PROLOGUE

Alexandra

– Lexie ? Lexie, tu m’entends ?

La voix de mon père me parvient au loin, derrière les brumes de mon cerveau qui essaie de remettre en place les morceaux du puzzle que représente ma soirée.

– Ça ne peut plus durer, Christian. C’est la troisième fois en moins de deux mois… prononce une voix que je connais bien.

Mon père soupire de lassitude.

– Elle a besoin d’aide ! Il faut que tu la laisses partir, maintenant…

Mon bras tressaute nerveusement et j’écarquille les yeux dans une supplique pour les dissuader de prendre cette décision.

 

Alors que ma tête me hurle de me lever, mes membres refusent d’obéir. C’est comme si je flottais hors de mon corps et que je pouvais voir et entendre ce qui se passe, sans être capable de réagir.

Je commence pourtant à connaître ces sensations étranges. Ce n’est pas la première fois que j’avale ce petit cachet à l’effet engourdissant.

La pièce, bien trop grande et bien trop blanche, avec ses immenses plaques de granit et ses murs aveuglants, commence à tanguer devant mes yeux. La nausée ne tardera pas à arriver.

– En tant que médecin, Christian, tu dois comprendre mieux que quiconque ce que je veux dire ! Ta fille devient incontrôlable. C’est un établissement de repos, pas un asile ! Elle a besoin d’être suivie. Ses excès ressemblent à des tentatives de suicide, même si elle assure que non !

– Elle ne me le pardonnerait jamais…

Pitié papa, non ! Ne m’emmène pas là-bas ! Ne m’enferme pas ! Je ne suis pas folle !

Je hurle dans ma tête et pourtant aucun mot n’arrive à sortir de ma bouche. Je me débats intérieurement, en luttant contre ce poids qui m’assomme de plus en plus.

– Elle n’a pas besoin d’apprécier ! Alexandra a besoin d’être sauvée !

La voix de Lauren devient de plus en plus inintelligible et je ne distingue bientôt plus qu’un bourdonnement strident avant de sombrer dans le néant.

– Allie, réveille-toi…

Cette voix qui murmure à mon oreille… C’est impossible ! Cela ne peut pas être elle. Je jurerais pourtant que son léger parfum de jasmin flotte dans l’air et embaume la pièce. Et elle était la seule à me donner ce surnom. Allie…

Même si je sais qu’il s’agit d’une hallucination, un fol espoir m’incite à me relever et à m’asseoir sur mon lit, si vite que je dois retenir ma tête douloureuse de mes mains. Le sang bat à mes tempes et mon cerveau menace d’imploser. Un soleil bien trop lumineux baigne la pièce et se reflète dans le miroir en pied au bout du lit.

 

– Alexandra ?

Lauren passe la porte, suivie de mon père. Immédiatement, je sens se profiler un orage bien plus dangereux que celui déjà installé en moi. S’asseyant sur le couvre-lit en jacquard, elle me sourit comme à un enfant malade. J’ai beau essayer, il m’est impossible de ne pas la détester. J’attrape le verre d’eau qu’elle me tend et essaie d’en avaler une gorgée, mais la nausée qui m’assaille est trop forte. Mon estomac est vide depuis plus de quinze heures, c’est donc de la bile qui monte en me brûlant la trachée. Je vomis presque sur le couvre-lit et tousse en essayant d’avaler ma salive. Lauren me tend une serviette pour que je m’essuie la bouche et nettoie mon édredon. Visiblement, ma belle-mère avait prévu le coup.

– Alexandra, il faut qu’on parle.

Les places s’inversent, Christian s’assoit à mes côtés. Mon père. Cette fabuleuse figure paternelle.

– Papa, j’ai la tête qui va exploser…

Je repose la serviette et m’appuie contre le montant de lit. Mes longs cheveux bruns emmêlés me collent à la peau et je me sens sale.

– Tu sais ce qui s’est passé, hier soir ?

J’ai des souvenirs diffus. C’était l’anniversaire de Mickaëlla. J’ai bu un verre de vodka, puis un deuxième, mais qui avait un goût de cerise, puis nous avons joué au bière-pong, et vers minuit, je me suis laissée tenter par un benzo.

– Tu as encore pris cette drogue.

