Prologue

Alexandra

— Je t’aime, Austin…

Je sens ses larmes au goût salé qui s’écrasent sur mon visage.

— Ne fais pas ça, mon amour… Ne me dis pas adieu…

Mes larmes sont taries. Je n’arrive même plus à pleurer. Je sens mes dernières forces me quitter. Mon corps est incandescent, il me brûle. Je meurs… lentement.

— Lexie, non… Lexie… sanglote Zara à côté de moi en serrant ma main contre son chemisier plein de sang.

Je n’avais jamais réfléchi à la façon dont je mourrais. On ne réfléchit pas à ces choses-là.

Pourtant, j’ai cru mourir dans cet accident de voiture avec Nate, mais j’ai tenu la mort à distance de mon esprit depuis. Il semble que l’heure soit venue. Peut-être que c’est mieux ainsi. Je préfère que ce soit moi cette fois, plutôt que quelqu’un que j’aime profondément.

— Pardon, pardon…

La voix de mon frère me parvint, déchirant encore les brumes qui m’entourent. Leo, Austin, Zara… Ils sont tous présents alors que la vie me quitte. Je les abandonne, balayée sur le sol glacé de cette ville qui fut la mienne.

 

Dans un dernier sursaut pour vivre, je lève les yeux sur Austin, dont le visage se dessine au-dessus de moi. Il pleure tout en me fixant de son regard sombre. Ses mains chaudes autour de mon visage gelé sont tachées de mon sang, qui abonde encore sous moi.

Plus le liquide rougeâtre s’étale, plus je vois trouble. Leo a beau essayer d’arrêter l’hémorragie, cela semble peine perdue.

Je n’ai pas peur de mourir. J’ai connu le bonheur. Le vrai.

Ma voix est faible quand je parle à Austin de nouveau.

— N’aie pas… peur… bébé… je ne te laisserai… jam…

Les ténèbres se referment sur moi.

1

ALEXANDRA

HUIT MOIS PLUS TÔT

Seigneur, il n’y a qu’à moi que ce genre de chose arrive !

Après avoir enfin réussi à trouver un équilibre dans ma relation chaotique avec Austin et accepté son fils, Sacha, il fallait qu’il découvre de manière si brutale le frère que j’ai tenté de lui cacher… Et que j’avoue ce mensonge devant ce dernier, qui ne se doutait de rien.

Je ne souhaitais pas en arriver là, et surtout pas de cette manière, mais il n’est pas question que je laisse Austin se servir de Leo comme d’un punching-ball encore une fois. Celui-ci relève d’ailleurs un regard interloqué vers moi.

 

— C’est… ton frère ? répète Austin éberlué, le bras suspendu en l’air, tandis que Leo crache un long filet de bave ensanglanté.

— Oui… C’est… Je t’en prie, arrête de le frapper. C’est mon frère. Ce garçon est mon frère, Austin.

Mes paroles résonnent étrangement dans la ruelle déserte et entre les deux hommes qui partagent désormais ma vie.

Leo me fixe comme s’il ne comprenait rien à ce que je raconte. Et bien sûr qu’il n’y comprend que dalle. Je ne lui ai jamais avoué la vérité. La terrible vérité sur ma mère qui est aussi la sienne. Sur celle qui a été obligée de l’abandonner sous la pression familiale.

 

Je l’aide à se relever et Austin recule en plissant les yeux.

Mon frère se dégage vivement de ma poigne.

— Qu’est-ce que tu racontes comme conneries, Lexie ? crache ce dernier avec amertume.

Je lui fourre mes clefs dans les mains.

— Monte et attends-moi là-haut, s’il te plaît. Il faut que je te parle d’un truc, mais je dois déjà régler la situation avec Austin.

— De quoi ?

— Monte et attends-moi ! Ne discute pas.

Il soupire et lance un regard mauvais à Austin mais s’exécute tout de même, ce qui me soulage grandement. Au moins il ne s’enfuit pas. Pas tout de suite…

 

Quand il a disparu dans la cage d’escalier, je me retourne vivement vers Austin et m’approche de lui, le regard suppliant. Je ne veux pas qu’on se dispute sans raison. Je comprends que sa jalousie maladive l’a poussé à tout analyser de travers en me découvrant avec Leo, mais je refuse que ce quiproquo vienne entacher la stabilité que nous avons enfin trouvée.

— Ce n’est pas ce que tu crois. Ce garçon est… C’est mon frère. Leo. Je l’ai retrouvé. Sauf qu’il ne sait pas qui il est… Enfin, il ne savait pas jusqu’à maintenant.

Austin fronce les sourcils. Son regard se fait sceptique, puis complètement perdu, et enfin abasourdi. Sa tension redescend un peu. Même s’il garde ce pli au milieu du front.

— Ton frère ? À New York ?

— Oui, je sais. C’est une longue histoire…

— Pourquoi tu ne m’as rien dit ? Depuis quand tu l’as retrouvé ? Vous avez l’air… vraiment proches.

Il a dit ça avec un air dédaigneux.

— Ça fait un moment déjà, mais je…

— Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ?

Son ton est très dur et ses yeux sombres posés sur moi me tétanisent de peur. Il est vraiment intimidant quand il est en colère.

— Parce que je savais que tu ne me laisserais pas le voir…

Autant être honnête, je me suis fait prendre, alors…

— Je suis désolée, murmuré-je.

 

Austin hoche un instant la tête avant de reprendre la parole.

— Je renonce à ce que j’aime pour toi, à la manière dont je mène ma vie, à mes ambitions, et toi, tu ne me fais pas suffisamment confiance pour me parler d’un truc aussi important que ça…

J’essaie de soutenir son regard, mais c’est dur, je n’y arrive pas, alors je baisse les yeux.

— Depuis combien de temps, Lexie ? Depuis combien de temps tu l’as retrouvé ?

Je murmure sans le regarder.

— Quelques mois…

— C’est bien ce que je pensais.

— Écoute…

— Non, tais-toi. Je ne veux plus te parler. Je n’arrive pas à croire que tu m’aies menti après tout ce qu’on s’est promis. Après la réaction que tu as eue en découvrant Sacha. Tu m’as suffisamment reproché de t’avoir caché Sacha… Et est-ce que je dois te rappeler ta réaction en découvrant ce que ta grand-mère taisait ? Après tout ça, je ne peux pas croire que tu laisses les mensonges nous détruire encore ! Je venais te faire une surprise, finalement, c’est moi qui suis surpris. Je rentre chez moi.

— Non !

 

J’ai à peine le temps de faire un pas en avant qu’il est déjà dans le taxi. Je lui cours après.

— Austin, s’il te plaît…

Mais avant que j’aie pu l’arrêter, il est reparti, et moi je reste seule sur le trottoir gelé. Génial… Il ne me manquait plus que ça !

Mon cœur me fait mal. Je sais que je l’ai déçu. Mais putain, ce n’est pas ce que je voulais.

Et je vais maintenant devoir affronter Leo qui m’attend dans ma chambre…

En soupirant et avec les entrailles tordues, je remonte à l’appartement. Il faudra que j’appelle Austin plus tard, que je le harcèle, parce qu’il ne voudra pas me parler, sinon…

 

— Leo ?

Je passe la porte et retire mon manteau pour l’accrocher dans l’entrée.

Je l’appelle encore mais il ne répond pas.

Quand je pousse la porte de ma chambre, il est debout, dos à moi, penché au-dessus de mon bureau.

— Désolée, tu viens de rencontrer Austin. Ce n’est pas comme ça que j’espérais vous présen…

Je m’arrête net de parler parce qu’il s’est retourné vers moi et qu’il a le dossier de monsieur Jackson, le détective privé que j’ai engagé pour le retrouver, entre les mains. Ce dossier sur lui que je gardais dans mon tiroir, sous clef, mais que j’ai sorti hier soir à la demande de Zara. Il est resté sur mon bureau… Merde, merde, merde !

— C’est quoi, ces conneries ?

Leo lâche ça les dents serrées, comme Austin il y a quelques minutes.

— Je… je vais t’expliquer…

— Pourquoi tu as tout ça sur moi ? C’est quoi, ça ? hurle-t-il à présent.

Je ferme un instant les yeux pour reprendre ma respiration.

Il lâche vivement le dossier, dont les feuilles s’envolent en tous sens avant de s’étaler dans ma chambre, et il vient vers moi et referme ses doigts autour de mon cou pour me plaquer violemment contre la porte ouverte. J’ai du mal à respirer.

— Pourquoi t’as ça ? T’es qui, merde ? T’es qui ? Tu veux quoi ? Ce que tu as dit en bas…

— Je… Je suis… ta sœur…

Il secoue la tête et ses mains m’étranglent encore plus, j’essaie de tirer dessus, mais il a une force impressionnante.

Je ne sais même pas s’il sait qu’il a été adopté.

— Quoi ?

— Tu… Tes parents de Seattle… ne sont pas tes vrais parents, ils t’ont… adopté…

Leo a blêmi d’un coup. Ses yeux sont affolés.

— Comment tu sais ça ? Personne n’est au courant, ici… Je ne l’ai dit à personne !

Il le sait, putain ! C’est déjà ça.

— Je le sais parce que… Ma mère… était aussi la tienne. Je suis ta sœur. Biologique.

Il me fixe un instant, ahuri. Puis avec une autre émotion que je n’arrive pas à déchiffrer.

— Écoute, je sais que…

— Ferme-la ! Je t’interdis de me parler encore ! T’es juste la plus…

Il tremble de rage et je vois la veine sur son front qui se gonfle de rage.

Je me tais et il retire ses mains de mon cou avant de donner un violent coup de poing dans le mur à côté de nous.

— T’es qu’une menteuse de merde !

Il sort presque en courant et claque la porte d’entrée rageusement.

Moi, je reste immobile, tiraillée par mes sentiments et abasourdie par les événements qui se sont enchaînés sans que j’y comprenne rien.

2

ALEXANDRA

Leo. Austin. Austin. Leo. Je ne sais même plus à qui penser. Je ne sais pas qui appeler en premier. Je ne sais plus quoi faire.

Complètement accablée, je m’assois sur mon lit, la tête dans les mains. J’ai merdé et je dois gérer les conséquences. Non, mais quelle connerie ! Tout allait bien entre Austin et moi. Pour une fois, notre relation était vraiment sereine. Nous avancions main dans la main dans la même direction en apprenant à nous faire confiance. Et il a fallu que je gâche tout.

Et Leo ne voudra probablement plus me reparler. Avec lui aussi j’avais réussi à tisser des liens. Mais ils sont bien trop fragiles pour tenir sous le poids de mes mensonges. Et puis il est tellement versatile que je n’ai aucune certitude qu’il revienne vers moi. Il pourrait choisir de disparaître de ma vie sans préavis.

J’ai le cœur qui palpite. Je suis sûre de ne pas réussir à dormir, ce soir.

 

Je prends mon téléphone dans ma poche et appelle Austin. À chaque sonnerie dans le vide, mes yeux s’embuent de plus en plus. J’ai le cœur gros et une putain d’envie de pleurer. Je rappelle encore une fois. Puis une autre. Puis encore une autre.

En soupirant et en essuyant mes yeux mouillés, je raccroche et appelle Leo. Une fois. Encore une. Et une autre encore. Il ne répond pas non plus.

Je savais qu’ils ne répondraient pas. Mais qui ne tente rien n’a rien.

J’avale mes cachets et essaie de respirer normalement.

Je dois parler à Leo et lui expliquer ce que j’ai découvert sur son adoption et sur nos liens. Après, ce sera à lui de décider s’il veut me connaître vraiment et en apprendre plus sur son histoire et celle de sa mère biologique. Mais il peut attendre, je ne ferai pas ma vie avec lui, même si je tiens à lui. Austin et moi, en revanche, on marche sur des œufs. Un seul faux pas et tout ce qu’on s’est efforcés de construire ces derniers mois s’effondre.

De tout ce que j’avais pensé pouvoir nous séparer, Austin et moi, je n’ai jamais imaginé que cela viendrait d’un mensonge de ma part.

J’ai envie de hurler. Il faut que je le voie. Il m’en veut, ok. Mais je lui ai pardonné bien pire. Il doit essayer de comprendre.

Avec rage, je me lève et donne de violents coups de pied dans mon bureau et envoie valser ma chaise contre le lit.

— Putaaaiiiinnnnn !

On est samedi et on ne devait pas se voir ce week-end. Il a voulu me faire une surprise en venant et ça m’aurait plu s’il n’y avait pas eu tout ça. Demain, je suis censée passer la journée avec Sheyenne. Nous avons prévu un entraînement intensif à la piscine pour la catégorie duo de la compétition nationale de natation synchronisée. Je ne peux pas partir à Boston. Mais je ne peux pas laisser Austin être si en colère contre moi pour autant.

 

J’essaie d’appeler encore et encore. Au bout d’un moment, quand je tombe directement sur sa messagerie, je comprends qu’il a éteint son téléphone pour rejeter mes appels. Je me mets à pleurer de plus belle. Et je sanglote sur sa messagerie.

— Bébé, réponds, s’il te plaît… (Peut-être que si j’utilise le surnom qu’il affectionne tant, ça passera mieux…). Je suis désolée, je te demande pardon, c’est juste que Leo n’était pas au courant et il est tellement compliqué que j’avais peur que tu ne m’empêches de le voir… Je sais que c’est bête. Je sais que je n’aurais pas dû te le cacher. Je sais que tu m’en veux, Austin, et j’aimerais pouvoir en parler avec toi. Je l’avais retrouvé avant que toi et moi on se remette ensemble. Il nous a fallu pas mal de temps pour nous entendre et apprendre à nous connaître. C’était compliqué avec lui, et de notre côté, on devait d’abord régler nos problèmes tous les deux avant d’en gérer d’autres… S’il te plaît, réponds…

Je raccroche. Je vais patienter un peu avant de le rappeler. En attendant, je compose le numéro de Leo. Qui lui aussi est passé sur messagerie. Je lui envoie donc un texto.

** Écoute, je sais que tu es en colère et choqué. Je ne savais pas comment te le dire. Je n’ai appris que l’année dernière que j’avais un demi-frère et je t’ai recherché puis trouvé grâce à un détective privé. Tu dois m’en vouloir, je sais, mais je suis désolée. J’aurais dû te le dire dès le début. Je ne peux pas te forcer, mais si tu veux me parler, si tu as des questions… Je suis là. Et même si tu veux m’insulter ou me gueuler dessus, bah je suis là. **

 

Une heure passe. Puis deux.

Aucun d’eux ne répond.

Il est minuit et demi.

 

Je finis par prendre une douche avant de me glisser dans mon lit en regardant mon téléphone toutes les cinq minutes.

