Éternel recommencement

Sacha

Il fait froid. Le jour, la température est bien descendue, mais le soir, on se les pèle carrément. Heureusement que j’ai une bonne raison de sortir, sinon je resterais tranquillement à la maison.

Mon portable vibre sur le lit tandis que j’enfile ma veste en jetant un œil par la fenêtre dont les rideaux ne sont pas tirés. En bas, dans l’allée, une voiture est garée. Ces idiots n’ont même pas éteint les feux. Il est près de minuit. Si maman ou Eden se réveille à cause d’eux, je vais passer un sale quart d’heure.

J’ouvre le message qui s’affiche sur l’écran.

** Danielle : Bon tu viens ou pas, tête de gland ? On ne va pas t’attendre toute la nuit. **

Cette chieuse a beau être ma meilleure amie, parfois je me retiens de lui mettre une.

** Sacha : Ça va, j’arrive ! **

 

Je tâte mes poches à la recherche de mon portefeuille et l’ouvre. Eh merde ! Plus de latex.

J’ouvre le tiroir de ma table de chevet. Pas ici non plus.

Mon sac de fac. Rien.

Ok, pas de panique. Après tout, ce n’est pas comme si elle avait prévu de se rapprocher de moi ce soir.

Mon cœur rate un battement quand on cogne doucement à la porte. C’est elle.

— Ouais ? je murmure tout bas.

Le battant s’ouvre et je distingue ses longs cheveux blonds avant de la voir elle. Ses yeux gris rieurs me rappellent tant de souvenirs d’enfance.

— Sacha, ils sont là. On y va ?

Je hoche la tête et déglutis en essayant de ne pas regarder sa poitrine généreuse qui déborde presque du petit top en dentelle gris perle qu’elle a mis sous une veste en jean.

 

Cinq ans que je n’avais pas vu Sedna. On s’est perdus de vue petit à petit en grandissant et la voilà qui débarque chez nous pour des vacances, loin de sa famille un brin encombrante.

Ce n’est plus la petite fille avec qui je jouais gamin. Comme dit Logan, c’est une bombe !

Ses pommettes arrondies et ses airs boudeurs ont fait place à un visage angélique plus affiné. Ses bras potelés, ses hanches épaisses et toutes ses imperfections de l’enfance se sont muées en courbes voluptueuses et généreuses. Dire qu’on faisait les quatre cents coups ensemble et que j’ai déjà dormi dans le même lit qu’elle.

 

— Sacha ?

Je cligne des yeux en la contemplant encore. Trois jours qu’elle est là et je ne m’en remets toujours pas.

— Ouais… Euh… On y va.

— Tu es sûr que tante Lexie ne dira rien ?

— On est adultes, qu’est-ce que tu veux qu’elle dise ? En plus, elle a confiance en moi.

Sedna hoche lentement la tête, les mains dans les poches arrière de son jean. Cette posture fait encore plus pointer ses seins vers l’avant. Il fait chaud d’un coup.

Je déglutis et passe devant elle pour sortir. Dommage que ma bagnole soit au garage jusqu'à lundi. Sinon, j’aurais profité d’un moment seul avec elle. Maman ne nous a pas lâchés d’une semelle depuis trois jours. Impossible d’avoir un peu d’intimité.

 

En bas de l’escalier, je n’allume pas la lumière. La lune qui filtre par les fenêtres vitrées éclaire bien le salon et je ne veux pas réveiller les filles. Grover, le labrador que papa a offert à Aby il y a plusieurs années, lève la tête à notre approche. Je lui fais signe de se taire. Mais quand je m’arrête au bas des marches, Sedna vient se cogner contre moi.

— Aïe…

Elle sautille sur place en se tenant la cheville et en riant en même temps.

— Préviens quand tu t’arrêtes, Reed ! J’ai failli me casser la gueule.

Je ris nerveusement en l’attrapant pour qu’elle ne tombe pas sur le plancher et foute ainsi un bordel sans nom. Mais quand mes doigts touchent son bras, là où sa veste est relevée, un frisson me parcourt de la tête aux pieds. Mon sourire se fige, celui de Sedna aussi. Elle me fixe intensément. Le temps semble s’être arrêté. Bon sang !

 

Il se passe un très long moment avant que je la lâche et qu’elle se remette d’aplomb sur ses deux pieds.

— Attends… Euh… Attends-moi là. J’en ai pour une minute, je bafouille de manière maladroite.

Je m’éloigne dans le couloir, en direction de la chambre de mes parents. Avant d’ouvrir leur porte, je l’entends qui discute derrière moi. Assise sur les marches de l’escalier, elle s’est mise à caresser le cou et le flanc de Grover qui couine de plaisir comme un chiot.

— T’es un bon chien, toi…

J’observe la scène un instant. Je donnerais tout pour être à la place de ce chien.

Wow wow wow… Réveille-toi, bordel ! Il va falloir que je compte sur Danielle pour me foutre des baffes et me remettre les idées en place.

 

J’ouvre doucement la porte devant laquelle j’attends. Maman dort, presque au bord du lit, un bras dans le vide. Papa, qui ronfle, est collé à elle, la main sur son ventre proéminent. La famille va encore s’agrandir.

