois que c’est fait. Bonne nuit, Ash.
Sur ce, je me dirige vers ma Mini d’un pas décidé. Je la déverrouille, attrape une couverture dans mon coffre et m’enferme dans l’habitacle. Ash demeure immobile, toujours appuyé contre la façade du Purgatoire, le visage plongé dans l’ombre. J’allonge mon siège au maximum et ferme les yeux en m’efforçant de ne plus penser à lui. De ne plus penser à rien.
Malgré tout, des images de ma voiture en feu m’envahissent.
Je sens que je vais passer une nuit d’enfer.
Je rentre dans le bar, les nerfs moins à vif. La clope que je viens de fumer m’a détendu, je n’en espérais pas tant. Ou alors c’est cette fille, Heden, qui a réussi à effacer mes sombres préoccupations ? On peut dire qu’elle en a dans le froc pour m’avoir défié de la sorte. Peu de nanas m’ont déjà rembarré comme elle l’a fait. D’ailleurs, une de ses reparties continue de me trouer le crâne comme une foutue balle.
Vous devriez vous trouver quelqu’un de votre âge.
Sérieux, quelle attaque de merde !
Je m’approche des tables de billard. À cette heure-ci, la salle principale du Purgatoire étouffe sous les clients. Il est facile de reconnaître les gars du club puisqu’on porte tous un cut avec notre blason cousu dans le dos. Même les prospects ont droit à un patch qui leur est réservé, là où d’autres MC leur filent des vestes vierges. Pour mon paternel, un biker, même en bas de l’échelle, se doit d’arborer nos couleurs. Les Styx Riders ne sont pas de simples mortels.
– Snack, Isaac, venez par ici, ordonné-je.
Les intéressés abandonnent la partie pour venir à ma rencontre. Ils savent que s’ils veulent porter un jour les couleurs du club de manière officielle ils n’ont pas intérêt à refuser l’ordre d’un supérieur. Quels que soient l’heure ou l’endroit où ils se trouvent, si on les appelle, ils rappliquent. C’est la règle numéro un.
– Il y a une Mini Cooper rouge garée devant le bar, avec une fille à l’intérieur, dis-je. Je veux que vous vous postiez dans le coin cette nuit et que vous gardiez un œil sur elle.
– Sur la fille ou la caisse ? demande Snack avec étonnement.
Du haut de ses dix-neuf ans, l’Hispanique fait partie de nos plus jeunes recrues. Il apprendra avec le temps à dissimuler ses émotions. Porter un masque insondable devant nos ennemis est un avantage de taille… Isaac, un ex-soldat un peu barré sur les bords, maîtrise déjà ce point. Son visage couvert de cicatrices ne dévoile pas l’ombre d’une surprise face à mon ordre inhabituel. Il se contente de m’adresser un hochement de tête abrupt.
– Les deux, réponds-je. Il ne doit rien leur arriver. S’il se passe un truc, venez me chercher. Comme j’ai bu, je compte pioncer dans la salle de baise. Réveillez-moi à six heures tapantes demain matin.
Ils opinent derechef. Déjà, Isaac s’éloigne vers la sortie, là où Snack décide de me décocher un sourire amusé en attrapant un sachet de bouffe chinoise.
– C’est qui cette fille, sergent ? me lance-t-il.
Mon titre au sein des Styx Riders n’implique pas qu’on m’appelle de cette façon. La plupart des mecs se contentent d’Ash. L’un ou l’autre, ça m’est plutôt égal, sauf quand une certaine ironie transpire dans la voix de mes interlocuteurs. Comme en ce moment.
– Personne, grogné-je. Maintenant, bouge-toi avant que j’envoie Brady se charger de la surveillance à ta place et que je te traîne au bastion pour une séance de combat improvisée.
Bah voilà, son sourire de petit con fane. Marrant comme il suffit de rappeler à certains gars que les entraînements dans les sous-sols du Purgatoire peuvent s’avérer bien plus douloureux que de vrais affrontements pour les faire changer de comportement. Surtout quand c’est moi qui mène la danse.
– OK, je vais prendre soin de personne, lâche Snack. Bonne soirée, sergent !
Il quitte le bar et je retourne au comptoir. Gun discute avec mon paternel. Tous deux sont entourés de nanas super bien roulées, qui tentent d’attirer leur attention à coup de nichons presque à l’air.