– Je n’ai pas…

– Heureusement, Micka t’a ramenée ici avant que la situation empire !

Mon géniteur fronce les sourcils et, à mesure que des plis de contrariété se forment sur son front, je sens l’orage gronder de plus en plus fort.

– On ne peut plus continuer comme ça, Lexie. Tu as besoin d’aide…

– Non… Ne m’envoie pas là-bas !

– Lexie…

– S’il te plaît… Ne fais pas ça ! Je ne recommencerai plus…

– Ça fait trois fois en deux mois… Tu manques les cours, tu fumes et tu te drogues… Tu t’es même fait tatouer !

– Ok ! Ça va, putain ! Envoie-moi dans ton asile de fous, comme ça tout le monde sera content !

 

Habitué à mes brusques changements de ton et à mes mots fleuris, Christian soupire. Encore une fois. Lauren a fui l’échange houleux depuis longtemps.

– Arrête, Alexandra ! Je n’en peux plus de ton comportement.

Je contracte la mâchoire et fixe le mur devant moi pour ne pas croiser les yeux de mon père.

– Je n’arrive plus à te regarder te faire du mal…

Une larme roule sur ma joue que je m’empresse d’essuyer rageusement.

Christian se lève comme pour mettre fin à la conversation.

– Tu pars pour Greystones dès demain. Les vacances d’automne te permettront de respirer. Et si tu dois y rester quelques semaines, nous ferons en sorte de te faire rattraper tes cours…

Cette fois, je suis allée trop loin. Il ne reculera pas. Il ne me reste qu’une porte de sortie, une dernière solution. Celle que je refuse depuis des mois.

– J’irai chez grand-mère, annoncé-je d’une voix atone.

– Quoi ?

Mon paternel se retourne pour me jauger du regard.

– J’irai chez grand-mère.

Je fixe toujours le mur avec détermination.

– Tu as dit que si j’acceptais, je pouvais y aller…

– Et tu as répondu que tu ne voulais pas…

– Oui, mais si je n’ai pas le choix, je préfère encore ça qu’être internée !

Oh oui ! Mille fois ça qu’être cloîtrée entre quatre murs. Je ne suis pas ma mère. Je ne suis pas folle, moi.

Christian se tait un instant avant de répondre.

– Ok. Je vais appeler Abigail tout de suite et lui dire que tu viens quelques jours…

– Non, je veux y aller pour le reste de l’année scolaire !

L’idée vient à peine de me traverser l’esprit. Ouais, je vais foutre le camp d’ici !

J’affronte mon père du regard, ne voulant baisser un instant les yeux, de peur de perdre la bataille. Je sais que quand je le fixe de mes yeux émeraude, mon géniteur revoit ma mère. Et je n’ai aucune intention de me priver de cet avantage.

– Tu as dix-huit ans et tu es en dernière année avant l’université…

– Je passerai mon diplôme là-bas. J’ai de très bonnes notes, et à part des absences de temps en temps, tu sais très bien que j’ai un bon dossier et que je peux le faire.

– Tu seras loin de moi…

– Comme si j’allais te manquer !

Je tourne enfin la tête pour fixer à nouveau la cloison. C’est gagné d’avance. Mon père me paraît encore plus pathétique que d’habitude. Ses poings se crispent et il semble se livrer bataille à lui-même.

– Très bien, si c’est ce que tu veux…

– C’est ce que je veux.

Il tourne les talons et il me semble entendre des jurons étouffés.

En soupirant, je me roule en boule et ramène la couverture sur ma tête. Vivement que je me tire de là.

1

Alexandra

Le ciel est dégagé. Une tache vert sombre apparaît à l’horizon sur le bleu de l’océan. Mary Island. Deux mille cinq cent douze kilomètres carrés de verdure, de plages, de villes aux maisons colorées pour un total de huit cent mille habitants. L’île de mon enfance. L’île de l’innocence. L’île de ma mère. Après ne pas y avoir remis les pieds pendant onze ans, me voici de retour. Tout ça parce que mon père et ma charmante belle-mère veulent m’envoyer à l’asile !