Je fais le tour du lit et m’accroupis pour fouiller dans le tiroir de la table de nuit en essayant de ne rien renverser pour ne pas les réveiller. Ils ont toujours des capotes dans la table de chevet. Je me demande bien pourquoi d’ailleurs. Au bout de tant d‘années de mariage à quoi cela peut-il encore servir ?

Mais bien sûr, cette fois, il n’y en a pas. Bon… aux grands maux, les grands remèdes.

— Papa…

Je le secoue doucement. Son ronflement ralentit, se coupe puis repart.

— Papa !

Je le secoue un peu plus fort et il grogne, bouge et se retourne en maugréant.

— Papa… Tu dors ?

— Bien sûr que je dors, imbécile…

Il grogne, de mauvaise humeur.

— Qu’est-ce que tu veux ?

Je murmure :

— T’as encore des capotes ?

— Pour quoi faire ?

— À ton avis ?

Il soupire et tend la main vers son pantalon par terre.

— Regarde dans mon portefeuille. Et arrête de venir me déranger la nuit pour ça. Tu ne sais pas qu’il faut faire des réserves ?

Je fouille dans le portefeuille et en trouve un comme il l’a prédit.

Bien sûr que je sais qu’il faut faire des réserves. Il me l’a bien assez répété. Je crois d’ailleurs que c’est cette tendance à toujours me dire de prendre mes précautions et à me refiler des capotes qui m’a quasi immunisé contre le sexe à l’adolescence. Les autres s’envoyaient en l’air avec n’importe qui, n’importe où et n’importe quand, mais pas moi.

À quatorze ans, j’ai commencé à faire croire que je l’avais déjà fait. Parce que je ne voulais pas qu’on se moque et que j’avais tout de même une réputation à tenir face aux filles du secondaire qui n’avaient yeux que pour mon père qui me déposait en cours tous les jours. En réalité, j’ai été dépucelé par ma meilleure amie à dix-sept ans. Bon ok, on s’est dépucelés mutuellement. Et ce n’était pas terrible. On n’est pas fait pour être autre chose qu’amis Danielle et moi.

 

— Merci, p’pa.

— Où est-ce que tu vas à cette heure-ci ?

— Feu de camp. Avec Danielle et Logan.

— Fais attention. Tu emmènes Sedna ? J’ai entendu vos messes basses à tous les deux aujourd’hui.

Maman bouge sur le lit et je me relève vite avant qu’elle me voie.

Si papa est très ouvert sur le sujet « sexualité pour tous » — Enfin, avec moi, surement pas avec Eden —, maman, risque de me faire une crise si elle me sait à la recherche de capotes pour une éventuelle soirée baise.

— Sedna vient aussi. T’inquiète, on sera de retour avant que vous soyez levés.

 

Je m’enfuis de la chambre avant que ma mère se réveille. Je glisse la capote dans la poche arrière de mon pantalon.

Sedna m’observe revenir vers elle en se relevant.

— Ils dorment ?

— Ouais ! C’est bon, on peut y aller.

Nous nous faufilons dans l’air frais de la nuit. Sedna marche près de moi. Trop près. Je suis loin d’être coincé avec les filles, mais elle, elle me rend nerveux. Chaque fois qu’elle me frôle, je suis au bord de la crise cardiaque.

 

— Bon alors ! grogne Logan à notre approche.

Ce mec est mon meilleur ami. Depuis que je vis ici, nous avons tout fait ensemble. Des soirées devant nos films préférés, des nuits à débattre sur nos comics favoris, des journées à la plage avec sa mère Rachel, tante Zara, ses frères et sœurs et ma famille. On a même inventé nos propres techniques de drague. Et volé le chien de monsieur Hoffman, coursé Danielle à vélo avec un lézard inoffensif en main, fumé notre premier pétard… Avec Dani nous formons un trio inséparable.

 

J’ouvre la portière côté passager et fais les gros yeux à Danielle.

— Bouge.

— Dans tes rêves, ouais !

— Mais va derrière, putain.

Logan s’impatiente en tapant de la main sur son volant.

— Bon allez, décidez-vous là !

Si je dois m’assoir une demi-heure à côté de Sedna, je vais crever, c’est clair.

— Je te paye un resto samedi prochain.

Danielle plisse les yeux un instant puis je vois ses lèvres se soulever en un rictus moqueur alors qu’elle se contorsionne pour passer à l’arrière.

Cheveux à la garçonne, jupe longue sur bottes de moto, gilet à franges, piercings à la lèvre et au milieu du nez, son look ne laisse jamais indifférent. On aime ou on déteste. Elle a même un téton percé. Mais après tout, elle a été adoptée par Nick et Charli à l’âge de huit ans, avant ça, elle avait vécu en foyer, ce qui lui a forgé un caractère de merde tout à fait compatible avec son look.

Je la vois tendre la main à Sedna. Elles se connaissent, mais de vue seulement.

 

Logan démarre. C’est parti. Nous roulons en direction de la côte. Je jette un coup d’œil dans le rétro au moment où Sedna m’y regarde aussi. Et je détourne aussitôt les yeux, faisant semblant de jouer avec l’autoradio.