J’éteins la lumière et observe ma fougère qui brille dans le noir sur mon étagère. Je repasse le fil de la journée dans ma tête. Je revois le regard noir d’Austin, il est blessé parce que je ne lui ai pas fait suffisamment confiance pour lui parler de Leo.

 

Impossible de dormir. Je ne fais que pleurer en me repassant en boucle notre histoire en pensée.

C’est la première fois depuis des semaines que je vais m’endormir sans entendre sa voix et ni celle de Sacha.

Je soupire en essayant de le rappeler, mais je tombe de nouveau sur sa messagerie.

Il faut vraiment qu’il me réponde. Je ne vais pas réussir à passer le week-end sans lui parler.

Je m’efforce d’arrêter de pleurer. Mes yeux sont déjà rouges et gonflés et j’ai un mal de tête carabiné. Je commence même à trembler. Il ne faut pas que je laisse mes émotions me dominer.

En y repensant, et avec le recul, je me suis rendu compte que, depuis l’année dernière, chaque fois qu’il se passe quelque chose d’important dans ma vie, mes émotions prennent le dessus sur tout et que cela me conduit à avoir des réactions démesurées. Le propre du borderline. Comme cette fois où il m’a humiliée aux chutes de Gota avant qu’on soit ensemble, ou quand j’ai essayé de l’étrangler sur la plage le soir du Nouvel An. Puis il y a eu cette fois où je me suis jetée sur Hailey parce qu’elle m’avait provoquée, pour ensuite coucher avec Austin dans la salle de bain alors que la maison était pleine de monde. Et enfin, ce soir où j’ai découvert l’existence de Sacha et où l’envie terrible de poignarder Austin m’est venue avant que, quelques jours plus tard, je sombre dans une terrible dépression.

Mes émotions ont toujours dominé le reste, mais mon séjour en hôpital psychiatrique m’a appris à ne plus me laisser m’engloutir. J’essaie d’appliquer les exercices de respiration que j’ai appris, en fixant mon plafond. Parce que j’ai ce poids qui me comprime la poitrine. Le médecin me conseillait toujours de respirer lentement et d’apprendre à lâcher prise, de me vider l’esprit. J’essaie. J’essaie de fermer les yeux et de faire le vide dans ma tête. Puis je dresse mentalement une liste des bonnes choses de ma vie pour me prouver que tout ne va pas si mal. Et je tente de me rappeler un bon souvenir pour essayer de ne pas être triste. Sauf que, dans mon cas, les bons souvenirs qui apparaissent sont souvent ceux que j’ai avec Austin…

 

C’est la fatigue qui finit par m’emporter. Je m’endors la tête pleine. Je passe une nuit sans rêve tant je suis terrassée de fatigue. Et quand mon réveil sonne, la première chose que je fais, c’est appuyer sur la touche appel de mon téléphone sans même avoir ouvert les yeux.

 

Mais Austin est toujours sur messagerie.

Mon cœur se serre. Je sors de mon lit et lui envoie un texto.

** Bébé, s’il te plaît, réponds-moi. Je suis vraiment désolée. Je t’aime. **

Je guette la réponse, longtemps, ce dimanche. Quand je me brosse les dents. Quand je prends mon petit déjeuner. Dans le bus pour rejoindre Sheyenne à la piscine. Il n’y a que là-bas que je lâche mon portable. Je profite néanmoins d’une pause pour aller y jeter un œil avant de replonger dans l’eau, déçue de constater qu’aucune nouvelle n’est arrivée.

— Tu attends un appel ? me demande Sheyenne. Tu n’es pas très concentrée.

— Non. Enfin oui. Désolée. Je ne sais pas. J’espère que quelqu’un me contacte, mais je ne crois pas que ça va arriver.

— Ton chéri ?

Je hoche la tête et m’approche du bord pour m’y accrocher un instant.

— Vous vous êtes disputés ?

Sheyenne retire son pince-nez et s’approche de moi.

— On peut dire ça. J’ai fait une grosse boulette et il ne répond pas à mes appels.

— Tu t’en veux ? Tu t’es excusée ?

— Oui, mais il ne veut même pas m’écouter.

— Si tu tiens vraiment à lui et que c’est toi qui as merdé, tu ne dois pas hésiter à tout faire pour qu’il voie que tu regrettes. Montre-lui que ton erreur te coûte à toi aussi.

— Il est à Boston.

— Eh bien va à Boston. Quatre heures de route, c’est déjà pas mal pour montrer à quelqu’un que tu tiens à lui, non ?

Oui. Austin l’a bien fait pour venir dormir moins de six heures avec moi alors que j’étais malade, lui.

— Après l’entraînement, bien sûr ! me fait Sheyenne en me tirant par le bras pour qu’on reprenne.

 

Quand je ressors, toujours pas d’appel.

À treize heures, à la maison, je suis obligée d’expliquer la situation à Zara. Hier, nous ne nous sommes pas croisées car elle était déjà partie au boulot quand je suis rentrée. Mais si j’attends de la compassion de ce côté-là, c’est peine perdue. Zara estime que la situation est entièrement ma faute et qu’il faut que j’assume mes conneries. Ce qui m’énerve encore plus.

Je finis par m’enfermer dans ma chambre pour ne pas me disputer avec elle.

J’attendrai encore un peu. Un jour ou deux, je ne sais pas. Peut-être qu’Austin finira par répondre. Sinon, j’irai à Boston.

 

Tout l’après-midi, je bosse sur mes cours. Mais en jetant de fréquents coups d’œil à mon téléphone.

Ce soir-là, c’est pire que la veille pour m’endormir. Je lui envoie encore un message. Et je finis par mettre un film sur mon ordinateur pour essayer de me changer les idées.

 

Lundi.

Je me lève pour courir. Il fait moins froid, ce matin. Je croise Adam, mais il est avec des amis et je l’évite comme je peux. Je prends le petit déjeuner à la fac avec Joyce, Sheyenne et Zara, même si Zara a une aversion contenue pour Sheyenne, qu’elle ne trouve pas nette. Je crois qu’elle est juste jalouse de ma nouvelle amitié.

Je vais en cours, puis je retrouve Baile pour déjeuner parce que, comme moi, il a un trou énorme à midi dans son emploi du temps. Je lui raconte mes mésaventures et il m’écoute d’une oreille compatissante. Il essaie de dédramatiser la situation et me dit qu’Austin et Leo finiront sûrement par se calmer et revenir vers moi.

Je retourne en cours, puis à l’entraînement avec Sheyenne. Et pendant tout ce temps, je n’ai aucune nouvelle d’Austin ni de Leo.

 

Mardi.

Ma journée ressemble à s’y méprendre à celle d’hier. À la différence qu’on sonne à la porte de l’immeuble en début de soirée.

Zara me fait presque la gueule parce que Leo n’est plus là pour l’aider dans ses cours. Alors elle ne bouge pas du canapé.

Quand je prends l’interphone, je ne reconnais pas la voix de la personne qui a sonné.

— Oui ?

— Ouvre ! Pétasse !

Je fronce les sourcils.

— C’est qui ?

— C’est Cali, espèce d’idiote ! Dis à Leo de descendre tout de suite !

Oh putain, cette fille est un vrai calvaire. Elle vient chercher Leo, ici ? Mais je croyais qu’elle vivait chez lui pour un temps.

— Il n’est pas là, connasse ! Ne t’avise même pas de me traiter de pétasse encore une fois si tu ne veux pas que je te fasse bouffer tes dents !

Elle hurle dans le combiné.

— C’est moi qui vais te faire bouffer tes dents si tu t’approches encore de lui ! Il était bien, il avait changé, et toi tu fais renaître ses démons ! S’il n’est pas rentré à la maison demain, je jure que je te tuerai !

— Va te faire foutre !

Je lui raccroche au nez.

Je fulmine, mes oreilles ont rougi sous le coup de la colère qui m’est montée à la tête. Non, mais quelle connasse !

Je file à la fenêtre du salon et l’ouvre pour me pencher en bas. Cali s’éloigne sur le trottoir, mais elle a les yeux levés vers l’appartement et s’arrête quand elle me voit passer la tête dehors. Je lui montre bien mes deux majeurs en tirant la langue avant de refermer vivement les volets alors qu’elle ouvre la bouche pour hurler.

Zara retire ses lunettes de lecture pour me regarder par-dessus son livre avec suffisance alors que je traverse le salon pour filer dans ma chambre et claquer la porte rageusement.

Ils me font tous chier, putain !

Et d’abord, il est où, Leo ? Pourquoi il n’est pas rentré chez lui ? J’espère que ce qu’il a appris ne l’a pas poussé à faire des conneries ou je ne sais quelle folie.

J’essaie de l’appeler, encore et encore. Mais pas de réponse. Je me sentirais responsable s’il lui arrivait un truc. Sauf que je vois difficilement comment le retrouver s’il n’est pas chez lui. Si cette meuf est venue le chercher ici, c’est qu’elle ne sait vraiment pas où il peut être.

 

Mercredi.

Je ne supporte plus de ne pas parler à Austin. Je n’en ai rien à foutre des cours, rien à foutre du boulot, rien à foutre de l’entraînement, rien à foutre de rien s’il n’est pas dans ma vie. Bien sûr que je veux finir mes études à New York, bien sûr que ça a toujours été mon rêve, mais pour quoi, si je suis seule et malheureuse ?

J’appelle Sheyenne pour annuler l’entraînement de demain et j’appelle Maddy aussi. Je n’irai pas bosser. Il est tard et je suis fatiguée, mais demain, j’irai à Boston. Si Austin ne répond pas, je vais le forcer à me parler.

Je m’endors avec une nouvelle détermination en tête. Je vais lui montrer que je l’aime et que si j’ai fait ça, c’était par bêtise et parce que j’avais peur, pas parce que je ne l’aime pas assez ou n’importe quoi d’autre.

 

Jeudi.

Je me lève avec de bonnes résolutions en tête. Ça va être une bonne journée. Il ne peut pas en être autrement. Je fais mon sac en restant attentive, cette fois, à ce que j’emporte. Et je prends le premier bus que je trouve pour Boston.

Le trajet est long, comme toujours. Je vois le paysage défiler au ralenti. Nous quittons la ville et longeons la côte pendant un moment avant de nous enfoncer dans les terres direction le Massachusetts.

À midi, j’y suis. Mais je n’avais pas prévu qu’Austin soit à la fac et Sacha à l’école. Il n’y a personne chez eux. Je décide d’aller voir à la cafétéria du campus si Austin y est. Je n’ai de toute façon rien d’autre à faire. Je ne peux même pas aller chez mon père.

Mon casque bleu sur les oreilles, en jean trois quarts gris, tennis blanches, poncho blanc et noir et sac de voyage ethnique en toile, je me rends à Boston University. La faculté est immense, je mets donc du temps à trouver la cafétéria. Mais malgré tous mes espoirs, il n’y est pas.

Je demande à quelques personnes au hasard si elles connaissent Austin, ce garçon tatoué et percé qui fait des études en journalisme et en littérature. Il n’y a qu’un mec qui voit de qui je parle, mais il ne sait pas où il est.

 

Je tourne en rond avant de finir par l’apercevoir. Il est assis dans le parc de la fac avec deux garçons et trois filles, dont cette Juliette, celle qui était venue chez lui pour travailler. Il rit avec eux, parle fort et Juliette passe ses bras autour de son cou et se penche pour l’embrasser sur la joue. Il rit encore à je ne sais quoi et se laisse faire.

Mon sang bouillonne. C’est quoi cette merde ? On se dispute, mais on est toujours ensemble, non ?

Un flash me renvoie à une autre époque. Je nous revois dans le parc de St Jones avec Savannah, Zach, Evan, Zara et Jesse. La même scène que celle qui se déroule sous mes yeux dans le présent avait eu lieu. Mais c’est moi qui passais mes bras autour de son cou alors qu’il riait, pas cette fille trop sûre d’elle.

Je serre les poings. Je ne lui laisserai pas Austin, à cette connasse ! Et je ne le laisserai pas s’éloigner de moi comme ça. Mais contrairement à lui, je ne ferai pas de scandale en public, j’ai horreur de ça. Nous réglerons le problème tous les deux, sans personne autour !

Je fais donc demi-tour, prends un vélo en libre-service et pars manger dans un petit restaurant de Columbus, toute seule. L’appétit coupé, je ne fais que picorer.

Durant le reste de l’après-midi, j’erre de rue en rue en attendant que l’heure passe.

Alors que je me demande à quelle heure Austin finit ses cours habituellement, une idée me vient : Sacha, lui, sort toujours à la même heure de l’école. Je sais qu’Emily viendra le chercher, mais peut-être que j’arriverai à lui faire croire qu’Austin m’a demandé de venir et a oublié de la prévenir. Je m’y rends donc pour attendre la sortie des petits après la garderie.

*
*     *

— Lexie ?

Je me tourne vivement et retire mon casque alors qu’une main me presse le bras. Je connais la voix qui vient de m’interpeller.

— Madame Reed ?

Mais pourquoi elle est là, elle ?

Tory se tient devant l’école, telle une femme d’affaires, dans ses talons de dix centimètres et sa robe cintrée rouge.

— Bonjour, ma belle. Mais… qu’est-ce que tu fais là ?

Je rougis jusqu’à la racine des cheveux et baisse les yeux.

— Je… euh…

— Tu voulais voir Sacha ?

— Oui.

 

— C’est moi qui devais le garder, aujourd’hui. Emily est malade.

Elle me sourit d’une manière avenante. Je me demande si elle sait qu’Austin et moi sommes en froid.

— Oh. Je… Austin, il…

— Il n’y a pas de problème. Ne sois pas gênée. Tu veux venir manger une glace avec nous ? Austin ne rentrera pas avant vingt heures, vingt heures trente. Le jeudi, ses cours se terminent souvent tard.

— Oh. Eh bien… oui. Pourquoi pas ?

Je ne suis pas sûre d’être très à l’aise avec sa mère, mais je suis déterminée à m’expliquer avec Austin, et s’il faut en passer par là, je ne reculerai pas.

Sacha ne tarde pas à sortir. J’ouvre instinctivement les bras.

— Lexie !

Il se jette contre moi et je le serre de toutes mes forces. Son odeur de bébé emplit mes narines. Il m’embrasse plusieurs fois en tenant mon visage dans ses petites mains.

— Tu m’as manqué, bout de chou.

Je me rends compte en le disant que c’est vrai.

 

Nous allons manger une glace. Tory nous observe beaucoup. Ça me gêne, mais j’essaie de ne pas y prêter trop attention. Je mange la même glace que Sacha, une à la pistache, alors qu’il me raconte tout ce qu’il a fait.

— Ça aurait été tellement plus simple si tu avais vécu à Boston.