Si cela avait été pour une autre raison, j’aurais adoré revenir dans l’océan Pacifique. Mais pas en ce moment. Et puis comment sera ma grand-mère ? Je ne l’ai pas revue depuis si longtemps… Même si Mamina m’écrit à chaque anniversaire, je ne réponds plus depuis longtemps.

 

Le voyant rouge indiquant la nécessité de boucler sa ceinture s’éclaire. La tache au loin s’est agrandie.

– Vous avez de la famille à Mary Island ?

Ma voisine semble tout droit sortie d’un roman de Marie Higgins Clark. Mince, grande, blonde, tirée à quatre épingles dans sa robe bleu roi à l’encolure carrée, un faux sourire plaqué sur le visage. Elle a tout de la nounou tueuse de parents.

Oui, j’ai de la famille. Une grand-mère de cinquante-trois ans, Abigail Grant. Et un oncle, Charlie. Mais je ne suis pas d’humeur à bavarder avec qui que ce soit, surtout après les treize heures de vol entre Boston et Los Angeles puis jusqu’à Mary Island.

– Ouais.

Mon ton désagréable et mon regard résolument tourné vers la côte semblent couper court à toute discussion. Ouf !

 

Quelques brouhahas incompréhensibles dans un haut-parleur de la part du commandant de bord et trois énormes valises entassées sur un chariot plus tard, je franchis les portes du petit aéroport Amerigo Vespucci.

Je reconnais tout de suite ma grand-mère. Quelle autre quinquagénaire se permettrait de porter un jogging rouge, un débardeur blanc et des tennis pour venir accueillir un membre de sa famille ?

– Lexie ! Oh mon Dieu ! J’avais dit à ton père de m’envoyer plus de photos. Un peu plus et je ne t’aurais pas reconnue ! Tu as plus de fesses et de seins que la dernière fois que je t’ai vue, lâche-t-elle, ses yeux verts pétillant de malice.

Je rougis jusqu’aux cheveux tandis qu’elle me serre dans ses bras. Ce contact a quelque chose de gênant. Je ne suis plus habituée aux câlins ou à un quelconque épanchement familial.

– Pas la peine de jouer les prudes avec moi, chérie. Tu as dix-huit ans, bientôt dix-neuf, tu peux parler de fesses sans honte…

Elle rit à gorge déployée en tirant le chariot jusqu’à sa voiture. Une Jeep Wrangler aussi rouge que son jogging.

Il n’est que six heures du matin et l’air est moite, au moins dix-sept degrés ambiants.

– Bah, faut croire que je n’ai pas l’habitude de parler de fesses avec les petites vieilles…

Elle rit de plus belle en s’installant derrière son volant.

– Il va falloir t’y habituer, jeune fille. Je ne suis pas de ces coincées qui ne savent pas faire une phrase sans dire « Merci », « Je vous en prie » ou « Mais faites donc ». Je dis ce qui me passe par la tête, qu’on aime ou qu’on n’aime pas !

Je me contente de hocher la tête, même si intérieurement je jubile. Mon père avait décrit ma grand-mère comme une égoïste maniérée qui ne se gênerait pas pour me mener la vie dure. Mais cette femme ressemble beaucoup plus à une Cora Sledge qu’à autre chose. En plus jeune, moins grosse et plus vulgaire.

 

La voiture longe la deux fois deux-voies le long de la côte. Le spectacle du soleil levant miroitant sur le bleu du Pacifique est à couper le souffle.

– Comment va ton père ? Il avait l’air en forme la dernière fois… Même si tu lui donnais de sacrées migraines.

– Ça va.

– Et sa femme ? Laura, c’est ça ?

– Lauren. Ouais, elle va bien.

– C’est pareil. Elle va lui passer la corde au cou ou pas ?

Grand-mère dépasse largement la vitesse autorisée, mais je ne lui fais pas remarquer.

– Non pas que ça me dérange. Après tout, ça fait quoi ? sept ? huit ans qu’ils sont ensemble ? enchaîne-t-elle sans que j’aie ouvert la bouche pour répondre.

– Neuf ans. Ça fait neuf ans…

– Ils devraient se magner le cul sinon Poupoule finira fripée avant de pondre ses derniers œufs.

Elle ne vient pas de comparer Lauren à une poule ?

– Mamina !

