Quand j’étais à l’école primaire, ma meilleure amie, Alison Kim, était passionnée de chevaux. C’était la férue de chevaux, vous voyez le genre. Elle prenait des leçons d’équitation, arrivait à l’école en santiags et exhalait en permanence une légère odeur de foin. Ce qui n’est pas nécessairement désagréable, mais qui sortait clairement du lot dans mon école primaire, Middleton Elementary. Les murs de sa chambre étaient couverts de posters de chevaux ; ses vêtements avaient toujours quelque chose à voir avec l’équitation, elle troquait des cartes et des figurines. Cette fille s’impliquait dans sa passion et on pouvait toujours compter sur elle pour énumérer des informations équestres ou répondre à des questions relatives aux équidés.
Tu savais que les chevaux commencent à courir à peine six heures après leur naissance ? Nan.
Et leurs dents, tu savais que les dents des chevaux occupent plus d’espace dans leur tête que leur cerveau ? Non plus.
La plupart des petites filles se découvrent une passion à un moment donné et on ne la remet en général jamais en question. Chiots : classique. Les princesses sont également fréquemment idolâtrées. On peut aussi s’attendre à une obsession pour les boys band. Supplier ses parents de vous acheter un poney ou une licorne est normal.
Je ne pense pas avoir été un jour normale. Moi ? J’étais fanatique de tueurs en série.
Plus spécifiquement, j’étais passionnée par l’existence des tueuses en série. Il suffit d’entendre l’expression meurtre en série pour imaginer un homme. Ce n’est pas surprenant – soyons réalistes, les hommes sont responsables d’au moins quatre-vingt-douze pour cent du mal dans le monde. Pendant des siècles, les femmes ont été socialement programmées pour être des nourrices, après tout – les protectrices, l’incarnation de la maternité. Une femme qui prend une vie au lieu de la donner, c’est instinctivement choquant.
Cette fascination particulière a commencé quand j’ai interprété le rôle de Lizzie Borden au théâtre, en cinquième. Une comédie musicale originale – née de l’imagination de notre prof, excentrique, c’est peu de le dire – dont j’avais obtenu le rôle principal. Auparavant, le concept de meurtre était flou dans ma tête. Mais, enfant très studieuse, j’ai englouti tout ce que je pouvais au sujet de Lizzie Borden, les meurtres macabres à la hache, le procès spectaculaire, l’acquittement. Le fait que, à ce jour, les meurtres restent irrésolus a suffi à me faire cogiter : qu’est-ce qui, dans le cerveau masculin, le rend non seulement plus agressif en général mais aussi plus enclin aux meurtres en série – et qu’est-ce qui fait basculer une femme ? C’est pourquoi, adolescente, j’ai lu tous les livres qui me passaient sous la main, vu toutes les séries criminelles et les thrillers. C’est aussi pourquoi j’enseigne la criminologie à l’Université de Californie à Santa Barbara et travaille actuellement sur mon propre livre, au sujet de la femme qui m’a subjuguée pendant ma jeunesse.
C’est probablement aussi pourquoi je m’enivre avec mes quatre meilleurs amis, strictement platoniques, au lieu de trinquer avec un homme sur lequel j’aurais jeté mon dévolu.
Aucun mec n’a envie d’entendre « j’ai écrit une thèse sur le déterminisme de genre chez les meurtriers en série » en réponse à la question Parle-moi de toi lors du premier rendez-vous.
– Millie.
– Mills ?
La voix d’Ed attire mon attention, puis celle de Reid.
– Ouais ?
Reid Campbell – l’un des meilleurs amis strictement platoniques susmentionnés, la raison de notre célébration ce soir, un homme dont les gènes ont décidé de lui accorder injustement autant d’intellect que de beauté – me sourit de l’autre côté de la table.
– Vas-tu finir par choisir ton pion ou bayer aux corneilles toute la nuit ?
Il attend toujours, souriant. Je remarque seulement maintenant le plateau de jeu sur la table et les faux billets qu’il distribue.
Apparemment, pendant que je regardais dans le vide, j’ai accepté par inadvertance de jouer au Monopoly.