Je souris à Tory sans répondre. Je ne peux pas. Je ne peux pas vivre ici.

 

Finalement, tout se déroule encore mieux que je ne le pensais : Tory me donne le double des clefs de chez Austin et me laisse avec Sacha sans même que j’aie besoin de lui demander quoi que ce soit. Je crois qu’elle souhaite vraiment que son fils arrive à créer un foyer.

C’est donc moi qui ramène Sacha à l’appartement d’Austin et le garde en attendant le retour de mon homme. Enfin, j’espère qu’il l’est toujours, du moins.

— Tu vas rester pour toujours ?

Sacha a encore et toujours la même question à la bouche.

— Non. Mais je reviendrai.

Il fait la moue.

— Moi je voudrais que tu restes.

— Je sais. On va voir déjà voir avec ton papa si je reste avec vous ce week-end !

Au diable Sheyenne et la natation. Si Austin est d’accord, je reste là !

 

En regardant autour de moi, je me rends compte que quelque chose d’impalpable me dérange, comme s’il y avait eu un changement dans l’appartement. Je mets du temps avant de trouver quoi. Les bougies et les soliflores que j’ai achetés ne sont plus en place. Je fouille et les retrouve rangés dans un placard. Ok, donc, ce qui rappelle mon existence à Austin mérite d’être rangé au placard… C’est plutôt mal parti.

En soupirant, je me mets à ranger, aidée par Sacha, qui ne me lâche pas d’une semelle. Il préfère m’aider que de jouer dans sa chambre. Après le salon et la cuisine, dans laquelle je m’occupe même de la vaisselle, je passe à la chambre d’Austin. Sacha m’explique que ce dernier dort enfin dans sa chambre, car le plafond ne goutte plus.

Je réunis tous les vêtements sales pour descendre faire une lessive à la laverie avec Sacha. Puis je remonte et prépare à manger : poulet braisé et riz, je sais qu’Austin adore ça. Puis je mets Sacha dans son bain. Il s’amuse comme un fou, j’ai du mal à le faire sortir. Finalement, je le sèche, fais son sac pour le lendemain et prépare un goûter à y glisser.

Sacha m’aide à finir de préparer le repas et à mettre la table.

Je retrouve un peu de ma légèreté d’âme, avec lui. Même si, au quotidien, je pense que ça ne doit pas être facile de s’occuper d’un enfant.

 

Nous sommes en train de rire quand la porte d’entrée claque. Je sursaute et mon cœur se met à battre plus vite.

— C’est moi !

Je regarde l’heure. Vingt heures quarante-cinq.

J’essuie fébrilement mes mains sur la serviette et ne bouge plus.

Austin passe le seuil de la cuisine et son fabuleux sourire s’efface.

— Lexie ?

— Salut.

— Qu’est-ce que tu fais là ?

Il reste sur place et ne bouge plus. Je désigne les fourneaux.

— Je… je suis allée manger une glace avec ta mère et Sacha. J’ai rangé un peu, donné son bain à Sacha. Et là il m’aidait à… J’ai fait un poulet braisé.

Austin me regarde comme si j’étais folle.

— Putain, mais…

— Je sais ce que tu vas dire. Mais j’ai fait quatre heures de trajet pour te parler. Écoute… Je ne voulais pas te mentir, ok…

Austin m’observe un instant puis regarde Sacha et finit par me tourner le dos et repartir.

Je le suis dans le salon.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

Il prend mon sac en toile et me le lance.

— Je veux que tu partes !

Sérieusement ?

— Austin…

— Non, putain. Casse-toi !

Je soupire. Je savais qu’il ne serait pas de bonne humeur, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit à ce point.

 

C’est quand il ouvre la porte que je me rends compte qu’il ne plaisante pas.

— Je veux que tu partes !

Il ne peut pas vraiment me mettre dehors comme ça ?

— Il est vingt et une heures, où veux-tu que…

— Ce n’est pas mon problème. Va chez ton père ou retourne à New York par le prochain bus. Je n’ai pas le temps, là. Je dois bosser et j’ai ma vie ici, comme toi à New York, alors… Il vaut mieux que tu t’en ailles.

— Je ne peux pas aller chez mon père ! Je comptais…

Il a un retroussement de lèvres dédaigneux.

— Tu comptais quoi ? Dormir ici ? Désolé, c’est non.

Avant que je comprenne quoi que ce soit, il a attrapé la lanière en cuir de mon sac et m’a poussée sur le palier, comme il l’a fait pour mon père la dernière fois que celui-ci est venu ici.

— Bonne nuit, Alexandra.

Et il me claque la porte au nez.

— Mais…

J’en reste interdite un instant. Et je l’entends de l’autre côté qui parle avec Sacha. Ok. Ça, c’est fait !

 

Je me laisse glisser contre le mur d’en face et m’accroupis à même le sol. Austin ne revient pas ouvrir la porte. Je reste longtemps là, à la regarder. J’hésite aussi à aller frapper et à cogner comme une malade pour qu’il revienne sur sa décision, mais finalement, je n’en fais rien. Je reste là, sur le palier, dans le couloir. Je passe mon poncho et essaie de me réchauffer. La nuit risque d’être longue.

 

Et elle l’est, en effet.

Je finis par tomber de fatigue et je m’endors appuyée contre le mur, à même le sol.

3

AUSTIN

Je me retourne pour la énième fois dans mon lit. Je pense à elle. Ma Lexie. J’espère qu’elle n’a pas dormi dehors ou à la gare. Non ! Au pire, si elle n’est pas retournée chez son père, elle a dû prendre un hôtel.

J’ai dû me faire violence pour ne pas lui courir après dans la cage d’escalier, hier soir. Mais elle méritait ma réaction. Elle doit comprendre que ses actes ont des conséquences et que notre relation doit fonctionner à double sens. Ça m’a fait mal qu’elle ne me fasse pas assez confiance pour me parler d’un truc si important pour elle.

Je sais qu’elle est très secrète, comme moi, elle a toujours eu du mal à se confier sur ce qui est essentiel et important pour elle. Mais je croyais qu’on avait dépassé ce stade, tous les deux.

J’ai fait de nombreux efforts pour elle, pour la reconquérir et lui prouver que notre relation en vaut vraiment la peine, mais elle… elle me ment. Putain !

 

Les nerfs à vif, je tends la main pour prendre mon portable et couper la sonnerie du réveil. Mon téléphone est allumé, mais je l’ai programmé pour qu’il rejette automatiquement tous les appels de Lexie. Ça fait quasi une semaine que je n’ai pas eu de nouvelles d’elle.

Ma tension est un peu redescendue, même si je suis toujours en colère. Peut-être que j’exagère. En plus, elle me manque. Mais je ne pouvais pas ne rien dire, si ?

Une semaine sans lui parler, c’est long. En plus, elle a fait la route pour venir me voir et s’excuser…

Je me demande si elle est déjà repartie. J’hésite à appeler Zara. Mais celle-ci s’énerverait d’être encore mêlée à nos histoires et elle aurait sûrement raison.

 

Finalement, je décide de débloquer son numéro sur mon téléphone. Au fond, j’ai sûrement peur qu’elle ne veuille plus me parler depuis que je l’ai jetée à la porte de chez moi comme une malpropre. Mais c’est moi qui suis censé être en colère, et pas le contraire. Je ne veux pas que les rôles s’inversent. Elle a intérêt à me supplier et à se faire pardonner tout ça. Cette fois, c’est elle qui a merdé !

Dès la manipulation effectuée sur mon portable, je suis inondé de messages, d’appels manqués et de textos. Elle a vraiment cherché à me joindre et à se faire pardonner.

Vu ses messages, envoyés en pleine nuit, je me rends compte qu’elle non plus n’a pas dû beaucoup dormir. Je les écoute un par un et je ne compte même pas le nombre de fois où elle me dit qu’elle m’aime et où elle me demande pardon.

Il y en a un qui me retourne particulièrement l’estomac :

« Bébé, réponds, s’il te plaît… Je suis désolée, je te demande pardon, c’est juste que Leo n’était pas au courant et il est tellement compliqué que j’avais peur que tu ne m’empêches de le voir… Je sais que c’est bête. Je sais que je n’aurais pas dû te le cacher. Je sais que tu m’en veux, Austin et j’aimerais pouvoir en parler avec toi. Je l’avais retrouvé avant que toi et moi on se remette ensemble. Il nous a fallu pas mal de temps pour nous entendre et apprendre à nous connaître. C’était compliqué avec lui, et de notre côté on devait d’abord régler nos problèmes tous les deux avant d’en gérer d’autres… S’il te plaît, réponds… »

Je me retiens de l’appeler. Après l’avoir magistralement envoyée chier hier soir, elle ne décrochera sûrement pas. Mais de toute façon, j’attendrai encore un peu. Quelques jours de plus pour qu’elle comprenne bien, et après, on parlera.

 

Je m’extirpe difficilement du lit. J’ai une grosse journée en vue. J’ai un cours de quatre heures ce matin, puis je vais bosser avec Juliette. J’ai réussi à la faire embaucher au Boston Herald avec moi, c’est cool d’avoir quelqu’un avec qui je m’entends aussi bien à proximité. Même si je ne la supporte qu’à petites doses, comme Zara, et qu’elle me fout en boule aussi la plupart du temps. Ça m’a vraiment fait plaisir de la retrouver à Boston University. C’était un bon coup à l’époque où je vivais à Boston avec ma mère. Et j’aimais d’autant plus la baiser que ses parents bourgeois et riches à en crever détestaient la voir tourner autour de moi. J’aurais peut-être dû dire à Lexie qu’elle est passée de l’autre bord… Même si c’est juste trop bizarre de concevoir que Juliette sorte avec une meuf. En tout cas, professionnellement parlant, on est en phase. Et ce soir, on a la chance d’être invités à un dîner pour un gala de charité où des réalisateurs, des acteurs, des hommes d’affaires et des milliardaires pleins aux as sont conviés.

 

— Sacha…

Je secoue mon fils doucement. Il se frotte les yeux.

— Debout, c’est l’heure…

Il grogne et je le tire de son lit pour le porter jusqu’à la salle de bain. J’aime bien le porter contre moi, le matin. Il est tout chaud et me serre comme pas possible.

J’ai acheté un dentifrice spécial au fluor pour lui. Lexie dit qu’elle a lu que, pour les enfants, c’est mieux pour les dents. Elle lit plein de choses sur les gosses depuis qu’elle voit Sacha souvent. Elle fait des efforts énormes pour lui et il l’adore. Il a refusé de me parler hier soir en voyant que je l’avais mise à la porte. Il est bien trop petit pour comprendre et je ne vais pas lui expliquer. Mais je me rends compte que c’est aussi lui qui paye les conséquences de nos disputes.

Je lui fais prendre son bain, l’habille, et pendant qu’il met ses chaussettes, j’asperge de l’huile de lavande sur ses vêtements, autre astuce de Lexie. Quand je lui ai dit qu’il y avait une épidémie de poux à l’école de Sacha, elle a cherché toutes les astuces de grand-mère pour qu’il ne soit pas contaminé. Du coup, j’applique ses conseils. Et je ne peux m’empêcher de me demander si elle aurait fait ça si elle était restée hier soir. Enfin, si je l’avais autorisée à rester.

 

— Je sais plus comment on fait…

Les yeux de Sacha s’embuent. Il essaie de faire ses lacets comme ma mère lui a appris, mais il n’y arrive pas. Il est un peu comme moi, quand il n’arrive pas à faire quelque chose, il s’énerve. Sauf que je ne lui donnerai pas la même enfance que celle que ma mère m’a infligée. Je lui expliquerai que s’il n’y arrive pas et qu’il n’est pas premier dans tout, ce n’est pas grave. Ce n’est pas ça qui rend les gens heureux.

— Tu veux qu’on essaye ensemble ?

Il hoche la tête et je m’accroupis pour prendre les lacets et les faire avec lui. Si ma mère lui a enseigné comme elle me l’avait appris petit, ça ne doit pas être compliqué. Moi qui n’ai pas de patience, d’habitude, avec Sacha, j’ai plutôt intérêt à me contrôler.

— On fait d’abord une croix, ça tu te souviens ?

Il hoche la tête timidement et scrute mes gestes de manière attentive.

— Ensuite, les deux oreilles de lapin… Ils tournent autour… Et ils rentrent dans le terrier !

La boucle est bouclée. Je laisse Sacha prendre le relais en l’encourageant. Il fait l’autre tout seul. Je souris.

— C’est bien. Tu vois, tu y arrives.

 

Mon fils prend ensuite son petit déjeuner : des céréales et un yaourt. Je vois que son sac est fait et qu’il y a même un goûter prêt à y être glissé. Lexie. Hier, elle a dû tout préparer.

Ses attentions, comme le poulet braisé, la propreté de l’appartement, mon linge propre et plié, font monter les remords en moi. Je commence à me dire que je n’aurais pas dû la mettre à la porte comme ça. Je n’ai pas envie de passer un autre week-end sans elle.

 

Pendant que la culpabilité me dévore petit à petit, je laisse Sacha s’installer devant la télé avant de filer sous la douche et de me préparer à mon tour.

Un café et deux toasts engloutis plus tard, on est prêts à y aller. J’aide Sacha à enfiler sa veste et son sac avant de prendre mon manteau et mon classeur.

— Allez, grouille-toi.

Je presse un peu Sacha qui prend tout son temps.

J’ouvre la porte à la volée tout en regardant ma montre. Et quand je relève les yeux sur le couloir, mon cœur manque un battement.

Nom de Dieu ! Mais qu’est-ce que…

— Lexie !

Sacha s’est exclamé plus vite que moi.

Lexie est allongée, contre le mur d’en face, recroquevillée à même le sol, sa tête sur son sac en toile. Elle a passé la nuit ici ? Sur le pas de ma porte ?

Sacha se précipite pour s’accroupir près d’elle et pose une main affectueuse sur sa joue, comme une caresse.

Putain, elle a dû se péter le dos à dormir là. Et elle a dû avoir froid, aussi.

 

Lexie ouvre difficilement les yeux et se redresse quand je m’accroupis près d’elle avec Sacha. Je sens ma colère à son égard s’effriter sérieusement.

— Austin… Sacha… Je…

Elle veut parler, mais sa voix se brise. Elle a les yeux gonflés. Comme si elle avait pleuré toute la nuit.

— Lexie… Tu as dormi là ?

Question totalement inutile, bien sûr qu’elle a dormi là !

Elle attire Sacha dans ses bras et il resserre ses petites mains autour de son cou en se laissant aller contre elle. Les voir ensemble me comble toujours, mais cela me fait aussi souvent culpabiliser. Comme dans le cas présent.

— Je suis désolée, Austin…

Elle a les yeux qui s’embuent.