Nous rions à gorge déployée. Cela fait bien longtemps que cela ne m’est pas arrivé.

2

Alexandra

Une odeur de café vint chatouiller mes narines.

Malgré les cent cinquante mètres carrés de la maison et les nombreuses chambres qu’elle compte, j’ai choisi celle du rez-de-chaussée, car elle possède une immense baie vitrée qui donne sur une petite terrasse à l’arrière, directement dans le jardin. Mamina m’a fait remarquer que si c’était une technique pour filer en douce la nuit, c’était peine perdue, car je suis totalement libre de mes allées et venues. « Du moment que tu as de bonnes notes, que tu ne te drogues pas et que tu sais faire preuve de bon sens, notre cohabitation devrait bien se passer », m’a-t-elle simplement précisé.

 

J’aime déjà cet endroit. Si loin de l’appartement strict et froid de Boston. Là-bas, tout est toujours rangé et organisé. Je suis pourtant moi-même assez organisée, mais Lauren a des manières qui frôlent les troubles obsessionnels compulsifs. Prenant un malin plaisir à la contrarier, je me suis souvent amusée à changer les coussins du salon de place et à laisser des miettes sur le plan de travail de la cuisine.

Je repense à sa tête juste avant mon départ. Après l’avoir laissée faire mes valises – une fois qu’elle a évidemment eu repassé et plié tous mes vêtements au carré, avant de les ranger par ordre colorimétrique en faisant attention de faire une valise été et une valise hiver –, j’ai renversé le tout sur mon lit et ai balancé mes affaires dans mes bagages au hasard. Lauren a poussé des cris de stupeur et est partie s’enfermer dans sa chambre les larmes aux yeux.

Ma grand-mère, elle, n’est pas une fée du ménage. Même si elle semble avoir fait les poussières et qu’un léger parfum de fleur flotte dans l’air, je n’ai pu m’empêcher de remarquer la pile de prospectus sur la table basse du salon, les vêtements jonchant le sol de la salle de bain et les fleurs mortes dans le vase de l’entrée.

 

J’attrape mon smartphone et regarde l’heure. Il me reste une heure et demie avant le début de mon premier cours. La boule au ventre que je me suis acharnée à contrôler tout le week-end réapparaît.

Je me lève et file à la salle de bain attenante à ma chambre. Je prends une douche rapide, me brosse les dents, les cheveux et enfile un jean et un t-shirt blanc tout simple quoique un peu moulant. Je passe mes tennis blanches, prends ma veste et mon sac et me dirige vers la cuisine.

 

– Lexie !

Abigail est attablée à l’îlot central, une tasse de café à la main. Un homme d’une trentaine d’années aux cheveux noir profond est assis avec elle. Cachés derrière des lunettes, ses yeux sont les mêmes que ceux de ma grand-mère. Les mêmes que ceux de ma mère. Les mêmes que les miens…

– Alexandra !

– Oncle Charlie.

Mon oncle se lève et me prend dans ses bras. Je déteste vraiment les démonstrations d’affection de cette famille.

Il a les traits de sa mère, fins et graciles, quoique masculins. C’est un bel homme.

– Comment vas-tu ?

– Bien.

– Elle est stressée, c’est son premier jour d’école, répond Abigail à ma place.

Je me sers une tasse de café et attrape un toast pour le porter à ma bouche.

– Je connais bien le conseiller d’orientation de St Jones. Ton père et moi avons usé de toute notre influence pour te faire intégrer l’établissement.

J’émets un grognement, essayant d’oublier que je n’ai pas encore appelé mon géniteur alors qu’il me l’a fait promettre avant mon départ. Mais si nous ne savions déjà pas communiquer en habitant sous le même toit, je ne vois pas comment des milliers de kilomètres de distance pourraient nous aider.

– Je suis passé déposer des plantes pour maman et je me disais que je pouvais te déposer au lycée. C’est sur ma route. Tu n’auras pas besoin de prendre le bus, aujourd’hui.

Charlie possède une pépinière dans l’une des villes voisines.

– Ouais… ok.

– Tu ne veux pas t’acheter de voiture, pour te déplacer plus facilement ? m’interroge Abigail.

– Non, je ne suis là que pour huit mois et je préfère garder mon argent pour plus tard.