Logan me pousse du bras.

— Ne joue pas avec ma musique, toi. T’as des goûts de chiotte.

— Parce que j’écoute du classique, j’ai des goûts de chiotte ? Tu te crois mieux avec ton heavy-metal de merde, là ?

On se chamaille comme ça pratiquement jusqu'à l’arrivée sur le parking.

 

Un grand brouhaha s’élève au-delà des arbres. La bière doit couler à flots et tout le monde doit danser autour du feu sur la plage. En fait, on est surtout venus pour que Logan puisse draguer la petite blonde qu’il a repérée depuis une semaine.

— Comment je suis ? il demande à Danielle en tirant sur le col de sa chemise sous sa veste.

Il est nerveux. Non, mais je rêve. Danielle se contente de lever les yeux au ciel dans une attitude exaspérée avant de lui tourner le dos pour allumer sa cigarette.

Je hausse les épaules et fais signe à Sedna de me suivre.

 

Nous traversons le sous-bois pour nous retrouver sur la plage au milieu d’autres étudiants. Je salue quelques têtes que je connais bien, des filles et des gars de St Raph. On nous propose à boire. Logan est déjà parti à la recherche de sa blonde.

Je retrouve quelques gars qui étaient à mon cours de graphisme cette année.

— Tu viens ? On va laisser ces bonshommes discuter de leurs egos surdimensionnés, raille Danielle en tirant Sedna par le bras.

Je m’apprête à protester, mais ne trouve rien à dire quand Sedna me sourit avant de la suivre. Sa beauté me coupe le souffle. Et dire qu’elle dort dans la chambre juste à côté de la mienne tous les soirs. Bordel de bordel de…

Non, il ne doit rien se passer entre nous ! Maman se transformerait en cyclone. On n’a aucun lien familial, mais par alliance elle fait presque partie de la famille de maman depuis si longtemps que ce serait… mal ?

 

La soirée s’écoule bien trop lentement à mon goût. La seule bière que j’ai bue ne change rien à l’affaire. Je ne veux pas être soûl, pas ce soir, pas même un peu. Au cas où elle voudrait parler ou… autre chose. Je veux me souvenir de tout.

 

Deux heures après, je suis assis sur un des énormes rochers qui ornent la plage côté sud quand Danielle vient me rejoindre, un de ces gobelets rouges typiques à la main.

Je fronce les sourcils.

— Où est Sedna ?

— Là-bas.

Je suis son regard et vois la déesse qui dort dans la chambre à côté de la mienne se déhancher sur la piste de danse improvisée autour du feu avec d’autres gens.

— Elle te plaît, pas vrai ?

Danielle grimpe s’assoir à côté de moi.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? je grogne.

— Oh allez, j’entends ta queue frétiller dans ton caleçon depuis que vous êtes entrés dans la voiture.

— Va te faire foutre.

— Oh oui c’est prévu, Dylan m’attend. Mais tu ne devrais pas tarder toi non plus, si tu vois ce que je veux dire. Elle est canon et d’autres l’ont remarquée aussi.

J’ai les yeux braqués sur elle. Elle danse comme une vraie femme, sensuellement, sans même le remarquer.

— Je ne peux pas. Mes parents en feraient une crise. Puis… je ne crois pas que ce soit son genre.

— Les parents font des crises quoi que tu fasses de toute façon. Elle n’est même pas de ta famille alors je ne vois pas pourquoi ça gênerait qui que ce soit. Tu ne peux pas savoir si c’est son genre tant que tu n’auras pas essayé. Ah, elle vient par là…

Je relève vivement la tête que j’ai baissée pour éviter de bander en la regardant danser.

 

Danielle se lève quand Sedna arrive à notre hauteur et se laisse tomber à côté de moi.

— Désolée les loulous, mais il y a dans ces bois sombres un super beau mâle avec des tablettes de chocolat en acier qui m’attend pour m’envoyer au septième ciel.

Elle saute prestement à terre et s’en va.

Sedna rit doucement.

— Elle est tout le temps comme ça ?

— Non, elle est souvent pire.

Je ris aussi. Danielle est une vraie calamité, mais je l’adore.

— Tu ne viens pas t’amuser ?

— Ça va, je suis bien là. Logan est tellement sur les dents que je suis sûr qu’il va finir soûl avant tout le monde alors mieux vaut que je ne boive pas pour nous reconduire sain et sauf tout à l’heure.

Elle hoche la tête et referme ses bras autour de ses jambes sous son menton.

 

Elle est assise si près que je sens l’odeur fruitée de son parfum.

— Sacha ?

— Hmm ?

— Pourquoi on s’est perdus de vue ?

Sa question me prend au dépourvu. Qu’est-ce qu’elle veut dire par là ? C’est évident, non ?

— Eh bien… Tu vis à plusieurs heures de vol d’ici, alors…

— Mais tu es venu en vacances chez ta grand-mère quelques fois. Et chez les parents de tante Lexie aussi. Tu ne faisais plus attention à moi.