Bon ok, putain ! Je ne peux pas continuer à lui en vouloir éternellement !

— Tu aurais dû me réveiller. J’étais énervé. Mais je ne t’aurais pas laissée dormir dehors… Je pensais que tu rentrerais à New York…

— Je n’en peux plus de ne pas te parler et de ne pas te voir.

Je crève d’envie de me jeter à son cou et de l’embrasser, quand elle me dit ça. Sacha le fait à ma place. Il se redresse et l’embrasse sur la joue, laissant son nez s’y frotter. Lexie se tourne et, en passant la main dans ses cheveux, vient frotter son nez à celui de Sacha. Il rit.

Moi aussi je veux qu’elle me fasse ça ! Mon cœur se gonfle d’amour. Pourquoi je l’ai mise dehors, hier soir ? Ah oui… Parce que je suis égocentrique et trop fier pour être intelligent et ne pas réagir comme le pire des connards.

 

— Écoute…

Je lui prends la main, l’ouvre et referme ses doigts sur mes clefs.

— … On est en retard. Je vais déposer Sacha à l’école et ensuite j’ai une grosse journée. Je ne peux pas sécher en ce moment. Mes cours sont assez importants pour la suite et le boulot… J’ai de plus en plus de responsabilités…

— Vas-y. Allez-y.

Elle dit ça avec fermeté, mais je vois la tristesse et la déception dans ses yeux.

— Ce soir, je vais à un gala de charité. Le journal est invité et on m’a demandé d’y aller aussi.

— Oh… souffle-t-elle, déçue.

— Si je te demande de ne pas partir et de m’attendre jusqu’à ce soir, tu le feras ? Je veux dire… On pourra parler quand je rentrerai du gala. Sacha va chez ma mère, ce soir, en sortant de l’école, tu n’auras pas à t’occuper de lui…

— Tu veux qu’on parle ?

Une expression d’intense soulagement se peint sur son visage.

J’ai été un si gros connard que ça ? Apparemment, oui, comme toujours. Elle ne pensait quand même pas qu’on allait rompre pour ça ? On peut se disputer sans pour autant en venir chaque fois au plus terrible.

— Bien sûr qu’on va parler. Mais tard, quand je rentrerai. Si tu veux m’attendre. Je dois absolument aller à ce gala. Sinon, tu peux quand même utiliser la salle de bain et laisser mes clefs dans la boîte aux lettres en bas. Je ne sais pas si tu avais prévu de rentrer.

Je me redresse. J’ai envie de l’embrasser et de la serrer dans mes bras, mais je veux aussi qu’elle sache que ça m’a blessé qu’elle agisse comme ça.

— C’est où, ce gala ? me demande-t-elle.

— À l’hôtel Intercontinental Boston, près du quartier financier. Mais c’est sur invitation. Je ne peux pas emmener qui je veux… Tu comprends ?

Elle hoche la tête.

 

Sacha se relève à son tour et lui dit au revoir de la main. Elle lui rend tristement son sourire.

Nous nous éloignons et je me retourne avant de descendre les escaliers pour la voir fixer les clefs de l’appartement dans ses mains.

Je suis pressé que cette journée passe pour me retrouver avec elle, ce soir. Sacha ne sera pas là. Ce qui tombe à pic.

4

ALEXANDRA

Toute seule dans l’appartement, je me sens vraiment idiote. J’ai dormi devant sa porte toute la nuit, et lui, il va en cours, bosser et à sa putain de soirée, comme si tout ça était plus important que nous. Non, mais quel enfoiré !

J’ai merdé et il me le fait payer cher. Je fais quoi, maintenant ?

 

Je sursaute quand on frappe un coup discret à la porte. Est-ce qu’il a changé d’avis et qu’il est revenu ?

Je me lève vivement et me précipite pour ouvrir. Mais ce n’est pas lui. Non, c’est cette démone européenne avec ses cheveux à la garçonne super bien coiffés. Elle est moulée dans une robe en mailles grise sous un grand manteau blanc entrouvert. Les cuissardes noires qu’elle porte me laissent perplexe. Ça fait bien mûr et sexy pour une femme de son âge.

On doit afficher la même expression de surprise toutes les deux.

Ne me dites pas qu’elle passe son temps ici ! Il est sept heures quarante-cinq, qu’est-ce qu’elle fout là ?

— Salut ! Excuse-moi, Austin ne m’avait pas dit que tu…

— Salut. C’est pour quoi ?

Je lui coupe la parole pour lui faire comprendre que sa présence est loin de me réjouir.

Juliette se mord un peu les lèvres et triture ses doigts, gênée.

— Je pensais qu’Austin serait encore là. Il est toujours en retard, le matin, alors…

— Non, il est déjà parti. Il devait déposer Sacha à l’école.

— Oh… Oui bien sûr. Je voulais juste m’assurer qu’il n’avait pas oublié de prendre notre dossier. Mais je le verrai tout à l’heure, au boulot. Merci quand même…

Au boulot ? Parce qu’ils bossent ensemble ?

Elle a déjà tourné les talons pour partir quand une idée déplaisante me traverse l’esprit.

— Dis-moi, Juliette… Tu bosses au Boston Herald aussi ?

Elle se retourne vers moi, tout sourire.

— Ouais, depuis une semaine. Austin a réussi à m’y faire entrer, c’est cool, hein ?

Ok. Mais maintenant, j’ai le cœur au bord des lèvres.

— Et… Tu seras avec lui au gala de ce soir ?

— Oui, je suis invitée. Nous y allons ensemble. On va rencontrer beaucoup de gens intéressants. Il ne faut pas rater une occasion comme celle-là…

— Évidemment…

Elle me fait au revoir de la main en souriant et s’éclipse dans le couloir. J’attends qu’elle ait tourné le dos pour lui faire un doigt d’honneur. Puis je referme la porte et m’y adosse en fermant les yeux. Je voudrais disparaître, mais cela voudrait dire que j’abandonne le combat et que je lui laisse Austin. C’est hors de question !

Il ne me reste plus qu’une chose à faire : lui montrer qu’il est ridicule. Il peut me faire la gueule tant qu’il veut, la femme de sa vie, c’est moi et aucune autre !

 

Je file à sa salle de bain et me brosse les dents et les cheveux. En reposant ma brosse à dents à côté de la sienne et de celle de Sacha, j’ai un sourire triste. Je laisse la mienne dans le même verre qu’eux. C’est sa place.

Puis je me fais un café et j’en profite pour appeler HBG. Ma collègue Maddy me passe madame Raab, la directrice du service Grand Central Publishing, à ma demande. Celle-ci est surprise de m’avoir au téléphone, mais heureuse. Il nous est assez souvent arrivé de discuter toutes les deux et elle m’a même proposé de lui envoyer mes quelques écrits pour y jeter un œil.

— Alexandra ?

— Bonjour, madame Raab. Excusez-moi de vous déranger au bureau, mais j’aurais besoin d’un service…

— Aucun souci, Alexandra. Que puis-je pour toi ?

— Si je me souviens bien, vous m’aviez dit, une fois, être très amie avec le directeur de l’Intercontinental de Boston…

— Oh, Alexandre Hamilton, oui, c’est un ancien petit ami, en fait…

Elle rit doucement.

— Il y a un gala de charité, ce soir, dans le restaurant de son hôtel, et je me demandais si vous pouviez faire en sorte que mon nom soit inscrit sur la liste des invités…

— Oh. Tu as besoin de voir quelqu’un ?

— En quelque sorte.

— Eh bien, Alexandre n’est pas très matinal, donc je vais essayer de l’appeler, mais je ne te promets pas de réponse dans l’immédiat.

— Et si je peux abuser totalement, si vous arrivez à ce que j’aie une place à la table des journalistes du Boston Herald, vous me sauveriez…

— Je vois ce que je peux faire. J’espère juste que tu ne fais pas tout ça pour un garçon… enfin sauf si c’est un milliardaire…

Je l’entends sourire de l’autre côté.

— Non, ne vous inquiétez pas.

Menteuse !

 

Nous raccrochons et je guette la réponse. Je prends une douche et fais la vaisselle. Il m’a laissée dormir dehors et je fais sa vaisselle, je dois vraiment être atteinte…

Une heure plus tard, je reçois un mail. Je suis attendue à vingt heures pour le gala et mon nom est inscrit à la table du Boston Herald. Ah ! C’est qui, le sexe fort ?

 

J’appelle tout de suite à la maison. Si ni mon père ni Lauren ne répondent, c’est qu’il n’y a personne et qu’ils bossent. Ce qui m’arrangerait.

Ça sonne dans le vide. Je rappelle pour être sûre de moi et le résultat est le même. Très bien, j’ai mes clefs. Direction mon dressing. Ce soir, je vais briller.

5

ALEXANDRA

Déterminée, je passe la porte de chez mon père. Comme je m’y attendais, il n’y a personne. Ils sont partis bosser, et ce pour toute la journée. Mon père ne risque pas de rentrer de l’hôpital avant la nuit, si tant est qu’il ne soit pas de garde. Et Lauren revient toujours très tard du boulot, alors j’ai tout mon temps devant moi.

Je monte dans ma chambre. Bizarrement, alors que j’ai toujours détesté cet appartement, je suis contente d’être là. Je pose mes affaires et file directement dans mon dressing. C’est la première fois que je trouve un intérêt à avoir autant de vêtements. Je veux briller, ce soir, et il y a là de quoi le faire : des robes de soirée que Lauren m’a offertes en différentes occasions, des robes haute couture ou plus simples que je n’ai pour la plupart jamais portées.

J’en prends une pour la mettre devant moi et me regarder dans le miroir. Trop décolletée…

J’en saisis une autre. Trop courte…

Puis encore une autre. Trop rouge !

Il y en a de très belles, mais j’en veux une qui claque. Une qui dit « Regarde-moi ! Voilà ce que tu perdras si tu ne me retiens pas ! » Une qui lui fasse tirer la langue et sortir les yeux des orbites.

 

— Oh putain !

Il n’y a que moi pour entendre mon exclamation.

J’ai mis une robe longue devant moi et elle est parfaite pour mes projets. Elle est vert forêt comme mes yeux et entièrement recouverte de cristaux de Swarovski.

Je retire mes vêtements pour la passer. C’est une robe fourreau longue, entièrement brodée, avec de longues manches, et moulante. Elle est terrible. Sexy et élégante en même temps. Elle est un peu transparente et les cristaux courent sur le bustier pour couvrir les seins juste ce qu’il faut et laisser à la vue un décolleté magnifique. Et le mieux, c’est le dos ouvert. Tout est finesse et délicatesse, mais d’une élégance et d’une beauté à couper le souffle, sans être vulgaire. Tout est suggéré avec cette robe et non dévoilé. C’est parfait. Après tout, pour les galas de charité, les gens sortent le grand jeu. Il y aura du beau monde et ce sera dans l’hôtel le plus cher de Boston. Ma robe est une Zuhair Murad. Elle doit coûter une fortune, je ne veux même pas savoir combien Lauren l’a payée à Paris, l’année dernière.

Je la retire et l’accroche à la penderie. Une belle robe ne fait pas tout. Ce soir, il faut que je sois parfaite. Direction les boutiques.

 

Je repars direction Newbury Street. Je vais me faire faire un shampoing et un balayage chez la coiffeuse de Lauren. Elle en profite pour rafraîchir ma frange qui a poussé. Puis je me fais faire une manucure, une pédicure, et je me fais épiler.

À midi, je mange dans un petit restaurant italien. J’ai faim et je suis très sûre de moi, maintenant. Je suis si guillerette que je me fais même draguer par le serveur et me laisse faire.

En début d’après-midi, je trouve une boutique de sous-vêtements de luxe. Je suis peut-être habituée aux jean et t-shirt mais, depuis que je sors avec Austin, je n’ai jamais autant aimé porter de si beaux sous-vêtements. J’en choisis plein. Oui, je suis très confiante. Après m’avoir vue avec, ce soir, Austin voudra que j’en reporte plus souvent. Et s’il ne veut pas, je ferai en sorte qu’il le veuille.

 

Finalement, l’après-midi est déjà bien avancé quand je rentre chez Lauren et mon père. Je décide de faire une sieste pour rattraper la fatigue de ma nuit sur le paillasson d’Austin.

 

Quand je me réveille, je suis détendue et prête à tout. Mais quand je sors de la douche, une serviette enroulée autour de moi, je tombe nez à nez avec Lauren dans ma chambre.

— Oh putain !

— Alexandra !

On se met toutes les deux la main sur le cœur. Bon sang, j’ai failli avoir une crise cardiaque !

— Je ne t’ai pas entendue rentrer, lui dis-je en soupirant.

Elle me détaille.

— Chérie, je ne savais pas que tu étais là ! Tout va bien ? Pourquoi tu ne m’as pas appelée ?

Je soupire. Si elle dit à mon père que je suis là…

— Je venais juste prendre quelques vêtements.

— Oh. Tu sais que tu es chez toi et que tu peux disposer de ta chambre et de tout le reste quand tu veux…

Je flaire le piège. Non, je ne resterai pas là. Pas pour entendre papa me sermonner à propos de ma relation avec Austin.

— Je vais juste prendre des trucs, m’habiller et repartir.

Lauren a un soupir de défaite.

— Très bien. Tu vas quelque part ?

— Oui, à un gala de charité. Je suis invitée.

Pas la peine de lui dire la vérité.

— Bien. Tu vas porter quoi ?

Je lui montre la robe et elle sourit.

— Zuhair Murad. J’ai pensé à tes yeux quand je l’ai choisie. Mais j’avais peur qu’elle soit un peu transparente.

— Elle est parfaite, ne t’inquiète pas. Je vais la porter.

— Avec quelles chaussures ?

Lauren m’aide à choisir des escarpins et des boucles d’oreille. Elle prend le temps de me coiffer en relevant mes cheveux en un chignon travaillé, mais sans en faire trop. Quelques mèches s’échappent ainsi en boucles ici et là autour de mon visage.

J’ai l’impression que Lauren apprécie de passer du temps avec moi comme ça. Et je me surprends à me dire que c’est assez agréable.

— Tu dois être partie à quelle heure ?

— C’est à vingt heures, normalement.

J’hésite à arriver en avance. Si Austin me voit en arrivant, il va être plus que surpris. Puis je me dis que non. J’arriverai en retard, en fait. Les femmes les plus en vue sont toujours en retard. Et si j’arrive dans cette robe alors qu’ils sont tous à table, je ferai plus d’effet, je le sais. Il ne verra que moi.

Je jure que, ce soir, cette Juliette ne m’arrivera pas à la cheville. Peut-être suis-je prétentieuse, mais Austin est à moi. Et à moi seulement.