– Pouah. Les mecs. Encore ?
Reid, qui étrangement tient toujours la banque, lève des yeux azur faussement offensés vers moi.
– Allez. Ne fais pas semblant, tu adores jouer. Être propriétaire de la rue de la Paix et de l’avenue des Champs-Élysées te procure toujours une joie obscène.
– J’adorais le Monopoly quand j’avais dix ans. Il y a deux ans, j’ai plus ou moins apprécié son retour dans ma vie. Mais pourquoi continuerait-on à jouer alors que nos parties se terminent toujours de la même manière ?
– Que veux-tu dire par là ?
Ed – ou Stephen Edward D’Onofrio ! si vous êtes sa mère – tire une chaise à côté de moi. Ed a pour cheveux une masse de boucles auburn qui lui donnent l’air de sortir du lit ou d’être tellement fatigué qu’il devrait y retourner.
– Pour commencer, Reid choisit toujours le chapeau, toi la voiture, Alex le bateau, Chris la chaussure et moi le chien. Tu iras aux toilettes une vingtaine de fois, juste avant ton tour pour nous faire attendre. Chris épargnera tout son argent et s’énervera parce qu’il tombera sans arrêt sur les hôtels d’Alex. Reid achètera seulement les compagnies de service public, mais s’en tirera quand même en nous mettant tous sur la paille et je m’ennuierai à mourir, avant de jeter l’éponge six heures après le début d’une torture interminable.
– C’est faux, réplique Ed. La dernière fois, j’ai abandonné et Chris a racheté tous les terrains orange pour se venger du gâteau d’anniversaire subtil en forme de coq offert par Alex.
– Mec, quel incroyable gâteau ! s’exclame Alex, ses yeux noirs baissés, en riant dans son verre. Je ne regrette rien, même après deux semaines de bières salées. Merci, Chris.
– Plus incroyable encore, renchérit Chris, le fait que tu n’aies jamais eu de soupçon, même après la quatrième fois.
Comme à son habitude, Reid ne se laisse pas distraire si facilement de ses objectifs. Il continue à trier les cartes des terrains en élevant la voix :
– Les règles étaient très claires ce soir : c’est ma fête, donc c’est moi qui choisis.
Nous grognons à l’unisson parce qu’il n’a pas tort. Reid et Ed bossent tous les deux dans le département de neurosciences – aussi à l’UCSB (l’Université de Californie à Santa Barbara) –, mais alors qu’Ed est chercheur post-doctorant dans le labo de Reid, Reid vient d’obtenir un poste de professeur titulaire. Ladite titularisation explique à la fois pourquoi je porte une robe et un chapeau pointu, et l’invasion du salon de Chris par des banderoles en papier crépon.
Chris prend toujours le parti de Reid ; il rassemble les pions, mais pas pour les ranger, pour trouver un compromis.
– On peut innover. Je prendrai le chien, Mills.
– Je crois que tu n’as pas compris où je voulais en venir, Christopher.
Quatre paires d’yeux se fixent sur moi, m’exhortant à baisser les armes.
– Bon, d’accord.
Résignée, je me lève et me dirige vers la cuisine pour aller chercher une autre bouteille de vin.
~
Une heure plus tard, j’ai perdu le compte de tous les faux billets que j’ai cédés à Reid et du nombre de verres qu’Alex m’a servis. Alex est professeur de biochimie, ce qui explique que je peux toujours compter sur lui pour m’enivrer. Eh oui, je suis ivre. Je ne sais pas pourquoi je me plaignais : le Monopoly, c’est génial !
Chris bat les cartes de la Caisse de Communauté et les repose sur le plateau de jeu.
– Ed, tu vois toujours cette rousse ?
Chris a vraiment une excellente mémoire. Entre Alex et Ed, le stock d’anecdotes désopilantes sur leurs conquêtes féminines est inépuisable. Venant d’Alex, je comprends. Il est grand, mat de peau, espiègle, et même s’il est né à Huntington Beach, il a passé tous les étés de son enfance dans sa famille en Équateur, d’où il tire un accent qui fait chavirer les femmes. Il a également le chic de ne jamais entamer de relation sérieuse et revoit rarement une conquête après lui avoir appelé un taxi au petit matin.