Je hausse les sourcils. C’est vrai que les quelques fois où je suis allé à Boston, je l’ai croisée vite fait, mais elle était toujours occupée. Dans sa période « pom-pom girl ultra occupée », dans sa période « je veux une voiture, papa », dans sa période « je sors avec mes copines plutôt que de passer du temps avec ma famille ». Alors j’ai toujours pensé que je ne l’intéressais pas.

— Je pensais que tu t’en fichais. Toi non plus tu ne faisais pas attention à moi.

Elle hausse les épaules.

— J’ai attendu longtemps que tu m’invites à sortir. Ou au moins… à trainer avec toi. Mais tu repartais toujours sans l’avoir fait. Tu sais, on n’est pas cousins.

Bordel de bordel de merde. Je rêve ou je viens d’entendre exactement ce que j’avais envie d’entendre ?

Mon cœur accélère un peu sa course. Je la regarde de biais. Elle lève la tête et me sourit. Est-ce une invitation ?

 

Je me penche doucement vers elle, avec le cœur qui bât à mille à l’heure. J’ai déjà fait ça des dizaines de fois, pourquoi c’est diffèrent maintenant ?

Un instant j’hésite, mais c’est elle finalement qui fait le reste et vient m’embrasser. Je dois reposer mes deux mains à terre pour ne pas perdre l’équilibre. C’est doux, sucré, langoureux, saisissant, brûlant.

Je sens ses mains se refermer dans mon cou alors j’entrouvre à peine les yeux, le temps de poser mes doigts sur ses hanches et de l’attirer vers moi.

Impossible de respirer, même si je le voulais. Nos corps sont comme attirés l’un vers l’autre. Elle se soulève pour se rapprocher de moi alors que je m’accroupis presque pour l’embrasser encore.

 

Quand on finit par se détacher, le souffle court, Sedna repose son front contre le mien alors que je la tiens par la hanche pour l’empêcher de tomber.

Je ne peux retenir un petit rire nerveux. Sedna fait de même.

— Il était temps, elle murmure.

Je recommence pour voir si je n’ai pas rêvé. Je l’embrasse encore. Elle gémit. Putain, elle gémit…

Je ne sais pas comment elle réussit à se glisser entre mes jambes et à emmêler les siennes aux miennes. On reste là, assis sur ce rocher, collés l’un à l’autre à s’embrasser follement encore et encore.

J’ai très vite envie de plus, mais je ne sais pas jusqu’où elle est prête à aller alors je dois freiner mes ardeurs.

 

Quand elle se détache de moi, c’est pour me regarder intensément avec ses yeux gris, glisser ses doigts dans mes cheveux et tracer du bout du doigt la cicatrice sur mon menton.

— Tu te souviens du mariage de tes parents ? elle me demande.

Comment je pourrais oublier ?

Je hoche la tête.

— On s’était cachés sous la table. Et on avait mangé l’arrière de l’énorme gâteau au citron prévu au dessert. Personne n’a rien vu.

— Je me souviens.

— Je t’avais demandé avec qui tu te marierais quand tu serais grand. Et t’avais répondu que t’épouserais ta mère toi aussi, comme ton père.

Je ris doucement.

— Je crois que mon complexe d’Œdipe est passé depuis.

— Ça veut dire qu’il y a de la place pour une autre femme dans ta vie ?

— Ça veut dire qu’il y a de la place pour toi.

Sedna sourit, ses joues se colorent et je ne résiste pas à l’envie de l’embrasser encore.

D’ailleurs, on ne fait plus que ça. Pendant les heures qui suivent.

 

Logan vient nous rejoindre plus tard et ne fait aucun commentaire en nous voyant collés comme des escargots. Il est aussi délassé que s’il venait de baiser. Je me demande si ce n’est pas le cas, d’ailleurs. Pour Danielle par contre, c’est une certitude. Elle est aussi fraîche et détendue que quand elle revient de sa séance de sport avec maman et tante Zara.

 

Comme prévu, je conduis sur le chemin du retour. Pendant le trajet, je jette de fréquents coups d’œil dans le rétroviseur. Sedna me fixe. Je ne sais pas si elle pense la même chose que moi. Mais je n’ai plus l’intention de la lâcher.

 

À la maison, Danielle reprend la voiture.

— Baisez en silence, les p’tits loups. N’oubliez pas qu’il y a des gosses qui dorment.

Je lui fais de gros yeux alors qu’elle démarre en riant. Mais Sedna glisse ses doigts dans les miens me prenant au dépourvu et fait un clin d’œil à Danielle.

— Ne t’inquiète pas, ce n’est pas mon genre de crier.

Elles rient toutes les deux avant que Sedna ne me tire vers la maison.

Je fixe sa main dans la mienne. Pas son genre de crier ? Donc on va bien… Ça s’est déjà mis au garde-à-vous dans mon caleçon.

 

— Chuuuttt

Elle me tape sur la cuisse alors que je trébuche en rentrant dans la maison, faisant grogner Grover au passage. Je fais une gratouille au chien pour l’empêcher de faire du bruit et on file à l’étage vite fait.

Inutile de te poser mille questions, Sacha, prends les devants pour une fois !

Je l’attire à moi et m’engouffre dans ma chambre en refermant la porte derrière nous.