– Pour la fac ?

– Ouais, ça se peut.

– Mais c’est ton père qui paiera pour l’université. Il en a largement les moyens !

Je me mords la lèvre inférieure et lève les yeux au ciel.

– Mais qui te dit que je voudrai encore avoir quelque chose à faire avec lui ?

Abigail arbore un air perplexe, mais j’attrape mon sac et file par la porte avant de lui laisser le temps de répliquer.

Après être passée par le bureau d’accueil, je ressors du bâtiment principal du lycée St Jones et décide d’en faire le tour pour trouver la bibliothèque. Mon premier cours commence finalement plus tard que prévu.

Après l’avoir trouvée, je m’installe pour m’avancer sur le programme de littérature. Ma matière préférée.

 

Lorsque la sonnerie retentit, je relève la tête vers l’horloge et panique à l’idée d’être en retard à mon premier cours. J’enfouis mes affaires à la hâte dans mon sac à dos en cuir, et, mon carnet rose et mon livre de sciences dans une main, je file vers la porte et dévale l’escalier.

Dans ma course, je manque une marche et mon pied glisse, me faisant perdre l’équilibre. Je tombe tête la première et heurte une masse noire dure comme le fer. J’ai dû me fendre la lèvre, une douleur court tout le long de ma mâchoire.

Je porte la main à ma bouche et m’assois sur l’une des marches. Du sang perle à ma bouche, je l’avale en aspirant ma lèvre inférieure.

– Ça va ? me demande machinalement celui dans lequel je viens de me cogner.

– Ouais. Je crois…

Je tâte ma mâchoire du bout des doigts et grimace.

J’essaie de me relever, mais un bras recouvert de dessins à l’encre noire surgit devant mes yeux et tente de s’emparer de mon carnet par terre. Spontanément, je tends le pied et le pose dessus.

– Pas touche !

Je lève les yeux vers mon interlocuteur. Il est grand et suffisamment musclé pour que chaque partie de son corps se dessine à travers ses vêtements. Une multitude de tatouages s’échappe des manches de son t-shirt pour s’étendre à ses bras. Il a la mâchoire carrée, des sourcils froncés et des lèvres fines. Ses yeux sont d’un noir aussi profond que celui de ses cheveux qui tombent en longues mèches sur son front. Dans le soleil, je vois briller quelque chose à son oreille et me rends compte qu’il porte deux piercings en métal à la même oreille. Un anneau sur le lobe et une tige avec deux boules argentées à son tragus. À contre-jour, je ne distingue pas tous les traits de son visage. Mais il est tout de même saisissant de beauté.

– Je suppose que tu voulais dire « Excuse-moi de t’avoir explosé la clavicule avec mes dents » !

Sa voix est rauque et légèrement hachée.

– Non, ce que je veux dire, c’est bien « Pas touche » !

Je tends la main pour rattraper mon carnet et mon livre de sciences et, par la même occasion, je ramasse le livre qu’il a dû faire tomber en même temps que moi. L’Insoutenable légèreté de l’être. Il me l’arrache des mains. Je le fusille du regard. Mais il me le rend bien.

– C’est quoi ton problème ? Tu me rentres dedans, tu me craches dessus… râle-t-il en désignant un filet de bave plein de sang sur la manche de son t-shirt. Et en plus t’es une chieuse ?

Ce garçon a une voix bien trop envoûtante. Je ne peux pas détourner mon regard du sien et cette sensation d’être transpercée de part en part n’a rien d’agréable. C’est plutôt inconfortable et intimidant. Mais Alexandra Montgomery n’a jamais été du genre à se laisser intimider par qui que ce soit.

– Tu ne viendrais pas de me traiter de chieuse, par hasard ?

Nous nous défions du regard.

– Si. On dirait bien.

J’essaie de trouver une réplique cinglante, mais avant de pouvoir rétorquer quoi que ce soit, je sens ses doigts se refermer sur mon menton et me forcer à relever la tête. Il fronce de nouveau les sourcils.

Son contact m’électrise, je réprime un frisson quand une douleur sourde se diffuse de nouveau le long de ma mâchoire.

– Faut que t’ailles à l’infirmerie. Ta lèvre commence à enfler.