– Je reste sur place, annoncé-je en me plantant à côté de mon géniteur.
– C’est quoi cette tronche, fils ? réplique-t-il.
Je jette un coup d’œil au reflet que me renvoie le miroir derrière les étagères d’alcool. De quoi parle mon père ? J’ai une tête normale, je me suis même rasé récemment. Ma frangine prétend que ça me rend moins primitif. Elle a sans doute raison, même si je dois avouer que mon apparence m’importe peu en règle générale.
Mon père, le président des Styx Riders, me cloue sur place de ses yeux bleus si semblables aux miens. Lui peut porter une barbe sans avoir l’air d’un ours mal léché prêt à égorger tout ce qui bouge. Ça lui va même plutôt bien, il ressemble à un hipster sur lequel le temps n’aurait pas de prise. La preuve : les minettes d’une vingtaine d’années n’hésitent pas à lui tourner autour. L’une d’elles, une jolie rouquine habillée d’une robe en cuir moulante, se glisse d’ailleurs entre lui et mon meilleur pote pour commander une tournée auprès du barman.
Tout à coup, le visage d’une autre rousse se superpose au sien, explosant dans mon crâne avec la violence d’une bombe. Pourquoi faut-il qu’elle soit revenue, celle-là ? La croiser après tant d’années a suffi à foutre mon quotidien en l’air.
– Alors ? insiste mon père comme si j’avais un truc à raconter.
– Alors rien, réponds-je. Je pars en bas pour tirer un peu.
Je ressens le besoin subit d’entendre le son rassurant des déflagrations pour oublier ma vie merdique l’espace de quelques instants.
– Tu devrais plutôt tirer un coup, propose Gun.
– Je te laisse le soin de t’occuper des demoiselles, répliqué-je.
Sur ce, je m’éloigne, mais à peine ai-je fait quelques pas que je me retourne et lance :
– Eh, Gun ?
– N’amour ?
– Tu me donnes quel âge ?
Surpris, il me mate, cherchant où est la plaisanterie. Mais je n’ai jamais été aussi sérieux. Si j’ai l’air d’avoir la quarantaine, comme l’a suggéré Heden, c’est que j’ai laissé ma vie partir en couilles.
– Tu te fous de moi ? Me dis pas que tu viens de choper la crise de la trentaine avant l’heure ! se marre mon ami.
Les nénettes autour de lui se font la même réflexion, je le devine à leurs jolis minois.
– Toi, reprends-je à l’attention d’une blonde à la plastique parfaite. Tu me donnes quel âge ?
Elle me dévore des yeux, puis ses lèvres s’étirent.
– Vingt-sept ans ?
Sa réponse me soulage. Mais pourquoi, bordel ? Depuis quand je fais une fixette sur mes années au compteur ?
– Ouais, pas loin. Vingt-neuf.
Et ça fait dix ans que Shirley et moi aurions dû nous marier. J’avais à peine dix-neuf piges à l’époque. Pas étonnant que ça n’ait pas marché !
Bref, il est temps que je pense à autre chose.
Je me détourne et m’apprête à partir, mais, cette fois, c’est mon paternel qui me demande :
– Fils, c’était qui la fille en robe fleurie ?
– De qui tu parles ?
– De celle que tu as envoyée au comptoir pour te foutre de sa gueule, renchérit Gun. Un téléphone pour les clients, on aura tout vu… Tu es vraiment d’une humeur de merde, mon cœur.
Mes lèvres se retroussent en un rictus, et mon connard de frangin ricane. J’ai bien envie de lui foutre mon poing dans la tronche, à celui-là.
Je reporte mon attention sur mon père. Sa patience est surnaturelle. Il pourrait rester à me fixer pendant deux heures dans l’attente de ma réponse… Du coup, j’avoue :
– C’était juste une nana tombée en panne.
– En tout cas, tu as une de ses plumes coincée dans ta ceinture.
Papa m’adresse un clin d’œil et lève son verre pour trinquer à une chose que lui seul comprend. Je suis trop claqué pour entrer dans son jeu. Par chance, il n’insiste pas.
– Tu devrais te détendre, Ash, me conseille-t-il.