Mes doigts se perdent dans ses cheveux, sa bouche vient rencontrer la mienne. Je retire ma veste sans quitter ses lèvres, elle fait de même et on finit par tomber à la renverse sur le matelas en riant.

— Chuuuttt….

Doucement, elle pose son index contre ma bouche et se soulève un peu sur ses coudes. Je me contorsionne déjà pour trouver la capote dans la poche arrière de mon jean.

— Sacha…

— Quoi ?

— Je ne l’ai jamais fait.

— Fait quoi ?

Elle me regarde tout à coup comme si j’étais demeuré. Je comprends alors l’assurance qu’elle a feinte avec Danielle.

— Tu veux dire… jamais ?

— Jamais.

Elle souffle doucement, mais je vois le léger tremblement dans ses yeux.

Elle ne l’a jamais fait et elle veut que ce soit moi le premier ?

Sedna murmure contre ma bouche.

— Tu sais, je n’ai pas peur. J’ai toujours su que tu serais le premier. J’ai attendu, mais tu ne semblais pas te décider. Maman voulait que j’aille en vacances chez oncle Ruarc et sa femme dans le New Jersey cette année, mais je me suis dit que si je ne venais pas te voir, je ne saurais jamais. C’est maintenant ou jamais. On m’a proposé de quitter Columbia et d’aller étudier en France cet automne.

— Tu ne saurais pas quoi ?

— Si c’est toi. Mon âme sœur.

Brusquement, je me mets à transpirer. Elle a traversé les États-Unis pour savoir si je…

Je me redresse un peu et la repousse sur le côté. C’est une trop grosse responsabilité.

— Sacha ?

— Écoute, je ne…

Je n’arrive plus à trouver mes mots. Que répondre à ça ?

 

Sedna se redresse et s’assoit, faisant retomber ses cheveux blond platine en cascade dans son dos.

— Ça va, j’ai compris.

Elle laisse échapper un petit rire nerveux en secouant la tête.

— Quelle idiote. Je pensais que… quand tu me souriais de l’autre côté de la table pendant les interminables repas de famille chez tante Lauren, ça voulait dire quelque chose. Que quand tu riais à mes blagues pas drôles, ça voulait dire quelque chose. Que toute notre enfance ensemble voulait dire quelque chose. Que quand tu me tenais la porte chaque fois que je sortais d’une pièce, ça voulait dire quelque chose. Parce que c’est bien, un mec qui te tient la porte. Ça veut dire qu’il ne te laissera pas tomber comme ça, pour rien.

— Sedna, je…

— J’ai compris, ne te fatigue pas.

 

Elle se lève si vite que j’ai à peine le temps de faire un geste avant que la porte se referme derrière elle.

Je me rassois au bord du lit et fixe cette putain de porte bêtement. Elle me dit tout ça puis elle s’en va, comme ça ?

Impossible d’aller lui parler. Elle dort dans la chambre d’Aby. Eh merde.

Je me laisse retomber en travers du lit et fixe le plafond. Qu’est-ce qui vient de se passer, bordel ?

 

***

 

Je regarde les ombres qui passent et repassent sous ma porte. La maison entière est réveillée depuis un moment. Aujourd’hui, c’est le grand barbecue du dimanche. Tout le monde vient manger à la maison.

Il est presque onze heures à mon réveil. Et je ne veux pas sortir de ma chambre. Je n’ai presque pas dormi, j’ai passé mon temps à penser à tout ce qu’a dit Sedna. Puis à ce que je ressens depuis qu’elle est là et à ce que j’ai ressenti hier soir quand on s’est rapprochés puis quand elle a claqué la porte de ma chambre. Et c’est toujours le bordel dans mon cerveau.

Je tire ma couette sur la tête quand la porte s’ouvre à la volée.

— Papa t’a dit de te lever, gros plouc !

Je balance mon oreiller en direction de celle qui me parle avec toute la force que j’ai. Eden a toujours le don de faire chier.

— Sachaaaaa ! elle hurle alors que je me plaque les mains sur les oreilles.

Elle claque la porte avec violence. Sale peste.

 

Je me lève difficilement et m’assois au bord du lit en me frottant les yeux. Sûr que j’ai des cernes.

Ma porte s’ouvre encore et j’entends le brouhaha en bas.

— Putain de merde ! Dégage de là !

Je me mets à jurer, mais je le regrette quand j’entends la petite voix d’Aby me répondre.

— Maman a dit que tu serais gentil aujourd’hui.

Je lève la tête et la regarde qui m’observe la tête penchée comme celle de Grover à côté d’elle.

Je soupire en tendant les bras.

— Viens là, gamine.

Ma petite sœur accourt se jeter dans mes bras, Grover qui frétille de la queue sur ses talons.

— Excuse-moi d’avoir crié.

— Je ne le dirai pas à maman.

Je souris et lui plaque un gros bisou sur le front. Comparée à Eden, Aby est la douceur incarnée. Ça ne veut pas dire que j’en préfère plus une que l’autre, mais avec Eden c’est toujours explosif.

 

— Maman a demandé si tu préfères qu’elle te tire du lit par les oreilles ou par la peau des fesses ? elle dit sérieusement.

Je souris et la renverse sur le lit pour lui faire des chatouilles.