Ed est… l’antithèse d’Alex. Ne vous méprenez pas, il est loin d’être désagréable à regarder et possède l’impressionnante masse de cheveux à laquelle j’ai déjà fait allusion. Mais il tient plus de l’ado attardé que de l’homme viril. Dans son frigo, il y a du ketchup et des cannettes de soda Mountain Dew. Dans son salon, les flippers ont remplacé les meubles. Et pourtant, il a plus de succès auprès du sexe opposé que Reid, Chris et moi combinés.
Même si faire mieux que nous n’est pas si compliqué, après tout.
Reid est un bourreau de travail. Chris est canon et plein de qualités, mentor de plusieurs chimistes afro-américains à la fac, mais il est aussi pointilleux que sérieux, et travaille le même nombre effroyable d’heures que Reid. Et moi ? Honnêtement, c’est peut-être seulement de la paresse.
Alex compte les cases et se prépare à lancer les dés.
– Tu parles de la fille au bandeau de pirate ?
Ok, ce détail me rappelle quelque chose.
Ed ne semble pas trouver ça drôle.
– Elle n’avait pas de bandeau de pirate.
Je m’immisce :
– Maintenant que vous le dites, je m’en souviens aussi. Je me rappelle clairement avoir vu un bandeau sur un œil. (Je désigne le plateau et la rangée d’hôtels qui s’y trouve). PS, c’est ton tour et si tu fais autre chose qu’un deux – qui t’enverra en prison –, tu es fini.
– Marchands de sommeil, marmonne Ed en jetant les dés.
Je ne sais pas comment, mais il parvient – miraculeusement – à faire un deux, et lève un poing victorieux, avant de faire avancer sa petite voiture jusqu’à la case Prison, un répit momentané face aux rangées interminables d’hôtels d’Alex.
– Ce n’était pas un bandeau de pirate, c’était un petit pansement, maugrée-t-il. Nous étions en plein… marivaudage et la situation a un peu dérapé.
– Un peu dérapé dans le genre…
Je laisse traîner ma phrase en décidant que je préfère peut-être m’épargner les détails.
Reid glousse, son verre à la main. Ed n’ajoute rien. Son visage redevient sérieux et le silence se fait tandis que nous essayons tous de deviner comment un tel accident a pu avoir lieu.
– Attends. Sérieusement ?
J’organise mes maigres réserves d’argent.
– Il a bien dit que c’était un petit pansement.
Reid s’écroule de rire. Sans doute parce que la moitié de mon sang a été changée en vin, je me souviens soudain que la première chose que j’ai remarquée chez lui, c’était son sourire.
Il y a seulement un peu plus de deux ans, Dustin, mon copain de l’époque et président du département de criminologie, m’a présenté Reid. (Oui, vous avez bien compris, mon ex est maintenant mon supérieur hiérarchique, la raison pour laquelle je ne mélangerai plus jamais travail et plaisir). On assistait à l’inauguration d’un nouveau bâtiment d’informatique, et Dustin l’avait taquiné en disant que c’était la première fois qu’il le voyait hors de son labo. Reid venait d’arriver à l’université et de rompre avec sa fiancée qui lui reprochait de trop travailler. Je l’ignorais à l’époque, mais pas Dustin. Reid a ri à la plaisanterie et a continué à sourire chaleureusement. Nous nous sommes serré la main. J’ai eu un bref coup de cœur pour son sourire pétillant, immuable malgré les piques de Dustin.
Pour des raisons sans lien avec Reid, j’ai quitté Dustin quelques mois plus tard. Mais comme il s’est avéré qu’en fin de compte, personne n’appréciait Dustin, j’ai pu conserver Reid et ses amis. (Chris et Reid ont fait leur master ensemble, Ed a rejoint le labo de Reid en post-doc juste après avoir été embauché et Alex a partagé un espace du labo avec Chris à leur arrivée conjointe à l’UCSB.) Je suis l’unique non-scientifique du groupe, mais au travail et en dehors, ces mecs sont devenus mon adorable petite famille de cœur.