6

AUSTIN

Putain que cette journée a été longue ! Je n’ai pas arrêté de penser à Lexie. Impossible de me concentrer sur autre chose. Juliette, cet après-midi, et même Dean, ce matin, n’ont pas arrêté de me charrier à cause de ça. J’ai pourtant enduré les cours, le déjeuner, le boulot, et j’ai même réussi à écrire deux articles pas trop mal au journal. J’espère juste que la soirée ne sera pas trop longue, pour que je puisse rentrer au plus vite. Je pourrai peut-être m’éclipser avant le dessert sans que cela se remarque…

 

Je pousse la porte de mon immeuble et monte l’escalier quatre à quatre. J’espère qu’elle est là et qu’elle m’attend.

Je me demande ce qu’elle a fait aujourd’hui. La porte est verrouillée.

— Lexie !

Je cogne et attends. Mais elle ne répond pas. Lexie, putain…

Après avoir essayé d’appeler sur son téléphone sans succès, je commence à me poser des questions. Elle ne serait pas partie ?

Je redescends au rez-de-chaussée et ouvre la boîte aux lettres. Mes entrailles se tordent. Elle a laissé les clefs ici. Elle avait promis de rester et elle s’est barrée. Putain !

 

Je prends les clefs rageusement et remonte. Et puis merde, putain ! J’en ai marre de ces conneries.

En refoulant mes mauvais sentiments et mon envie de tout casser, je file vers la salle de bain. Je n’ai que trente minutes devant moi. Je prends ma douche à toute vitesse. Alors que je m’apprête à me raser, je remarque la brosse à dents de Lexie à côté de la mienne et de celle de Sacha et je marque un temps d’arrêt. Je la prends et la tourne entre mes doigts. Je voudrais qu’elle soit là. Qu’elle vive ici et voir sa brosse à dents, ses crèmes et ses affaires pousser comme des champignons sur le bord du lavabo, voir ses culottes traîner sur le sol de la salle de bain, voir ses cheveux blonds se perdre sur mon oreiller… Je voudrais qu’elle soit là avec moi, merde !

Perdu dans mes pensées j’en oublie de me raser et passe ma chemise blanche, fraîchement revenue du pressing grâce à ma mère, sur mon pantalon classique noir. Le seul que j’ai. Et des chaussures classiques aussi. Malgré toutes ces merdes, je sais que je vais dénoter, comme d’habitude, avec mes tatouages et mes piercings. Je n’ai plus envie d’y aller. Mais ce ne serait pas professionnel.

Je laisse tomber la cravate quand, au bout de dix minutes, j’en suis encore à essayer vainement de la nouer.

J’appelle ma mère pour dire bonne nuit à Sacha avant de partir. Elle me demande si Lexie est toujours là et si elle va bien. Je mens. Oui, elle va bien. Oui, elle est là. Et je pars. Il vaut mieux que je sois entouré de gens, même s’ils sont superficiels et très en dehors de mon cercle, plutôt que de rester là à me morfondre.

 

À l’Intercontinental, c’est déjà la folie. Une multitude d’invités se presse à l’entrée. Je donne mes clefs au voiturier et décline mon nom pour entrer. Déjà à l’intérieur, Juliette me fait de grands signes de main. Je la rejoins. Elle porte une robe déstructurée orange pétard. Si courte, qu’un peu plus elle lui arriverait au-dessus des fesses. Mais ici, chez les milliardaires et les gens du cinéma, tous les styles sont présents et elle ne dénote même pas tellement. Pour ce genre d’événements, les gens se lâchent. Il y a même une fille qui porte un bustier soutien-gorge avec un pantalon étroit et personne ne s’en étonne.

— Elle n’est pas trop courte, ma robe ? me demande Juliette en tirant dessus alors qu’on nous conduit à notre table.

 

— Si. Mais on s’en fout. Elle aime ?

— Qui ?

— Ta copine.

— Mina ? Si elle m’avait vue habillée comme ça, elle ne m’aurait jamais laissée sortir. Elle bosse, ce soir. Jusque très tard.

Mentalement, je me dis que si Lexie portait un truc comme ça, moi non plus je ne la laisserais pas sortir.

— Tu penses encore à elle ? me demande Juliette avec un regard inquiet.

Je grogne sans répondre et quelqu’un nous hèle pour nous saluer. Un acteur dont la carrière commence à décoller et que j’ai interviewé il n’y a pas si longtemps. Je me force à écouter ce qu’il dit.

— Allez, souris un peu…

Juliette parle dans mon oreille. Je n’ai aucune envie d’obéir.

 

Nous prenons la pose devant quelques flashes et mangeons quelques toasts en attendant que la présidente de l’association pour laquelle on est là prononce un discours de lancement. Heureusement que Juliette est là. Elle réussit, avec ses remarques acerbes et très critiques sur tout le monde, à m’arracher quelques sourires mauvais et même à me faire penser à autre chose qu’à Lexie qui s’est tirée de chez moi alors qu’elle m’avait dit qu’elle resterait.

Il y a de l’ambiance et les gens vont et viennent dans un joyeux brouhaha. La salle du restaurant et les tables sont décorées avec beaucoup de cristal, de compositions florales à trois cents balles et de bougies. Le champagne coule à flots et les petits-fours défilent en attendant le service.

Notre table est une table de douze personnes. Je suis assis entre Juliette et Katy, la directrice marketing du Boston Herald, avec qui je m’entends plutôt bien. Elle me drague souvent ouvertement et un petit jeu de séduction s’est installé entre nous, même si elle ne me tente pas du tout et qu’elle est elle-même mariée. Mais c’est marrant de jouer comme ça quand on sait qu’au fond il ne se passera jamais rien, alors je laisse faire.

— Dis donc, tu aurais pu faire un effort et mettre une cravate, me fait-elle en se penchant à mon oreille.

Je souris.

— Elle me gênait pour respirer.

— Et ton pantalon, il ne te gêne pas pour respirer ?

Mon sourire s’agrandit.

— Non. Il est parfaitement taillé, lui réponds-je avec un clin d’œil.

Elle se tourne déjà pour parler à quelqu’un d’autre.

— Waow…

L’expression de Juliette me fait chercher des yeux ce qui suscite son étonnement. Je me tourne vers l’entrée. Et en découvrant le spectacle qui s’offre à eux, mes yeux menacent de sortir de leurs orbites. Mon cœur s’envole de ma poitrine. Je n’ai jamais rien vu d’aussi saisissant de beauté.

Lexie se tient debout dans les lumières de l’entrée, drapée d’une robe verte chatoyante et brillant de mille feux. Mille fois mieux que cette putain de robe qu’elle portait au Nouvel An l’année dernière.

— Putain, elle est bonne, merde ! Déjà qu’elle m’intimidait un peu, je crois que je vais carrément fantasmer sur ta copine, maintenant !

Les paroles de Juliette me ramènent à la réalité. Il me faut faire un effort surhumain pour quitter Lexie des yeux et la fusiller du regard.

— Ta gueule, putain, je t’interdis d’avoir ce genre de pensées !

Juliette part d’un rire mauvais. Je jure que je vais la faire tomber de sa chaise si elle continue.

 

Mais putain, comment elle peut être là ? Je croyais qu’elle était partie ! Et comment elle a pu entrer ici ?

Mon cerveau se met sur pause quand elle se dirige vers nous d’un pas assuré. Elle est venue pour moi, juste pour moi. Elle s’est transformée en démon blond pour m’entraîner en Enfer avec elle.

Le mouvement de ses hanches pulpeuses et pleines me coupe le souffle. Elle est putain de parfaite comme ça. Ma bite durcit instantanément sous la table.

Quand elle traverse la salle, une centaine de paires d’yeux se tourne vers elle. Elle est diaboliquement et orgasmiquement parfaite.

Je vois un serveur s’arrêter dans sa tournée de champagne, un vieux pervers se lécher les lèvres et un mari étonné délaisser sa femme pour se tourner quand elle passe près de lui. Je suis sûr que la moitié de la salle bande rien qu’à la regarder. Je fronce les sourcils à cette idée. S’il y en a un, un seul qui ose lui parler…

Un mec à la table voisine de la nôtre renverse son verre et tousse lorsque Lexie lui frôle l’épaule au passage. Bon sang !

 

— Elle est diabolique, ta copine. Tu savais qu’elle allait être là ?

Juliette s’est penchée pour parler à mon oreille et Lexie lève les yeux vers nous. Son sourire tremble en nous voyant un instant. Mais elle se reprend et s’approche en tournant les yeux, cette fois.

Julian, un collègue du Boston Herald, se lève quand elle s’approche pour s’asseoir. Il lui tire sa chaise.

— Permettez…

Elle va s’asseoir à côté de lui ? Elle est placée à cette table ? En face de moi ? Pourquoi elle ne m’a pas dit qu’elle était invitée à cette soirée ? Est-ce qu’elle s’est fait inviter juste pour me punir ?

— Merci.

Julian lui sourit et, tout à coup, je vois rouge. Tous les hommes de cette table n’ont d’yeux que pour elle.

Son rouge à lèvres rouge sang est une torture. Elle se mord la lèvre constamment et je sens les coutures de mon pantalon souffrir sous la pression que ma queue leur inflige. Je tire mon anneau entre mes dents pour me calmer.

 

— Je crois que nous ne nous sommes jamais rencontrés… Vous êtes dans le monde du journalisme ? Ou peut-être du cinéma ?

Julian lui parle avec son sourire de connard accroché sur le visage. Et elle lui rend la même expression. Non, mais c’est quoi cette merde ? Je sens que je vais casser des dents, ce soir !

— Je ne suis pas d’ici. Je viens de New York. Alexandra Montgomery. Assistante chez Hyperion Book Groupe.

— Oh, le monde de l’édition… parfait… Julian Moore. Journaliste au Boston Herald. Enchanté de faire votre connaissance !

Il utilise un ton faussement suave et tient sa main un peu trop longtemps quand elle la lui tend par-dessus son assiette. La table est bien trop large. Je voudrais lui balancer mon poing par-dessus les fleurs.

Juliette me presse le bras.

— Calme-toi, ok…

Je vois Lexie se tourner vivement vers nous et s’arrêter sur la main de Juliette posée sur mon bras. Elle tressaille et me fusille du regard. Elle est jalouse. Elle est là parce qu’elle est jalouse ! Cette pensée fait redescendre ma tension et me fait esquisser un petit rire nerveux. Elle intensifie son regard, pensant que je me fiche d’elle, sans doute.

J’articule silencieusement par-dessus mon verre que je prends pour le porter à ma bouche. « Qu’est-ce que tu fous là ? » Elle hausse les sourcils en sortant son invitation de son sac et en l’agitant nonchalamment un instant avant de la ranger de nouveau.

 

Juliette étouffe un rire à côté de moi. Et Julian se penche vers Lexie. Mais il lui parle doucement et je n’entends pas. Il chuchote à son oreille et elle sourit et répond tout aussi bas. Mes jointures pleines de cicatrices deviennent blanches à force de se serrer sur le bord de la table.

— Tout doux, fait Juliette. Elle te provoque un petit peu, je crois. Mais franchement, je ne sais pas ce qu’elle fait avec toi. Elle est plus que baisable. Moi je dis que si la moitié de la salle ne bande pas quand elle sourit, c’est qu’ils sont tous cinglés. Femmes comprises.

Voilà pourquoi je déteste Juliette, parfois. Elle a toujours les mauvais mots.

Mais qu’est-ce qu’il lui raconte, putain ? Est-ce qu’elle se fiche de moi ? Est-ce qu’elle est venue pour draguer ouvertement devant moi ?

 

Un serveur lui amène une coupe de champagne et elle la prend. Il lui dit quelque chose à l’oreille et il montre une table pas loin, elle suit des yeux son geste et, à l’autre bout, il y a un type, la quarantaine, qui lui lève son verre avec un sourire carnassier.

Elle soulève le verre à son attention avant de reporter son regard sur nous.

— Putain !

Je bondis presque de ma chaise, mais Juliette s’accroche à mon bras et tire dessus.

— Pas de scandale ici, Austin… grogne-t-elle.

Je me rassois, les narines dilatées et les veines gonflées. Il va falloir très vite que je me décharge. Sur elle, parce qu’elle m’énerve, ou en elle, parce qu’elle m’excite, au choix.

Elle boit sa coupe. Trop vite. Quand elle est soûle, elle devient vite incontrôlable, et avec tous ces connards autour qui la regardent comme un morceau de viande sur un barbecue, cela peut vite dégénérer.

 

Elle discute tout bas avec Julian. Juliette se penche et pose sa main sur ma nuque pour me parler dans le cou.

— Ok, elle te fait tourner en rond. Elle est sexy, elle le sait et elle flirte ouvertement avec d’autres. Je pense que tu devrais rentrer dans son jeu et jouer avec moi.

— Non.

— Allez, on va se faire chier à cette soirée, sinon. Pour une fois qu’on s’amuse.

— J’ai dit non.

Mais Juliette caresse ma nuque du bout des doigts et je tressaille.

De l’autre côté de la table, Lexie lève les yeux un instant mais fait vite mine de rechercher son verre et de se concentrer sur ces chiens qui bavent devant elle. Elle ose même lancer un clin d’œil aguicheur à Julian.

Elle joue vraiment à m’énerver ! Ok. On va jouer, alors.

7

AUSTIN

Les serveurs amènent les entrées, puis les plats. Pendant deux heures et demie, je supporte cette vision complètement folle de Lexie en putain de déesse en train de se faire draguer par ces espèces de queutards qui nous entourent. Et elle sourit, leur parle, rit à leurs blagues et joue très bien la femme fatale et détachée.

Je rentre dans son jeu. Je parle à Juliette, lui caresse lascivement les épaules en passant un bras sur sa chaise et parle dans son cou, lui racontant des conneries pour la faire rire. Je vois Lexie nous regarder de biais et parfois tressaillir imperceptiblement. Personne ne la connaît aussi bien que moi. Je sais qu’elle bout aussi de l’intérieur. Mais elle me cherche, alors…

 

— Tu penses que vous allez parler, quand vous allez rentrer ? me demande Juliette.

— Parler ? Lexie et moi ne parlons pas, dans ces cas-là. Ou on baise à s’en faire mal pour se punir, ou on se hurle des mots détestables à la face et ça finit en larmes.

— Et ce soir, tu pencherais pour quoi ?

— Difficile à dire. Elle m’énerve et j’ai envie de la pourrir. Et en même temps, je ne l’ai jamais vue aussi sexy.

— T’es aussi excité qu’énervé ?

— Ouais.