Je retire sa main d’un geste brusque.

– Qu’est-ce que ça peut te foutre ?

 

Je me relève en m’appuyant douloureusement sur mes mains et la deuxième sonnerie retentit.

– Génial, maugréé-je, en plus, je suis déjà en retard à mon premier cours…

– C’est toi, la nouvelle ?

Même en étant sur deux marches de plus, je me rends compte que j’atteins à peine son menton.

Je décide de jouer les garces jusqu’au bout et descends en le bousculant de l’épaule.

– Pousse-toi, Ducon.

Tandis que j’avance d’un pas déterminé, sans regarder en arrière, il me lance avec un petit rire mauvais :

– L’infirmerie est derrière le bâtiment des sciences, Saleté !

3

Austin

– Hé mec, t’as vu Savannah ? me demande Evan en laissant tomber son sac et ses livres dans l’herbe.

Jesse laisse quant à lui tomber son cul à côté de moi.

Je soupire. La soudaine obsession d’Evan pour cette brune trop maigre et aux dents trop longues me dépasse.

– Sérieux, tu crois que j’ai que ça à foutre de surveiller ta copine ?

Il s’assied sans rétorquer et tire des feuilles de sa poche pour se rouler un joint tout en jetant de fréquents coups d’œil aux alentours pour être sûr qu’aucun pion, prof ou élève trop studieux ne passe par là.

 

Je repousse du pied le sac de Jesse qui me bouche la vue. Il suit mon regard en croquant dans sa pomme.

– C’est qui ?

La fille qui m’est rentré dedans ce matin est assise cinquante mètres plus loin, sur un banc accolé à une table en bois défraîchie. Un pied par terre et l’autre replié devant elle, elle lit un livre coincé entre ses jambes. Elle ne porte qu’un jean, des tennis et un t-shirt blanc, mais putain ce qu’elle est sexy ! Des hanches pulpeuses, une taille fine et un visage en ovale. Elle a le teint naturellement hâlé et de longs cheveux brun foncé dont les boucles tombent en cascade le long de ses épaules. Un casque bleu électrique posé sur ses oreilles, elle mord dans un sandwich. Putain, y a que les femmes pour faire mille choses en même temps ! Écouter de la musique, lire et manger.

– C’est pas elle, la nouvelle ? demande Evan en s’intéressant tout à coup à elle.

– Si.

– Elle est bonne, enchaîne Evan en souriant comme un gamin.

– Ouais, elle est bonne, approuve Jesse.

Je ne réponds pas.

– Elle s’appelle Alexandra. C’est Zara qui me l’a dit, elle est dans son cours de sciences.

Alexandra… Je médite sur ce prénom.

– Elle vient de Boston.

– Sérieux ?

Je le quitte des yeux pour interroger Evan du regard. Boston ? Comme moi ? Personne ne vient de la côte Est, par ici.

– Ouais, sérieux. Y en a qui disent qu’elle a fait des trucs pas nets et que c’est pour ça que ses vieux l’ont envoyée ici. Genre, elle est obligée de vivre avec sa grand-mère et tout…

– Quels trucs pas nets ?

– J’en sais rien, moi… Pourquoi ? Elle t’intéresse ?

– Nan. C’est une chieuse.

– Comment tu sais ça ?

– Elle m’a bavé dessus et m’a insulté ce matin.

Jesse éclate de rire.

– Ok, mec. Alors je prends. Prem’s.

 

À ce moment-là, relevant la tête vers nous, elle nous fusille du regard. Ses yeux verts perçants nous clouent sur place.

Après ce qui me semble être une éternité, elle range les restes de son sandwich au fond de son sac avec son livre et se lève. Elle me fixe puis me fait un doigt d’honneur sans l’ombre d’un sourire sur les lèvres. Et elle tourne les talons.

Si je n’avais pas été aussi surpris, je lui aurais sans doute rendu son geste. Mais c’est bien la première fois qu’une fille me fait ça. J’en reste bouche bée et la suis des yeux pendant qu’elle s’éloigne en réajustant le casque sur ses oreilles. Je ne peux m’empêcher de remarquer le balancement de son cul dans son jean.

Si elle me cherche, elle va me trouver !

Commander You Kill Me Boy