Il m’appelle rarement par mon prénom, sauf pour me signifier que c’est un ordre qu’il me donne. J’acquiesce, puis je me dirige vers une salle réservée aux Styx Riders dans laquelle plusieurs mecs baisent des brebis en rut. Je passe devant la scène d’orgie sans ralentir, même quand une meuf m’invite à la rejoindre. J’accède à une pièce où sont stockées des réserves d’alcool à n’en plus finir. Derrière une étagère, une porte s’ouvre sur un escalier en ciment que j’emprunte sans prendre la peine d’allumer la lumière : mes pieds connaissent le chemin par cœur. En revanche, dès que j’arrive en bas, les détecteurs de mouvement activent les néons incrustés au plafond.
Devant moi, un long couloir gris dessert plusieurs salles, toutes appartenant aux Styx Riders. Ce sous-sol confidentiel, nous l’appelons « le bastion ». Il héberge nos activités les moins recommandables…
Au lieu de me rendre au stand de tir comme je l’avais envisagé, je préfère aller frapper dans un sac de sable jusqu’à en avoir les bras en charpie. Une éternité plus tard, je dégouline de sueur, mes muscles hurlent à l’agonie, mais je continue de donner des coups monstrueux capables de briser les côtes d’un homme. Je suis bon en combat rapproché ; vraiment bon, même. Pendant des années, je me suis entraîné corps et âme à divers arts martiaux pour tenter d’étouffer la rage constante qui me broie encore les tripes aujourd’hui. À défaut de canaliser mon impulsivité, ça m’a rendu plus fort, plus rapide, plus destructeur.
Et dire que c’est à cause de Shirley que mon caractère frise la psychopathie. Qui aurait pu penser que l’abandon puisse changer quelqu’un si profondément ?
J’inspire lentement, frappe fort, expire.
– La dernière fois que je t’ai vu dans cet état, fils, tu t’es barré de Black Lake pendant plus de quinze jours sans rien dire à personne.
Je me retourne. Mon paternel se tient appuyé contre l’encadrement de la porte, les bras pliés sur son cut de président, le visage serein. Il me décoche le genre de sourire qui me tranquillisait quand j’étais gamin. Celui qui me dit : « N’oublie pas, je suis là pour te soutenir. » Sauf que je n’ai plus huit ans.
– Je ne foutrai pas le camp de la ville, si c’est ce qui t’inquiète, répliqué-je. J’avais quoi, à l’époque ? Quinze piges ? Je ne suis plus un gosse.
– Je me rappelle très bien que tu m’as dit la même chose ce jour-là. Pourtant, tu as volé ma Harley et tu t’es isolé dans les montagnes.
– Parce ma mère venait de foutre le camp à mille bornes de Black Lake après avoir demandé le divorce. Pourquoi tu remets ça sur le tapis ?
Mon père hausse les épaules sans se laisser déstabiliser par ma mauvaise humeur et me répond :
– Parce que je ne connais que deux femmes qui puissent te mettre dans cet état : ta mère et Shirley. Parle-moi.
– Je n’ai rien à dire.
– Très bien, alors tu vas m’écouter, dans ce cas. Je ne te laisserai pas redevenir la loque que tu as été à une époque : je refuse d’avoir l’impression de te perdre à nouveau. Quand ta colère deviendra si grande que tu en auras les tripes en feu, je veux que tu viennes me voir. C’est un ordre, sergent. Cette rage, tu la trimballes depuis un bout de temps et je sais qu’elle peut vite te monter à la tête.
Essoufflé, à bout de forces, j’enlève mes gants de boxe. Mon paternel me fixe sans ciller, dans l’attente d’une réaction de ma part.
Je n’ai pas envie de l’inquiéter au point qu’il remette en cause ma position au sein des Styx Riders. Un sergent d’armes se doit de maîtriser le moindre aspect de sa vie, de garder la tête froide, d’être prêt à réagir aux nombreux conflits liés au club. C’est à moi de régler les problèmes au sein des Styx Riders et à l’extérieur, je ne suis pas là pour les créer. Comme d’habitude, je saurai gérer. J’ai mis sept ans à devenir officier, j’ai grimpé les échelons sans profiter de mon statut de fils du président, rien qu’en utilisant mon mental. J’en ai même sué du sang à plusieurs reprises. Personne ne m’arrachera ça. Pas même un fantôme revenu du passé.
– Je vais bien, affirmé-je. Tu peux compter sur moi, je t’assure.