Juliette éclate de rire, faisant lever un sourcil à Lexie dans notre direction. Ce qu’il y a de bien, avec elle, c’est que je peux parler de tout sans gêne. Elle est habituée. Elle est aussi crue que moi. C’est une version féminine de moi, en quelque sorte. Je me demande comment sa copine fait pour la supporter.

 

J’observe les lèvres de Lexie se refermer sur sa fourchette et je me damnerais pour être à la place de l’argent qui glisse dans sa bouche.

Quand elle finit son quatrième verre de champagne, ses joues sont plus roses, ses yeux plus brillants et elle sourit sensuellement à ce bâtard. J’ai envie de lui arracher son verre des mains. Elle a trop bu.

Une fois le dessert fini, plusieurs personnes se lèvent pour discuter avec d’autres ou pour aller fumer sur la terrasse. Julian parle toujours à Lexie, et moi à Juliette. Quand celle-ci me raconte une blague sur sa copine au lit avec elle et que je ris, je sens quelque chose appuyer contre ma bite sous la table.

Je sursaute et comprends que Lexie, qui ne me regarde pas et entreprend toujours Julian, écrase sa chaussure contre moi. Je lui attrape le pied, mais elle appuie plus fort et ça fait mal en même temps que ça m’excite. Elle enfonce son talon aiguille contre ma chair et je me retiens de hurler.

— Ça ne va pas ? me demande Juliette.

— Si, si.

Ça, je ne le partagerai pas avec elle. C’est à moi. À nous. C’est grisant de se dire qu’elle me touche sous la table sans que personne le sache. Même si c’est pour me comprimer les boules parce qu’elle est diablement jalouse.

 

Je prends son pied et lui caresse la cheville. Elle tressaute et fait mine de le retirer, mais je le tiens fermement et elle finit par se laisser faire. Je remonte ma main le long de sa jambe, frôlant ces perles qui doivent lui couper la peau. Elle est troublée et le rouge lui monte aux joues.

Quand je l’entends demander à Julian de répéter ce qu’il disait, je ne peux m’empêcher de sourire. Elle est à moi, connard, cherche même pas…

 

Juliette me dit encore quelque chose que je n’écoute même pas et Lexie retire vivement son pied en faisant trembler la table.

— Excusez-moi…

Elle se lève précipitamment et prend sa pochette pour se diriger vers les toilettes sans un regard pour moi. Juliette rit et porte son verre à sa bouche.

— Tu devrais aller voir si ta belle va bien… Elle a l’air dans tous ses états…

Pas la peine de le dire, je suis déjà debout.

 

À grandes enjambées, je rejoins les toilettes et jette un coup d’œil pour vérifier si on me voit, mais il n’y a personne. Je m’engouffre dans l’espace réservé aux femmes et referme à clef derrière moi.

Lexie me fixe dans le miroir immense, ses grands yeux verts lançant des éclairs. Elle s’agrippe au marbre blanc si fort que ses jointures blanchissent.

Je regarde dans les boxes s’ils sont tous vides avant de m’avancer vers elle.

— Très joli, ton numéro de femme fatale à faire tourner les têtes, bébé, mais ça ne prend pas.

Elle me fusille du regard et ne m’adresse pas le moindre sourire comme à Julian. Même pas ironique. Alors qu’elle sait très bien que je ne dis que de la merde. Il a très bien fonctionné, son numéro. La preuve en est la bosse énorme dans mon caleçon et la colère qui court dans mes veines.

— Tu n’as pas aimé ? Tant pis pour toi. Les autres, si. Puis tu as ta petite Juliette pour te faire plaisir…

Je me retiens de sourire méchamment. Elle est jalouse. Lexie est une putain de jalouse maladive. Elle l’a toujours été. Elle ne changera jamais. Elle est comme moi.

Je m’approche et m’adosse au lavabo à quelques mètres d’elle, les mains dans les poches.

— Oui, j’ai Juliette, c’est vrai, elle n’est pas sim…

 

Aussi vite que l’éclair, Lexie s’est jetée sur moi pour me projeter en arrière et agripper le col de ma chemise, pour hurler à mon visage sans me laisser le temps de finir ma phrase.

— Putain, je t’interdis de faire ça ! Tu entends, Austin Anthony Reed ? Je t’interdis de la draguer, elle ou qui que ce soit d’autre ! Ta place est avec moi ! Avec Sacha et moi ! C’est nous, ta famille ! C’est moi, ta copine, pas Juliette ou qui que ce soit d’autre ! Je n’en ai rien à foutre de ces conneries, si tu me quittes, je te suivrai ! Je ne te laisserai plus m’échapper.

Ses yeux brillants sont emplis de colère et elle frissonne de rage. La petite pièce carrelée vient de se charger en électricité. Les pommettes déjà rouges de Lexie se colorent davantage alors qu’elle m’étrangle encore en tirant sur le col de ma chemise. C’est une vraie lionne. Putain, ce qu’elle est sexy…

 

J’ai une folle envie de la baiser là, contre le carrelage froid et dur. Je bande déjà comme un malade. Et puis ce qu’elle dit me donne presque envie de rire. Je réprime un sourire et essaie de garder un air colérique. Mais à l’intérieur de moi, ça danse la java. J’exulte.

— T’es complètement dingue, ma parole, murmuré-je doucement.

Elle hurle de plus belle.

— Oui, putain ! Je suis folle, totalement cinglée, même. Alors, ne me fais pas chier ! J’en ai marre de tes conneries ! Je vais tout défoncer, si ça continue ! Tu veux quoi, que j’aille là-bas sauter sur ta petite bourge ?

Je referme mes doigts autour de ses poignets. J’aime qu’elle se batte pour moi, j’en avais besoin sans le savoir. L’entendre dire qu’on est ensemble, qu’elle ne me laissera pas quoi qu’il arrive et que c’est nous avant tout me soulage.

J’adore la voir sortir de ses gonds parce qu’elle tient à moi, mais il ne faut pas non plus qu’elle aille trop loin.

— Tu vas te calmer, Lexie…

Elle répond en serrant les dents.

— Non, je ne me calmerai pas ! Tu ne t’es jamais gêné, toi, pour exploser la gueule des mecs qui m’approchaient de trop près ! Alors si tu crois que je vais me gêner, tu te trompes !

— Tu arrêtes et tu te calmes !

Je fais semblant de crier un peu. Mais elle me prend au sérieux et s’énerve, cherchant à dégager ses poignets.

— Tu vas voir, putain ! Tu vas voir si elle peut te prendre comme ça !

Comme une furie, je la vois se dégager vivement et courir vers la porte. Elle l’ouvre, mais je suis plus vif. Je cours et tends la main pour la claquer avant qu’elle ne l’ait passée.

— Laisse-moi passer ! Je vais lui éclater la tête, Austin !

— Arrête de crier ! Tu ne vas éclater la tête de personne ! Tu vas commencer par te calmer, Montgomery !

Elle tressaille et écarquille les yeux quand je l’appelle comme ça. Tiens donc, je ne savais pas que ça lui ferait cet effet.

Elle fronce les sourcils et me fusille de ses yeux verts. Ses yeux auront ma peau… Je me demande comment j’ai fait pour ne pas crever, la première fois qu’elle m’a regardé comme ça. En observant Sacha, l’autre soir, à table, je me suis surpris à penser que j’aimerais ça, avoir un gosse avec des yeux aussi verts qu’une forêt vierge au matin sous la rosée. Mais rien que le fait d’avoir cette pensée m’a retourné l’estomac. Je n’étais pas prêt à avoir un gosse à quinze ans, je ne le suis toujours pas maintenant.

— Comment tu m’as appelée ? Je t’interdis de m’appeler comme ça !

Le coin de ma bouche se soulève imperceptiblement pour sourire, mais je me mords les lèvres pour m’en empêcher et plante mes yeux dans les siens.

Elle est putain de putain de sexy quand elle est énervée comme ça. Je vois la fine couche de transpiration qui recouvre sa peau et sa poitrine qui se soulève sous sa robe verte. Et je voudrais poser mes lèvres sur la veine qui bat d’énervement dans son cou.

Je n’ai jamais été rationnel, avec Lexie. Je m’en rends compte à ce moment. Elle est énervée et prête à tout défoncer, et moi, j’ai juste envie de la baiser. De m’enfoncer en elle et de voir ses yeux se révulser alors que ses ongles s’enfoncent dans ma chair. Cette fille a totalement pris le contrôle de mon cerveau, de mes émotions et de mon âme. Personne ne m’a jamais autant fait d’effet. Et même au bout de tous ces mois, mon envie d’elle ne faiblit pas. Au contraire, elle se renforce encore. Je ne savais pas que c’était possible de désirer quelqu’un à ce point. Et d’aimer, aussi. Dans mon cas, les deux sentiments sont indissociables.

 

— Et tu as plutôt intérêt à m’embrasser tout de suite…

Ma bouche s’écarquille de surprise et je hausse les sourcils quand je l’entends dire ça en serrant les dents et d’un air énervé.

— Maintenant, j’ai dit !

Elle me frappe le torse du plat de la main pour me tirer de mes pensées cochonnes.

— Depuis quand tu exiges que… Aïeeee !

Elle s’est jetée sur moi. Je recule et me cogne contre le lavabo en marbre qui me martyrise le bas du dos.

Lexie me grimpe dessus et me pousse par terre en écrasant sa bouche contre la mienne.

— Tu es… complètement ingérable…

J’essaie de parler, mais elle m’embrasse en léchant ma lèvre inférieure et en tirant dessus, me laissant pantelant. Je ne peux m’empêcher de rire en constatant son empressement.

— Tu ris toujours quand je suis en colère et ça me fout encore plus les boules, putain !

Je souris encore à ce qu’elle dit. Si elle jure autant, c’est qu’elle est vraiment soûle. J’aime bien quand elle est aussi extravertie et débridée. Enfin, avec moi. Je me promets intérieurement qu’elle aura interdiction de boire dans les soirées où elle ne sera pas avec moi.

— Je te fous tout le temps en boule, de toute façon…

— Tais-toi, putain, tu me gonfles !

Tout en disant ça, elle a déjà presque arraché les boutons de ma chemise. J’essaie de la contenir, mais elle se débat.

— Arrête, Lexie, je ne vais plus ressembler à rien, en sortant d’ici.

— Et alors ? Tu veux charmer qui ? Je suis là et c’est moi qui compte, putain, moi !

L’entendre dire ça me fait grandir la queue un peu plus derrière le tissu déjà très serré de mon pantalon.

— Calme-toi, ok ?

 

Elle me pousse les bras au-dessus de la tête et, accroupie sur moi, elle se frotte comme une petite chatte en chaleur à mon pantalon, en laissant échapper de petits gémissements.

Je déglutis et ferme les yeux en sentant déjà une goutte de sueur perler à mon front. Elle va avoir ma peau. Elle a déjà tout de moi, mais en demande toujours plus.

— Austin…

Quand elle gémit presque mon nom, c’est plus que je ne peux supporter. Je détache mes mains des siennes, ce qui lui fait perdre l’équilibre, et elle tombe un peu sur moi, alors que je l’attire pour l’embrasser fiévreusement.

Le goût du champagne sucré sur ses lèvres me rend fou. Je salive rien qu’à la pensée de sa bouche refermée autour de ma queue violemment dressée pour l’accueillir.

 

J’ai vaguement le temps de me demander pourquoi, quand on est énervés tous les deux, on se retrouve inlassablement nus et en sueur, perdus l’un dans l’autre quelques minutes plus tard. C’est totalement absurde, non ?

— Bébé…

— Ferme-la. Touche-moi là.

Elle referme une de mes mains sur son sein autoritairement et je ne blague plus. Je ne souris plus. Elle a totalement pris le contrôle de la situation. Elle est sauvage et sexy et je suis complètement à sa merci. Je ferais tout pour cette fille, putain…

Je m’exécute et fais ce qu’elle dit. Elle m’embrasse et fait courir ses doigts sur ma peau. Le contraste entre le froid du carrelage, sous moi, et la chaleur de Lexie, au-dessus, est saisissant. C’est elle qui me brûle la peau, le cœur, tout. Cette fille, c’est mon soleil. Et elle me chauffe à quarante degrés. Surtout maintenant.

Je lui malaxe le sein sans ménagement et elle gémit en se redressant pour enlever les manches de sa robe.

Pourquoi on est là, déjà ? Je ne me souviens même plus pourquoi j’étais en colère et pourquoi je lui en voulais. Je sais juste qu’il n’existe pas de vision plus parfaite que celle que j’ai sous les yeux. Un démon blond du nom d’Alexandra.

« J’ai décidé, puisque je suis voué aux enfers, de me damner avec application. » Je ne sais plus où j’ai lu cette phrase débile mais elle ne m’a jamais semblé aussi appropriée qu’à cet instant.

 

Lexie laisse tomber le haut de sa robe sur ses hanches, dévoilant un balconnet à dentelle noir avec des petits nœuds. Bon sang… Cette fille veut vraiment ma perte. Je jure en plongeant mes doigts dans ses cheveux pour tirer sur ses épingles, défaire son chignon et laisser tomber ses boucles blondes sur ses épaules. Je tends la main et effleure l’attrape-rêve sur ses côtes, puis, doucement, je descends avec l’autre main sur ses hanches pour caresser la phrase qui y est tatouée.

Je la veux, putain, je veux la sentir autour de moi.

— Viens là…

Elle m’obéit et s’avance pour se coller à moi alors que je me redresse pour m’asseoir et coller mon torse à sa poitrine saillante.

Nos bouches se cherchent, se trouvent, et s’accordent parfaitement dans une danse sensuelle. Ses mains courent le long de mes bras, de mes épaules et de mon torse, laissant des traces brûlantes sur ma peau déjà à vif. Elle me rend dingue. Mes sens sont en éveil.

Je sais qu’elle aime dessiner du bout des doigts chacun de mes tatouages et j’aime faire ça aussi avec elle. Je me penche et pose mes lèvres sur la plume tatouée sur son épaule.

Avec frénésie, elle défait les derniers boutons de ma chemise puis s’attaque à ma ceinture pendant que je pose mes mains gelées sur ses seins chauds.

Elle ondule des hanches contre moi quand je prends un téton dans ma bouche pour le suçoter.

 

— Austin…

L’entendre haleter mon prénom fait court-circuiter mon cerveau. C’est moi qu’elle appelle…

Je vois déjà la fine pellicule de sueur couvrir sa peau sous mes caresses fiévreuses. Je parcours sa jambe et ses chevilles avant d’arriver à ses chaussures. C’est super excitant, ces pompes-là…

Elle hausse un sourcil avant de me pousser en arrière pour me rallonger. Elle finit par se pencher pour me lécher la lèvre inférieure en glissant sa main dans mon caleçon pour prendre ma queue en main et la décalotter.