— Et toi, tu préfères que je te tire le nez ou les doigts de pieds ?

Je lui pince le nez et elle rit comme une gamine qu’elle est, en se débattant.

Grover se met à aboyer de joie.

— Allez file. Et dis à maman que je suis levé.

Elle s’enfuit avec le chien alors que je m’engouffre dans la salle de bain.

 

Vingt minutes plus tard, je dévale les escaliers et file directement à la cuisine. Mais je me stoppe net à la porte en voyant Sedna attablée à l’îlot central, en train de disposer des petits légumes dans un plat alors que maman sort des sodas et de la bière du réfrigérateur.

Oncle Leo est en train de hurler avec Evan et Nick devant un combat de boxe à la télé. Danny et Aby se sont mis à courir dans toute la maison. Lia, Elijah, Benny et Chelsy font autant de bruit dans le jardin sous les cris de tante Zara, Rachel et Taylor. J’entends les voix de Danielle et Logan aussi.

Une bonne odeur de viande grillée vient me chatouiller les narines. Je suis sûr qu’oncle Joshua, papa et Charli s’occupent des grillades comme d’habitude.

Toute ma famille de dingues est réunie.

 

— Tiens, monsieur a décidé de sortir de sa chambre et de nous gratifier de sa présence, me lance papa en me bousculant pour entrer dans la cuisine, en me donnant une tape derrière la tête par la même occasion.

Je me gratte la tête en grimaçant.

Sedna et maman se retournent au même moment. Je vois déjà les yeux de maman se rapetisser et son nez se froncer.

— Ah tiens ! T’es debout, toi ?

— Ça va. Je suis là. Je vais aider, je grommelle.

Sedna s’est détournée pour ne pas me regarder. Moi je ne peux m’empêcher de loucher vers elle. Elle porte une petite robe portefeuille jaune soleil qui met parfaitement ses courbes en valeur. Je remarque aussi un truc auquel je n’avais pas fait attention jusque-là. Un bracelet brésilien noué autour de son poignet. Dans les tons orange et noirs. J’ai pratiquement le même. On les avait achetés ensemble à l’âge de douze ou treize ans peut-être, sur un marché de Boston avec Lauren. Sauf que je ne mets plus le mien depuis longtemps.

 

— Sacha, tu m’écoutes quand je te parle ?

Je cligne des yeux en revenant vers maman. Papa sort une bière du frigo et se penche pour l’embrasser dans le cou en posant une main sur son gros ventre arrondi. Jamais vu deux personnes s’aimer autant.

Elle a mis ses poings sur ses hanches comme chaque fois qu’elle veut me crier dessus. Je m’affale sur un des tabourets alors que Sedna se relève vivement à côté de moi en emportant le plateau de petits légumes. Elle sort par la porte de la cuisine et je la suis des yeux.

— Sacha !

— Oui ! je réponds exaspéré.

Papa et maman m’observent tous les deux en fronçant les sourcils.

— Tu devais t’occuper du charbon, des glaçons et du pain. Tout le monde a fait sa part de boulot aujourd’hui et Logan a été obligé d’aller dans le centre pour faire les courses à ta place.

Je zieute vers la porte de la cuisine par laquelle Sedna est sortie.

— Je suis désolé. Je n’ai pas beaucoup dormi et…

— Qu’est-ce qui t’arrives Sacha ? Ça t’embête que Sedna soit chez nous pour quelques jours ? Je croyais que vous vous entendiez bien ?

Je me sers une tasse de café noir.

— Mais non, ça n’a rien à voir.

— Depuis qu’elle est là, tu grognes pour tout, tu ne veux plus rien faire et si je ne t’oblige pas à sortir de ta chambre, tu y restes tout le temps.

Je grommelle dans ma tasse à café. C’est n’importe quoi.

 

Je ne peux m’empêcher de jeter à nouveau un œil par la porte-fenêtre quand je vois la tête blonde de Sedna apparaitre. Elle sourit et se penche pour parler à quelqu’un. Je me penche de côté pour voir de qui il s’agit. Elle discute avec Logan.

Je fronce les sourcils en sentant la jalousie me faire crisper les poings.

Papa m’observe intensément derrière sa bière.

— Tu ne serais pas amoureux toi par hasard ?

Sous la surprise, ma tasse m’échappe et je renverse mon café.

— Quoi ? Mais non… je…

Maman, qui a d’abord froncé les sourcils, écarquille à présent les yeux en se plaquant les deux mains sur la bouche.

— Oh mon Dieu ! Tu es amoureux ? De Sedna ? Sacha !

Blanc comme un linge, je jette un œil par la fenêtre pour être sûr que personne ne l’entende crier.

— Mais non. Arrête de dire ça…

— Chéri, mais… C’est merveilleux.

Ah bon ?

— Est-ce que vous…

— Mamaaannn ! Arrêeeettteeee ! On ne sort pas ensemble. Et… on ne fait rien du tout ensemble.

Je me mets à crier. Elle me stresse aussi, c’est bon les conneries là !

— Oh, mais… Je n’avais rien vu… Vous êtes si jeunes…

Et la voilà qui se met à pleurer.