– Oh, je sais que je peux compter sur toi, je n’en ai jamais douté, reprend mon père. La vraie question, c’est celle-là : est-ce que tu as conscience que tu peux venir me voir à n’importe quel moment pour me dire que tu ne gères plus ? Je suis ton père avant d’être ton supérieur, je te rappelle. Ne pense pas que je sois incapable de compartimenter nos existences.
Cette fois, il n’attend aucune réponse de ma part : il quitte la pièce, me laissant seul face à moi-même. Je ne peux pas m’empêcher de me dire que les émotions sont des faiblesses capables de nous foutre à genoux. Et que ces connes pourraient un jour me coûter ma place dans le MC. Mon paternel s’illusionne s’il espère que je me dévoile à lui…
Je finis par aller prendre une douche froide dans des vestiaires aménagés. Ensuite, je me change et remonte à la surface. Je m’apprête à me considérer comme assez sobre pour reprendre la route et rentrer chez moi, quand la plume à ma ceinture tombe sur le plancher de la salle de baise. Un morceau d’innocence dans une pièce dédiée à la débauche et au sexe… Les mecs du club prennent les brebis contre les murs, sur les lits dégueulasses et à même le sol. Les gémissements se mêlent à la musique crachée par les baffles à côté. Dormir là me donne la nausée d’avance, mais je veux pouvoir intervenir si un truc arrive à Heden.
Marrant comme ce bout de femme est parvenu à attirer mon attention au point de me pousser à changer mes plans…
Concentré sur la plume bleue, je capte malgré tout la présence d’une blonde complètement nue dans mon dos. Je pivote dans sa direction, la détaille, souris devant son corps parfait. Mais si je veux pouvoir bosser convenablement demain, il faut que je renonce au cul pour ce soir.
– Plus tard, dis-je.
Elle n’insiste pas, s’intégrant aux ébats d’un groupe.
Je me demande quelle tronche tirerait Heden si elle entrait ici. Le sexe chez les bikers, en solo ou à plusieurs, possède un goût de normalité flippant. Ceux qui ne font pas partie du cercle peuvent en être choqués. Est-ce que la petite Amérindienne le serait, comme l’a été Shirley la première fois qu’elle a assisté par hasard à une scène de ce genre ? Sans même y être invitée, au passage. Est-ce que c’est ça qui l’a fait fuir ? Est-ce qu’elle ne m’a pas cru quand je lui ai dit que je ne participerais jamais à des orgies ?
Ça faisait un paquet d’années que je ne m’étais pas reposé ces questions. Tout simplement parce que j’avais réussi à l’oublier.
Faut que j’aille pioncer, sinon je vais me saouler jusqu’à ne plus me rappeler mon prénom. Ou exploser à force de ressasser. Du coup, pour ne pas songer à mon ex, je me concentre sur Heden alors que je m’allonge sur un pieu vide, dans une autre pièce. Son minois s’impose derrière mes paupières. C’est l’image la moins violente sur laquelle je parviens à me focaliser depuis des jours. Je porte la plume à mon nez. Le parfum fleuri qu’elle dégage chasse la puanteur du sexe dans mes narines. Il me plaît bien…
J’ignore si l’alcool me monte au cerveau brusquement ou si ça a un rapport avec ces effluves qui m’ouvrent une fenêtre sur le paradis, mais je me jure de foutre Heden dans mon lit. Rien que pour profiter de son odeur une nuit entière. Ça promet d’être intéressant de culbuter autre chose que ces nymphettes qui gravitent autour de moi.
Le sommeil finit par m’entraîner dans des abysses où l’Amérindienne ne trouve pas sa place. Je me vois debout au milieu d’une église, entouré de gens qui me matent avec des sourires mauvais. Ils savent ce qui va se passer. Je le sais aussi, pourtant je remonte l’allée centrale couverte de pétales de roses. Ils se flétrissent sous mes pas. Comme si je ne méritais pas de profiter de leur beauté. Comme si j’étais destiné à répandre le chaos autour de moi.
Devant l’autel, près du prêtre, Charon m’attend. Le passeur du Styx, l’entité chargée d’emmener les âmes vers leur dernière demeure, dans la mythologie grecque. Celui à qui chacun des membres du club doit jurer allégeance. Il m’observe avec un sourire énigmatique, et…
– Sergent !
J’ai à peine ouvert un œil sur la réalité que mon flingue touche le front de Snack. Tendu à l’extrême, immobile, le prospect me mate avec un sourire nerveux.