— Bébé, je vais finir avant de commencer si tu continues…

Je glisse sans attendre un doigt entre ses cuisses, sous sa robe que j’ai relevée. Comme je m’y attendais, elle est trempée.

Elle laisse échapper un gémissement qui me fait tressaillir et je lutte pour me contenir encore.

 

Elle baisse vivement mon caleçon, et sans attendre une minute de plus, vient s’empaler sur moi.

— Putain…

Ses yeux se révulsent et la voir comme ça me fait limite jouir sur l’instant.

Elle met son poing dans sa bouche pour le mordre et commence à bouger des hanches sur moi. Elle s’enroule, tourne, monte et descend, lentement, très lentement, et me torture comme jamais.

— Plus vite, bébé…

J’en suis limite à la supplier. Mais elle ne m’écoute pas et continue son délicieux mais torturant petit manège. Elle me griffe le ventre de ses ongles et je grogne.

— Ça suffit les conneries !

Je l’attrape par les hanches et la retourne vivement pour la plaquer au sol. Elle crie, mais se laisse faire.

— C’est moi, qui contrôle. C’est clair ?

Je m’enfonce en elle brutalement et elle gémit. Trop fort. Je plaque une main sur sa bouche pour la faire taire. Je n’ai jamais bandé autant. Sa poitrine se balance à mon rythme.

— C’est… moi… qui… contrôle. C’est… moi… qui… te baise…

À chacun de mes coups de reins, je sens son bassin qui se relève pour venir rencontrer le mien. On va être marqués et avoir des bleus demain, c’est sûr. J’y vais bien trop fort. Mais je ne veux pas m’arrêter. Je ne peux pas m’arrêter.

Je soulève ses jambes par-dessus mes épaules et elle gémit encore quand je m’enfonce plus loin.

— Austin…

Elle griffe mon épaule et je me déverse avec hargne en elle. Alors qu’elle se referme en tremblant sur moi au même moment. La sensation est engourdissante.

Je me laisse tomber sur sa poitrine pleine et parfaite et nous accordons peu à peu nos respirations.

 

Quand on se relève, elle tremble.

— Tu m’énerves, me dit-elle simplement.

— Toi aussi, je réponds en l’aidant à remettre sa robe en place avant d’essayer de me rhabiller moi – même.

Mais c’est peine perdue, on a vraiment l’air de deux personnes qui viennent de baiser sauvagement dans les toilettes d’un hôtel.

Je l’embrasse dans le cou et remarque les marques rouges que j’ai laissées sur sa peau, avec ma barbe mal rasée, mes dents et ma langue trop gourmande. J’ai encore envie de la marquer. Putain, on vient de baiser et j’ai déjà envie de recommencer.

— On rentre à la maison ?

C’est moi qui ai posé la question. Après la façon dont je l’ai traitée, je ne sais pas si elle voudra venir, mais j’ose l’espérer.

— Oui. On rentre à la maison.

Elle dit ça d’un air autoritaire, comme si ce n’était pas mon idée, mais la sienne.

Elle récupère sa pochette et j’ouvre la porte pour sortir.

 

Quand nous traversons la salle, je pose une main possessive dans son dos pour que tout le monde voie bien qu’elle est avec moi. Mais au lieu de se diriger directement vers la sortie, Lexie repère Juliette et va droit vers elle. Je la retiens par le bras, mais pas assez fort. Elle se dégage et se plante devant elle. Elle lui fourre un doigt sous le nez.

— Pas la peine d’espérer quoi que ce soit, il est à moi, c’est clair ? Jamais il ne couchera avec toi…

Je me retiens de rire en voyant l’air amusé que prend Juliette pour lui répondre.

— Ma belle, écoute, ça fait au moins six ans que je n’ai pas couché avec un mec. Et entre Austin et toi, je peux t’assurer que c’est surtout toi que je voudrais baiser.

Elle caresse du bout des doigts le bras de Lexie qui écarquille les yeux et la bouche de stupeur.

— Non mais ça va pas ou quoi ! crié-je à Juliette.

Je tire Lexie vers moi et fusille des yeux mon amie qui fait un clin d’œil provocateur à celle que j’aime.

Je pousse Lexie dehors alors qu’elle a toujours l’air en état de choc. Derrière moi, je fais un doigt d’honneur à Juliette avant de sortir.

8

AUSTIN

Depuis que je connais Lexie, il n’y a plus rien qui tourne rond dans ma vie. Chaque fois que j’ai cru que telle ou telle chose allait se passer, ça n’est pas arrivé. Ou tout est arrivé alors que ça n’aurait pas dû.

J’avais prévu de la baiser depuis la première fois que je l’ai vue, quand elle m’était rentrée dedans sur les marches de la bibliothèque. Et j’avais prévu ça rien que pour la punir de son insolence. Mais je n’avais pas prévu qu’elle était vierge.

Ensuite, j’avais prévu de la baiser quand même parce que je n’arrivais plus à me la sortir de la tête. Et que j’avais cette idée débile que si je le faisais une fois avec elle, ça suffirait pour me soulager. Mais je n’avais pas imaginé que goûter à sa chair me ferait perdre la tête à ce point et me donnerait juste l’envie de recommencer encore et encore. Puis je n’avais pas prévu de tomber amoureux.

J’avais aussi prévu de lui dire pour Sacha. Mais à la fin du diplôme, après la soirée du bal de promo. Et j’avais prévu de l’obliger à venir à Boston University. J’étais persuadé d’y arriver. Mais je n’avais pas prévu qu’elle découvrirait la vérité de son côté. Ni qu’elle me détesterait. Ni qu’elle essaierait de s’ouvrir les veines. Ni qu’elle se tirerait sans dire au revoir.

En fait, tout ce que j’ai prévu avec elle est toujours tombé à l’eau. Mais j’ai découvert toujours mieux. Elle m’a fait me remettre en question. Elle m’a changé. Elle m’a fait prendre conscience de qui j’étais, de qui je suis, de qui je voudrais être.

 

Et ce soir encore, elle m’a surpris. Rien ne s’est passé comme je le pensais. Déjà, je croyais qu’elle s’était tirée et j’avais les boules. Puis je l’ai vue arriver à cette soirée dans laquelle elle n’avait rien à faire, dans cette putain de robe.

J’aurais voulu que, en arrivant dans cette tenue et en faisant tourner la tête de tous ces bâtards, elle vienne vers moi, m’embrasse et montre à tous qu’elle m’appartient. Mais non. Elle a flirté ouvertement avec eux et m’a hurlé dessus. Certes, à la fin, c’est moi qui l’aie baisée, mais ça ne devait pas se passer comme ça.

Elle me fait toujours perdre le contrôle. Avec elle, j’ai l’impression que mon cerveau fonctionne à l’envers. Je veux lui parler, je coupe mon téléphone pour ne pas recevoir ses appels ; je veux la voir, je me débrouille pour vivre le plus loin possible d’elle ; elle me manque, je la fous à la porte de chez moi ; je veux lui dire je t’aime, je lui lance des mots horribles à la gueule ; je veux déverser ma colère sur elle, je finis par lui faire l’amour comme un malade.

 

Quand je l’entends soupirer, je tourne les yeux vers elle.

Elle fixe le paysage illuminé de Boston. Bien plus simpliste que New York, même si, au loin, on voit les grandes tours de l’autre côté de la rivière Charles. Son regard est perdu dans le vague. Elle a un peu dégrisé et sa tension, comme sa colère et son excitation, est retombée. Je le devine à son air pensif. Dommage, j’avais espéré encore un peu de sexe hardcore en rentrant. Mais apparemment, ce n’est plus à l’ordre du jour. Elle doit être fatiguée. Surtout qu’elle n’a pas dû beaucoup dormir sur la moquette du couloir, hier.

J’ai juste peur qu’elle m’en veuille vraiment. Elle n’a pas décroché un mot depuis qu’on est sortis de l’Intercontinental. Même pas pour faire une remarque cinglante sur l’homosexualité affichée de Juliette.

Je l’observe à la dérobée. Son rouge à lèvres s’est estompé sous mes baisers fiévreux, mais elle reste la plus belle femme qu’il y ait eu à cette soirée. La plus belle femme qu’il y ait dans ma vie, d’ailleurs.

Ses petites étoiles derrière son oreille appellent mes baisers, comme d’habitude.

Mais ça me stresse qu’elle ne dise rien. Je ne sais même pas si elle veut que je la touche.

— Bébé…

— Hmm…

Elle marmonne sans me regarder, le visage fermé et toujours tournée vers sa vitre.

— À quoi tu penses ?

Je la vois esquisser un faible sourire. Je sais que ça l’énerve que je lui pose cette question tout le temps. Mais moi, ça m’agace réellement de ne pas savoir ce qu’elle a dans la tête. Je voudrais pouvoir entrer dans son esprit.

— Rien d’important.

— Tu es fâchée ?

Elle soupire avant de se tourner vers moi pour parler.

— Un peu. Tu ne réponds pas au téléphone pendant une semaine, tu m’ignores et tu me laisses même dormir dehors sans te soucier de ma sécurité. Puis tu me demandes de t’attendre chez toi comme une gentille petite femme d’intérieur alors que toi, tu vas à une putain de soirée avec une fille dont les jambes sont plus vertigineuses que la John Hancock Tower. Et puis, pourquoi tu ne m’as pas dit qu’elle est gay, cette meuf ?

Ben voyons. Tout est ma faute, maintenant !

— D’abord, c’est toi qui m’as menti. Alors que je te fais une surprise, j’arrive à New York et je te vois avec ce mec. Mets-toi à ma place. Tu aurais fait quoi ? Ça m’a énervé. Puis tu me dis que c’est ton frère. Et que tu l’as retrouvé depuis des mois. Tu ne m’en as jamais parlé. Après m’avoir quitté à cause de mes non-dits, tu fais la même chose… Ça m’a foutu les boules. J’ai fait beaucoup d’efforts pour nous, Lexie, et je sais que j’ai pas mal merdé, mais là, c’est toi qui as des choses à te reprocher et tu n’assumes pas. J’avais besoin d’être seul. Si j’étais resté, je t’aurais pourrie. Puis hier soir, je pensais que tu serais repartie à New York, je ne t’aurais jamais laissée dormir dehors et tu le sais ! Et pour finir, je n’avais qu’une hâte, aujourd’hui, c’était de renter et de te voir pour te parler. Je n’avais aucune envie d’aller à cette soirée. Et pour Juliette… Je croyais que tu avais confiance en moi. Ça fait longtemps que je la connais, et quand bien même serait-elle hétéro, je ne la regarderais pas.

— Confiance en toi ? Tu as confiance en moi, toi, peut-être ? Chaque fois qu’un mec s’approche un peu de moi, tu t’énerves sans rien savoir. Avec Travis, tu t’énervais alors qu’il n’a même jamais essayé de me draguer.

Je plisse des yeux et me renfrogne. Pourquoi elle parle de ce connard qui était avec nous à l’école à Mary Island ? Bien sûr qu’il la draguait. Elle ne s’en est juste jamais rendu compte.

— J’ai confiance en toi. C’est en eux que je n’ai pas confiance. Tous ces mecs… ils n’ont qu’une idée en tête quand ils te voient. Et je le sais, parce que j’ai la même en permanence. Ce soir, tu as fait bander la salle entière.

Elle ouvre la bouche pour dire quelque chose, la referme, plisse les yeux et finit par répondre en soupirant.

— Tu exagères.

— À peine. Même Juliette a fantasmé sur toi et elle ne s’est pas gênée pour me le dire.

— Si j’avais su qu’elle était gay… peut-être que je n’aurais pas réagi comme ça.

J’esquisse un sourire.

— Tu te plains tout le temps de ma jalousie maladive. Mais je t’assure que tu n’es pas loin derrière.

Elle grogne un truc incompréhensible et se retourne vers la vitre.

— Lexie…

Elle me regarde vivement, une expression déterminée sur le visage.

— Je suis désolée. Je ne le dirai plus qu’une fois, Austin. Je suis désolée de t’avoir menti. Je n’aurais pas dû. J’aurais dû te parler de Leo. Mais c’est compliqué et même lui n’était pas au courant. Je t’ai appelé toute la semaine pour m’excuser, alors cette fois c’est la dernière : je suis désolée.

Je suis tiraillé entre l’envie de me montrer mauvais et de lui dire ce que j’ai sur le cœur et celle de laisser ça de côté pour profiter des trop courts moments que nous avons ensemble, rien que tous les deux. Mais elle m’a pardonné bien pire, non ? Il faut que je m’en souvienne.

 

Je me gare dans la rue de l’immeuble et arrête la voiture.

— Ok. Mais pourquoi tu ne m’en as pas parlé ? Tu ne me fais pas confiance à ce point ?

— Ce n’est pas ça… C’est juste que… Leo est particulier. Il a de mauvaises habitudes, de mauvaises fréquentations et un passé plutôt chaotique… J’avais peur que tu cherches à m’empêcher de le voir…

Elle baisse les yeux, penaude, et triture des perles sur sa somptueuse robe. Elle a probablement raison, je ne vais pas lui enlever ça. J’aurais sûrement tout fait pour qu’elle ne l’approche pas de trop près. Il va d’ailleurs falloir que je me renseigne sur lui.

J’attrape son menton entre mes doigts pour la forcer à me regarder.

— Je ne veux pas qu’il t’arrive quoi que ce soit. C’est la seule raison pour laquelle je chercherai toujours à te protéger. De qui que ce soit.

— Je sais.

Sa réponse est sortie si rapidement que je ne suis pas sûr qu’elle l’ait dit. Si elle le sait, ça veut dire qu’elle sait combien je l’aime.

 

Ses yeux verts brillent d’un éclat nouveau et elle se mord un peu la lèvre. J’adore quand elle fait ça. Elle est plus que désirable.

— Je t’aime.

Elle sourit à mes mots, mais en faisant la moue. Et putain, ça aussi, c’est sexy.

— Viens là…

Je l’attire à moi pour l’embrasser et détache ma ceinture et la sienne par la même occasion. Je ne m’en lasserai jamais. Je le sais, j’en suis sûr. Parce que je sais ce que ça fait que d’en être privé.

Elle me grimpe dessus et vient s’accrocher à mes cheveux en cherchant ma langue de la sienne. Je glisse ma main dans son dos et caresse sa peau nue et froide.

L’odeur de vanille de ses cheveux m’enivre et l’odeur de sa peau aussi. Je laisse mes doigts s’enfoncer dans sa chair.

Quand elle tire sur l’anneau à mes lèvres avec ses dents, mon pantalon s’étire. Pour la énième fois ce soir. Est-ce que c’est humainement possible de bander autant en si peu de temps ? Oui, j’en suis la preuve vivante.