 

Je soupire. Maman pleure pour tout et n’importe quoi ces derniers temps.

— Maman, arrête. Je te dis qu’il ne se passe rien, je souffle, exaspéré.

Mais papa en remet une couche.

— Je vois la façon dont tu la regardes.

— Je ne la regarde pas.

— Que dalle. Tu la regardes exactement comme je regardais…

Le sanglot énorme que lâche maman lui coupe la parole. J’écarquille de grands yeux alors qu’elle vient vers moi pour m’étreindre comme chaque fois que j’ai le malheur de l’émouvoir malgré moi.

Je n’ai pas le temps de m’enfuir qu’elle me serre contre elle en sanglotant et en m’étouffant presque dans ses seins énormes.

— Maman, tu m’étouffes ! Papa !

Je supplie mon père du regard, mais il se contente de hausser les sourcils et sort en riant vers le jardin.

Au secours !

 

Maman s’assoit à côté de moi et essuie ses yeux en reniflant bruyamment. Je suis sûr que c’est ce gosse dans son bide énorme qui la fait pleurer autant.

— Mon chat, tu ne dois pas avoir peur de ces sentiments. C’est magnifique d’aimer. Je suis si heureuse que ça t’arrive enfin.

Je me masse les tempes un instant en fermant les yeux.

— Je ne crois pas que Sedna et moi soyons… Enfin je veux dire… on n’est pas ensemble, tu sais.

— Pourquoi ?

Le poids qui flotte sur mon estomac depuis hier soir se fait plus lourd maintenant que je sais que ça ne leur poserait aucun problème si Sedna et moi étions ensemble.

Je hausse les épaules avec un énorme sentiment de culpabilité.

— Parce que j’ai réagi comme un imbécile avec elle.

— Eh bien, va t’excuser.

Je secoue la tête vivement. Après tout ce qu’elle m’a dit, des excuses ne suffiraient pas.

— Ce n’est pas aussi simple.

— Si, ça l’est. Si tu as mal agi, tu rattrapes ton erreur. Elle semblait malheureuse ce matin. Je comprends maintenant. C’est une fille géniale, Sacha. Tu sais qu’elle va aller étudier en Europe ? Elle nous l’a dit ce matin.

Je ne réponds pas. Ma poitrine se serre. Elle a dit que peut être…

— Si tu ne veux pas qu’elle parte, il faut que tu lui dises, Sacha.

— Mais je vis ici, maman ! Et elle vit à New York !

— Et alors ? Je vivais bien à New York et Austin à Boston et tu vois où nous en sommes aujourd’hui ?

— C’est pas pareil.

— Arrête de te chercher des excuses. Qu’est-ce qui te fait peur ?

Ma gorge se serre encore.

— Je ne sais pas.

Ma mère pose des yeux pleins d’amour sur moi.

— Mon chat nous serons toujours là. Quoi que tu fasses de ta vie, qu’importe où tu décides d’aller, nous serons là quand tu voudras rentrer chez toi. Nous sommes ta maison, ta famille. Tu n’as pas à avoir peur de partir. Nous, on ne bouge pas de là.

— Mais je sais…

— Alors il est peut-être temps que tu arrêtes d’avoir peur de tout et que tu te décides à vivre ta vie.

Je n’ai jamais eu envie de partir de chez moi. Jamais. Ou plutôt je n’ai jamais eu envie de quitter mes parents. Qu’importe que papa me répète que rien ni personne ne me remplacera à ses yeux. Qu’importe que Lexie ne soit pas ma vraie mère, pour moi elle l’est. Elle est ma famille. Celle qui ne me laissera jamais tomber. Et je la regarderai toujours avec mes yeux de petit garçon, exactement comme le dit Danielle en se moquant.

— J’ai peur, maman.

— C’est normal, mon chat. Comme tout ce qui est important dans la vie, partir de chez soi c’est un grand pas et c’est effrayant, mais si on le fait avec les bonnes motivations, alors ça va mieux.

Je tends la main pour prendre la sienne et elle se lève pour me câliner encore.

 

Quand ma mère me lâche pour retourner à ses tâches et ses invités, je la retiens par le bras.

— Tu peux me le dire, je souffle doucement.

— Quoi ?

Je fixe son gros ventre arrondi. Ils sont allés faire une échographie il y a deux jours. Et ils sont rentrés à la maison en souriant, mais en ne disant rien. Alors que pour Aby, ils ne faisaient qu’en parler. J’ai donc vite compris.

— Pourquoi vous ne dîtes rien, tous les deux ? Si je dois avoir un petit frère, tu sais, ça ne me dérange pas. Je sais que papa et toi m’aimez quand même.

Les yeux de maman s’embuent. Encore.

Elle pose ses mains sur son ventre dans un geste protecteur.

— On ne voulait pas te faire de peine. Personne ne te remplacera à nos yeux. Vous êtes nos enfants. Uniques et différents et…

 

— Bordel !

Eden est rentré dans la cuisine en hurlant, les yeux rivés sur la tablette de papa. Maman l’attrape vivement en la tirant par l’oreille et continue à me parler comme si de rien n’était alors que sa fille de onze ans grimace, pendue à son bras. Elle est en train de devenir toute rouge.