– Putain ! Tu veux crever ou quoi ? m’agacé-je.
Un mal de crâne carabiné me défonce le cerveau. J’ai l’impression de nager dans une mer de goudron et d’en avoir avalé la moitié.
– Salut, Ash. Il est six heures pile.
– Ta gueule.
– La mienne ne vaut pas la tienne au réveil. Si tu rangeais ton flingue, hein ?
Je m’exécute en me redressant. J’ai mal partout. Ma séance de frappe improvisée d’hier soir a laminé mes muscles pendant mon sommeil.
– Tu veux un truc à boire ? me propose Snack. Vodka ? Bière ? Bourbon ? Lait au chocolat ?
Il est sérieux pour le lait au chocolat : il est en train d’en boire une briquette à la paille. Ce mec vient de ruiner la réputation des Styx Riders.
– Prépare-moi deux cafés serrés pendant que je vais me doucher, lui ordonné-je.
Le club a aménagé le bâtiment de façon à le rendre aussi fonctionnel que possible pour les membres. On y trouve toutes les commodités utiles : douches, lits, frigos, de quoi y séjourner quand la vie nous fout à genoux ou quand nous avons besoin de la jouer discret un temps.
– Je t’ai pris ça aussi, avoue Snack en me tendant un sac plastique blanc dont s’échappe une bonne odeur de gaufres.
Ce gamin est un type bien, il a un cœur gros comme l’Amérique. Les nanas le kiffent parce qu’il est adorable, même avec les brebis les plus galeuses. Il pourrait donner son âme au diable ou se couper un bras pour ses frères et les gens qu’il aime.
– Merci, lui dis-je. Ça a été, la surveillance ?
– Aucun problème, personne est restée dans sa voiture toute la nuit. Des mecs ont tourné autour de la bagnole, mais il a suffi qu’on signale notre présence pour qu’ils foutent le camp.
J’opine, tapote l’épaule du môme, puis file prendre une douche. Quand je passe dans la salle principale, vide de tout client, je trouve des brebis endormies dans les bras de mes frères. Certaines ne portent plus leurs fringues.
Une fois lavé, je récupère le petit-déj’ laissé par Snack avant de sortir du Purgatoire. J’ai autant besoin de m’en griller une que de boire trois litres de café pour me remettre de la soirée d’hier. La lumière du soleil agresse mes rétines ; un concerto de démons continue de foutre le bordel dans mon crâne. Putain de migraine à la con !
Je ne pige pas ce qui m’arrive. J’ai déjà vécu des nuits pires que celle-là… Et je refuse de croire que Shirley m’a retourné le cerveau. Je vaux mieux que ça.
Histoire d’oublier mon mal-être, je m’approche de la caisse d’Heden. Elle dort à poings fermés, la bouche ouverte, la bave aux lèvres. Ses cheveux partent dans tous les sens. Malgré tout, je la trouve mignonne.
Je me détourne et retrouve ma Harley garée devant le bar. Mon premier, seul et vrai amour. Elle, au moins, elle ne m’a jamais trahi… Le bruit de son moteur est comme le hurlement d’un loup à la pleine lune : puissant, il me transperce afin de me purifier de mes pensées parasites. Il n’existe rien de mieux que les balades à moto. Même la baise, ce n’est pas aussi exaltant.
Je m’arrête à côté de la portière d’Heden. Je l’observe en enregistrant chacun de ses traits harmonieux dans ma mémoire, puis je fais rugir mon moteur. Effet immédiat. Ni une ni deux, l’Amérindienne sursaute en hurlant comme si je venais de lui arracher sa petite culotte. Ses yeux terrifiés se posent sur moi, clignent, ne parviennent pas à revenir dans la réalité. Je suis tellement plié de rire que j’en ai mal aux côtes.
– Ça, c’était petit, finit-elle par lancer, encore sous le choc. Reculez.
– Quoi ?
– Laissez-moi sortir de ma voiture !
Mon petit bijou bloque sa portière. Je me décale. Heden bondit à l’extérieur, les poings sur les hanches.
– Vous avez fait ça pour m’énerver, m’accuse-t-elle.
– De quoi parles-tu, petit chat ? Pourquoi ferais-je ça ? Je ne te connais même pas.
C’est vrai, ça, réalisé-je. Je ne la connais pas, cette fille.
Dans ce cas, pourquoi est-ce que j’agis avec elle comme un foutu préado ?