Son souffle brûlant s’accélère quand je pose mes lèvres dans son cou.

— On monte, bébé ?

Ma proposition n’a rien de subtil. Mais de toute façon, je ne compte pas l’être.

— Sacha… souffle-t-elle en gémissant à moitié.

— Chez ma mère jusqu’à demain. On a l’appartement pour nous tout seuls.

— On n’aura pas besoin de tout l’appartement, ta chambre suffira, sourit-elle.

Je la mords gentiment avant d’ouvrir la portière, pressé.

— Comme tu voudras. Allez viens.

On monte, mais c’est trop long. Il faut que je la touche. Il faut que je la sente. Je pose mes mains sur ses fesses quand elle est devant moi, dans l’escalier, et elle se retourne pour me donner une tape, mais je suis plus vif, je l’attrape et la plaque contre le mur pour la caresser.

— Austin, attends…

Elle essaye de se dégager alors que je glisse ma main sous sa robe.

— Bébé…

— … non… attends…

Je suis brûlant de désir. On dirait que du feu coule dans mes veines. Et il n’y a qu’elle pour éteindre l’incendie qu’elle a allumé.

Je l’embrasse, la caresse, cherche à remonter sa robe qui, soit dit en passant, est plutôt encombrante avec toutes ces perles qui me coupent la main, mais elle me repousse et s’enfuit en riant dans la cage d’escalier sombre.

Son rire me paralyse. Il est frais, enfantin et se répercute en moi comme un écho infini. Le rire de Lexie est sans aucun doute le plus beau son de la terre. Je me promets de la faire rire encore.

 

Je grimpe les marches quatre à quatre et la rejoins alors qu’elle est appuyée nonchalamment contre la porte d’entrée. Cette vision d’elle, abandonnée à mon regard, me fait fondre comme neige au soleil. Elle a la lèvre du bas qui tremble quand elle veut reprendre son souffle et elle passe ses mains dans ses cheveux pour essayer de les discipliner. J’ai aussi envie d’y glisser mes doigts.

Je m’approche, pose mon front contre le sien alors qu’elle m’attire à elle en s’agrippant au col de ma chemise, et je glisse la clef dans le trou de la serrure pour ouvrir.

— Tu es fatiguée ?

Il est tard et elle a les yeux lourds. Je ne sais pas si c’est à cause du manque de sommeil ou du champagne qu’elle a bu. Elle secoue la tête pour dire non et je souris. Je sais qu’elle a autant envie que moi de faire l’amour.

 

J’ai à peine le temps d’ouvrir la porte que les boutons de ma chemise sautent déjà. Je n’allume pas et l’appartement reste plongé dans une semi-obscurité quand je referme la porte.

Je fais glisser sa robe sur ses épaules, puis le long de son corps. Elle a pris des hanches et j’adore ça. Elle est pleine, tout en courbes, parfaite. Je m’attaque à chaque centimètre carré de son corps, de mes mains, de la bouche, de la langue…

Elle tire sur mes cheveux, me déshabille, presse mes fesses dans ses mains et m’attire vers elle. Nos baisers se font violents, ardents, passionnés, fiévreux et mon cœur s’emballe très vite. Mon rythme cardiaque s’accélère quand je la soulève pour la porter et que je ne sens comme barrière que sa culotte de dentelle noire trempée contre mon boxer exagérément tendu. La douleur entre mes jambes est lancinante.

Nous nous embrassons encore, à l’infini, nous cognons contre les murs, la table, le canapé, les chaises, la porte, comme possédés, avant de nous effondrer sur mon lit, en sueur.

Avec frénésie, je lui ôte son soutien-gorge et pose mes doigts sur ses tétons durcis et qui portent encore la trace de mes dents. Je les suçote à nouveau et elle gémit de plaisir en laissant sa tête partir en arrière.

Quand je descends les mains pour caresser son ventre, elle frémit. Je sais qu’elle est toujours un peu gênée par ses cicatrices sur son bas-ventre, mais je ne vois pas pourquoi. Pour moi, elle est parfaite. Et même avec sa plus grande cicatrice sur la jambe, elle est parfaite. Sans elles, ce ne serait pas vraiment ma Lexie.

Je l’embrasse et ma langue vient faire le tour de son nombril tandis qu’elle plonge les doigts dans mes cheveux emmêlés et tire un peu dessus. Je suffoque carrément et j’ai la gorge desséchée.

En remontant le long de son corps jusqu’à sa bouche, j’ai une brusque idée. Je n’ai jamais expérimenté ce genre de chose avec une meuf, et avec Lexie, ça doit être mieux que tout.

— Ne bouge pas, je reviens.

Je me lève vivement en embrassant son front rapidement et en la laissant pantelante.

— Mais…

Je file à la cuisine en boxer. Je prends un verre d’eau et ouvre le réfrigérateur pour attraper le reste de vin à la pêche que j’avais ouvert pour ma mère, la dernière fois qu’elle est venue. J’en verse un peu et prends des glaçons aussi.

 

Quand je retourne dans la chambre Lexie est toujours dans la même position, allongée, les jambes écartées et les bras au-dessus de la tête, où ses cheveux s’étalent sur mon couvre-lit. Ses yeux sont fermés et sa respiration lente, comme si elle dormait. C’est une putain de déesse qui s’offre à mon regard.

 

— Mon amour…

Je pose le verre sur la table de chevet et viens m’allonger doucement sur elle, entre ses jambes relevées, et en appuyant sur mes bras, pour ne pas l’écraser.

— Tu dors ?

Elle ouvre les yeux et son regard émeraude me transperce l’âme. Elle fait non de la tête et m’embrasse doucement. Mon pouls s’accélère de nouveau. Elle soulève ses hanches contre les miennes et je comprends que son désir est tout aussi vivant que le mien.

Je fais glisser sa petite culotte, en griffant un peu sa peau à vif au passage, et mon boxer d’un seul mouvement.

Quand je caresse ses fesses, elle gémit. Je l’embrasse et laisse ma langue courir sur ses lèvres gonflées et rougies. Je la mords un peu. Peut-être que si je le fais suffisamment fort elle voudra bien me parler.

— Parle-moi… dis-moi ce que tu veux…

Je sais qu’elle aime entendre des saletés pendant l’amour, et là, je voudrais juste qu’elle ose, qu’elle ait le courage de me parler. Je sais qu’elle est plus coquine qu’elle ne veut bien l’admettre.

— Je veux…

— Oui ?

— Toi… Je veux te sentir…

Sa voix est un murmure, un souffle contre ma bouche. Elle transpire contre moi et ma queue sur sa cuisse la fait palpiter sous moi, je le sens. De mes baisers, je trace des chemins humides entre sa clavicule et son sein.

 

Sans me détacher d’elle, je tends la main et plonge mes doigts dans le verre que j’ai rapporté pour prendre le glaçon. Je le ramène et doucement le pose contre son clitoris, que je me suis empêché de toucher jusque-là.

Elle sursaute si violemment qu’elle me soulève presque avec elle. Elle est brûlante et il est gelé contre sa peau.

— Austiiiiiinnn…

— Chuuuutttt… Tu sens comme c’est bon ? Hein…

J’écrase ma bouche sur la sienne et appuie un peu plus le glaçon contre elle. Ses jambes tremblent. Elle grimace et soupire en même temps quand je fais tourner le petit morceau gelé. Je me demande si je peux la faire jouir comme ça…

— C’est bon ?

— Oui… C’est…

— Intense ?

— Froid.

Sa réponse me fait rire doucement. Je retire le glaçon et le laisse tomber au sol avant de passer paresseusement ma main froide sur sa fente mouillée et d’enfoncer mes doigts en elle.

— Je te veux. Maintenant…

Son ton suppliant et autoritaire à la fois m’électrise. Je retire mes doigts et plonge en elle sans attendre. Doucement d’abord, pour me griser de la sensation de froid que j’ai laissée avec mes doigts gelés, contre la chair brûlante de ma bite qui glisse en elle. Mais elle est trop impatiente et c’est elle qui bouge des hanches contre moi, me forçant à accélérer le rythme.

Je lui écarte encore un peu les cuisses et lui maintiens une jambe sur le côté pour aller plus profondément encore.

— Oui… putain… c’est… trop…

L’entendre haleter et parler, plus que moi, pour une fois, me fait grogner de plaisir. J’accélère encore et le lit grince sous nos corps suants et enfiévrés.

Lexie gémit de plus en plus fort. Je ne mets pas ma main sur sa bouche. Je me fous que tous nos voisins sachent à quel point elle prend son pied, au contraire. C’est moi et seulement moi qui lui donne tout ce plaisir.

 

Je sens son corps se tendre sous le mien. J’embrasse ses seins, je les suce, je les mords.

— Vas-y, bébé…

Ses jambes se tendent, elle tremble et se referme sur mon membre en hurlant de plaisir.

Je continue à m’enfoncer en elle encore et encore jusqu’à ce qu’elle griffe mon dos en s’accrochant à moi pour venir murmurer en haletant à mon oreille.

— Je t’aimerai toujours jusqu’à toucher les étoiles, Austin Reed…

Je jouis instantanément, déversant en elle tout mon amour.

L’orgasme me terrasse. Je me laisse tomber sur elle et pose ma tête en sueur sur sa poitrine pour écouter son cœur battre. Il bat vite et fort, comme le mien.

Lexie me relève les cheveux du front et me caresse longtemps. Les battements de son cœur ralentissent au rythme du mien et, je ne sais même pas comment, je finis par m’endormir, contre la femme que j’aime.

*
*     *

Le lendemain matin, je me félicite de m’être levé tôt. J’ai regardé Lexie dormir, longtemps.

Maintenant, les premiers rayons du soleil nimbent son corps nu d’un halo féerique et donnent à ses courbes toute la splendeur qui lui est due. Elle a des marques partout. Du rouge qui flotte sous la surface de sa peau, parce que je l’ai suçotée trop fort dans le cou, sur l’épaule… Sur ses seins, il y a la trace de mes dents… Elle a également laissé des traces sur mon corps. Je sens des griffures irradier dans mon dos.

Je ne me rends jamais compte de la violence de nos ébats sur l’instant, mais j’aime ça. Putain je l’aime, ouais.

Il n’y a rien, rien qui puisse venir perturber mon bonheur, à ce moment précis.

 

Je me lève et prends ma douche. Je descends chercher le sac de Lexie dans la voiture puis je camouffle les traces de notre passage dans l’appartement.

À quelques minutes près, ma mère serait arrivée et aurait trouvé nos vêtements et nos sous-vêtements étalés partout.

Elle dépose Sacha et repart aussitôt quand je lui laisse comprendre que Lexie dort encore.

Sacha est excité comme une puce et je dois le faire taire à grand renfort de promesses de sorties, de gâteaux et autres pour qu’il ne fasse pas de bruit et la laisse dormir. Il ne tient pas en place et fait des plans sur tout ce qu’il va lui montrer, tous les jeux qu’il va faire avec elle…

 

Quand Lexie se réveille, elle a l’air aussi heureuse que moi. Ça me soulage. J’avais un peu peur qu’elle ne change d’avis ou qu’il y ait encore de la tension entre nous.

Elle se douche et je maudis le fait de ne pas pouvoir laisser Sacha tout seul pour la rejoindre et me glisser contre son corps sous l’eau.

 

Sacha me raconte en détail le film qu’il est allé voir avec Tory, hier.

Et cette journée se déroule en harmonie, ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps. On fait des courses, on se balade dans le parc de Boston Common, Sacha sur mes épaules avec sa barbe à papa. Il m’en fout partout et fait rire Lexie à mes côtés. Elle aussi en mange une et s’en fout partout. Avec sa queue-de-cheval, sa veste en jean, son pantalon blanc et ses tennis, elle fait moins femme fatale qu’hier soir. Elle fait juste ma femme.

 

Dans l’après-midi, elle apprend à Sacha à faire des crêpes pendant que je finis de bosser sur un article pour le journal. Et le soir, nous mangeons ensemble et rions à table aux bêtises de Sacha, et accessoirement aux miennes.

Lexie lui lit une histoire avant de dormir, mais j’écoute aussi, appuyé, les bras croisés à la porte. Elle lui lit Alice aux pays des merveilles. Un des livres qu’elle lui a achetés pour son anniversaire.

Sacha s’endort dans ses bras. Et moi, je finis, bien plus tard, après lui avoir fait l’amour encore et encore, par m’endormir dans les siens.

*
*     *

En me réveillant, le dimanche, ma première pensée, c’est que je donnerais tout pour qu’elle reste plus longtemps et qu’elle ne parte pas par le bus, ce soir.

Je tâte le matelas à côté de moi, mais il est vide. Elle est déjà levée ?

— Lexie ?

Je me lève, passe mon jogging en molleton et la cherche.

 

Quand je pousse la porte de la salle de bain, je sens tout de suite que quelque chose cloche.

— Lexie ?

Elle est appuyée au lavabo et tremble comme jamais. Elle a une mine horrible, des yeux creusés et un teint plus pâle que jamais.

— Ça ne va pas, bébé ?

— Austin… Je crois que… j’ai un problème…

Elle se retourne vers moi et je vois des taches rouges sous ses yeux, sur ses joues. Ça, ce ne sont pas mes marques. Je ne lui aurais pas suçoté la peau si fort, et surtout pas à cet endroit.

Elle me montre ses deux bras. Ils sont couverts de plaques qui sont en train de prendre une couleur rouge sang.

— Merde… C’est quoi, ça ?

— … Je ne sais pas…

Elle étouffe un sanglot, ses yeux sont paniqués.

— Mais non, ne pleure pas, c’est peut-être une simple allergie. Qu’est-ce qu’on a mangé, hier soir, déjà ?

— Des ravioles au fromage et de la charcuterie.

— Austiiiinnnnnn !

Le cri perçant de Sacha me fait sursauter. Je me retourne au moment où il passe la porte de la salle de bain, encore à moitié endormi dans son pyjama. Il crie en sautant sur place.

— Quoi ? Pourquoi tu hurles comme ça ?

— Ça gratte…

Il se frotte les bras, le ventre et le dos et saute sur place en commençant à pleurer.

Je l’attrape, le soulève pour le mettre debout sur le meuble de la salle de bain et soulever son pyjama.

— Ok… c’est quoi cette merde ?

Il a les mêmes marques que Lexie. Putain !

Lexie et moi avons la même pensée.

— On va aux urgences. Maintenant.

Elle file se changer et moi j’habille Sacha.

Tout ce que j’espère, c’est que ce n’est pas grave. La peur me tord les entrailles, mais je ne leur montre pas. Je ne peux déjà pas supporter de voir Lexie malade, mais il est inconcevable qu’il arrive quoi que ce soit à Sacha.

Commander You Kill Me Baby