— … On vous aime autant l’un que l’autre.

— Maman… gémit Eden. Pardon…

— Toi, je vais te laver la bouche au savon, mademoiselle Reed, la menace maman en la relâchant.

 

Eden s’enfuit vers le jardin en grognant un truc incompréhensible et en se massant l’oreille. Mais en même temps, si papa ne passait pas son temps à jurer, elle ne parlerait pas comme ça. Bon ok, moi aussi. Mais je me contiens plus que lui tout de même.

— Donc je vais bien avoir un frère ?

— Oui.

J’esquisse un sourire pour qu’elle voie bien que je ne suis pas fâché. C’est vrai, je suis content. Je sais que je n’ai aucune raison d’être jaloux.

— Ça veut dire que les filles et toi n’aurez plus la majorité à la maison ! On sera à égalité. Et personne ne pourra plus nous obliger à changer la télé ou à baisser la lunette des toilettes.

Maman se met à rire gaiement. Le même rire qu’Aby. Un rire de gamine. Elle a les yeux qui brillent. Moi aussi.

— C’est ça, compte là-dessus !

 

Je me décide enfin à sortir de la cuisine. Et dans le jardin, tout le monde me hèle.

— Sacha !

Je dois faire la bise à tante Taylor, tante Zara et toutes les femmes de ma famille qui arborent robes, chapeau et lunettes de soleil pour cette Garden party improvisée.

Logan et Danielle me chambrent déjà parce que j’ai apparemment une tête de mort-vivant.

J’arrive de justesse à échapper à oncle Joshua qui veut me faire participer à la tâche « grillades », dédiée aux mecs. Non merci.

 

Je ne quitte pas Sedna des yeux. Sauf quand papa hausse les sourcils avec un sourire moqueur à mon intention. Elle par contre, ne me regarde pas. Elle parle avec tout le monde sauf avec moi, sirote son cocktail et ne croise pas mon regard une seule fois.

Il y a trop de monde. Je ne pourrai jamais lui parler tranquillement...

Pendant une heure, je guette un moment qui n’arrive pas. Sauf qu’à force de boire des tequilas sunrise préparées par oncle Nick, elle finit par filer aux toilettes.

 

Je m’engouffre dans la maison et patiente, appuyé au mur en face des toilettes, que Sedna finisse par sortir.

Ce qu’elle fait en sursautant et en posant sa main sur son cœur.

— Oh bon sang, tu m’as fait peur !

Elle lève les yeux en l’air. Encore pour éviter de me regarder.

— Sedna.

Je l’attrape vivement au visage en l’emprisonnant de mes mains et la plaque contre le mur derrière. Un instant surprise, elle hoquète. Mais elle n’a pas d’autre choix de me regarder en face maintenant.

Ses yeux gris se perdent dans les miens sombres.

— Je suis désolé, pour hier soir. Pour mon comportement. Je sais que tu es déçue. J’ai été surpris et… je crois que j’ai eu peur. Mais…

Ma gorge se serre. Elle a ouvert la bouche puis l’a refermée. Et me fixe maintenant avec douleur. Je l’ai rendue si malheureuse ?

— …mais je voulais te dire que je ressens la même chose. Et que je ne suis qu’un imbécile. Bien sûr que quand je te souris, ça veut dire quelque chose. Bien sûr que quand je ris à tes blagues, ça veut dire quelque chose. Je veux encore te tenir la porte pour que tu passes… Enfin si tu acceptes.

 

On se fixe longtemps.

— Je suis amoureuse de toi Sacha. Tu l’as compris ça ?

Je souris et me penche pour poser mon front contre le sien.

— J’ai compris. Et… je t’aime aussi.

Comme elle ne dit toujours rien, mais que sa respiration s’est accélérée, je pose mes lèvres sur les siennes. Elle accepte mon baiser quand je m’empare de ses lèvres puis le prolonge en emmêlant sa langue à la mienne sensuellement.

 

Le souffle court je m’arrête pour murmurer contre sa bouche :

— Ne pars pas en Europe. S’il te plaît.

— Je n’ai pas pris ma décision, je voulais que tu… que nous…

— Il y a de super offres d’emploi dans l’infographie à New York. J’y songe sérieusement… pour cet automne.

Elle sourit brusquement et enroule ses bras autour de mon cou.

— Tu es sérieux ?

— Plus que jamais.

Je l’embrasse encore pour lui montrer.

 

— Aaaaaahhhhh !!!!!

Un hurlement nous fait sursauter. Eden nous regarde les yeux ronds.

Eh merde. Génial.

Elle sourit brusquement et avance droit vers moi en tendant la main.

— Cinquante dollars où je balance tout à papa. Et il va te défoncer.

Décidemment, elle ne perd jamais le Nord !

Sedna sourit. Moi je lui envoie une tape dans la tête. Sale peste.

— Eh bien va balancer, je m’en fous. Et dis-leur que je me casse à New York aussi.

Eden fronce les sourcils et s’éloigne en grognant.

Je ris. Pauvre petit frère. Il ne sait pas dans quelle famille de fous il arrive !

Moi je pars. Je vais vivre ma vie. Avec elle.

Commander You Kill Me Baby