– Pourtant, vous me harcelez depuis hier soir, réplique-t-elle.
– Sérieux ? On aura tout entendu. Maintenant qu’il fait jour, tu peux dégager ta voiture d’ici ?
Les sourcils d’Heden se froncent, mais elle ne recule pas, malgré notre différence de taille. Quand je disais qu’elle en avait dans le froc…
– Pas la peine d’être aussi désagréable, m’envoie-t-elle.
– J’ai mal dormi.
– On est deux. Pourtant, je ne vous agresse pas. Vous manquez de manières, Ash.
– Tiens donc, le plaid et les cookies n’ont pas suffi à satisfaire mademoiselle ?
Elle roule des yeux en poussant un soupir. Ça m’amuse. Sans trop savoir pourquoi, j’aime la faire sortir de ses gonds.
– À plus, je dois y aller, lui dis-je.
Tout à coup, la surprise remplace l’énervement sur ses traits.
– Attendez, Ash ! s’exclame-t-elle. Vous partez ?
Elle n’est pas humaine. Comment peut-on changer d’humeur aussi vite ?
– Devine, lui lancé-je. Tu veux bien t’écarter ? Ça me ferait mal de devoir te rouler dessus.
Ses iris ensorcelants me dévisagent, me trouent la peau de leur douceur. Puis, après un instant, elle se décale d’un pas.
– Soyez prudent sur la route, me conseille-t-elle.
Sa recommandation me tire un demi-sourire. Peu de gens me demandent d’être prudent. Ma came, c’est plutôt le danger. On m’envoie là où il y a de la baston et des comptes à régler. Sergent d’armes, c’est loin d’être de tout repos.
– Tu réalises que je fais partie d’un club de bikers ? demandé-je à Heden.
– Et alors ?
Son ignorance est touchante.
– La prudence, je l’encule à sec.
Un sourire illumine son visage. Ça me fait l’effet d’une claque. J’avais dans l’idée de la faire réagir, et elle ne paraît pas choquée le moins du monde, juste curieuse.
– Vous parlez vraiment comme ça ? s’étonne-t-elle.
– Tu te comportes vraiment comme ça ?
– Comment ?
Comme une déesse tombée du ciel.
Je me tais. On ne reproche pas à quelqu’un d’être une bonne personne.
Son intérêt pour moi s’envole au moment où elle remarque le sachet de gaufres que j’ai coincé entre mes jambes. D’habitude, c’est juste un peu plus haut que les filles aiment mater… L’odeur sucrée a sûrement réveillé son estomac.
– Une petite faim ? deviné-je.
– Oh, non, je ne voudrais pas vous priver de votre petit déjeuner.
Son altruisme me saoule. Faut arrêter deux secondes, on ne vit pas dans un monde de Bisounours ! Et puis, j’avais l’intention de lui filer les pâtisseries depuis le début. Il y avait aussi un café pour elle, mais j’ai tellement la tête dans le cul que j’ai bu les deux.
Dès que je lui tends la gaufre, Heden l’attrape et la fourre à moitié dans sa bouche.
– Je mourais de faim ! s’exclame-t-elle. Je n’ai pas mangé depuis hier !
– Sérieusement ?
– Oui.
Elle se lèche les doigts un par un. Cette vision me colle une gaule d’enfer. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer ses mains autour de ma queue, sa langue sur mon gland. Si seulement elle n’avait pas l’air aussi paumée et innocente, je l’aurais prise sur ma moto et je l’aurais fait jouir jusqu’à ce qu’elle me supplie d’arrêter. Mais bon, je suppose que ça « manquerait de manières ».
– Oh, mon Dieu, c’est un délice, s’extasie-t-elle. Encore merci. Finalement, je crois que je vous apprécie.
Trop sympa.
– Bon, je te laisse en tête à tête avec la bouffe, elle te fait visiblement plus d’effet que moi, soupiré-je. Mon cœur se tord de douleur, si tu savais.
Heden pouffe. Le son couvre mes bras de chair de poule, emplit mon torse d’une chaleur que je n’avais pas éprouvée depuis une éternité.
– J’ai été ravie de vous rencontrer, Ash, me dit-elle.
– Faut que tu arrêtes, lui ordonné-je.
– Que j’arrête quoi ?
– De me vouvoyer. J’ai pas quarante piges, OK ?