– Bon, reprend Chris, ton silence me fait dire que tu ne la vois plus.
Ed lance à nouveau les dés, heureux de ne pas faire de double et de rester à l’abri en prison.
– En effet.
– Alors qui vas-tu inviter au dîner de la remise des diplômes ?
Reid relève les yeux du plateau pour regarder Chris.
– Est-il vraiment nécessaire d’y réfléchir dès maintenant ? Le dîner est en juin. Nous sommes seulement en mars.
Chris sourit et nous toise tour à tour, goguenard.
– Je devine qu’aucun de vous n’a entendu la rumeur sur l’intervenant de cette année.
Reid le dévisage.
– Il va me donner envie de venir accompagné ?
Chris se lève pour aller chercher une autre bière dans la cuisine.
– Apparemment, Obama prononcera le discours d’ouverture, en plus d’une allocution pendant le dîner du doyen. Smokings et robes longues, cavaliers, et tout le tintouin.
Nous restons tous bouche bée en même temps.
– Le président de l’université est censé l’annoncer cette semaine, ajoute-t-il.
– Je n’arrive pas à y croire. (Ed le scrute, les yeux écarquillés derrière ses épaisses lunettes). Oh. Je ne risque pas de passer mon tour cette année.
Reid glousse en ramassant les dés.
– On est censés y aller tous les ans.
– L’année dernière, c’est Gilbert Gottfried qui a fait le discours. Je ne crois pas avoir manqué quoi que ce soit.
– Je voulais vous en parler, reprend Chris. On est tous célibataires…
Il se tait en jetant un coup d’œil à Ed qui tente de faire tenir un bouchon de liège en équilibre sur son nez et compte pour savoir combien de secondes il y parvient.
– Observe la maîtrise, Millie. (Ed étire les bras). Dix secondes, sans les mains.
Chris se tourne vers nous.
– … sans la moindre perspective sérieuse, poursuit-il lentement. Avec qui irons-nous ?
Ed se redresse et le bouchon lui tombe dans la paume.
– Pourquoi ne pourrions-nous pas y aller tous ensemble ?
– Parce que ce n’est pas un bal de promo.
– On ne peut pas y aller seul, et basta ?
– En réalité si, explique Chris, mais il va y avoir beaucoup de tralala, des danses, entre autres trucs de couple. Si tu y vas seul, tu auras l’air d’un ours solitaire. Si on y va en groupe, on sera une table de mecs – avec Mills – assis là, gênés. On devrait se dégoter des cavalières.
Reid lance les dés et commence à compter ses cases.
– Je prends Millie.
– Pardon ?
– Hé ! (Détourné de son argumentation initiale, Chris se tourne vers Reid, les sourcils froncés). Si on y va ensemble, pourquoi la choisirais-tu ?
Reid hausse les épaules et hoche vaguement la tête dans ma direction.
– La robe de soirée lui va vachement mieux qu’à toi.
Ed semble sincèrement insulté.
– Tu ne m’as de toute évidence jamais vu sur mon trente-et-un.
– On est allés au Dîner du Doyen ensemble l’année dernière, rappelle Chris à Reid. On s’est éclatés.
Après avoir avancé son pion, Reid lâche les dés au centre du plateau et soulève son verre.
– Oui. J’essaie simplement de ne pas faire de préférence.
Ed donne une pichenette sur l’épaule de Chris.
– Je suis plus le type de Reid. Tu te souviens du barman mignon qui lui avait tapé dans l’œil ? Avec les cheveux frisés ? (Il désigne ostensiblement sa masse de boucles). Ose affirmer qu’on ne serait pas magnifiques ensemble.
– Je ne peux pas rivaliser. (Alex pose un pied sur la table et roule le revers de son jean en contractant son mollet). Reid aime les belles jambes. Regarde ces cannes. Je pourrais te faire tourbillonner sur la piste de danse toute la nuit.
Reid les observe, perplexe.
– Enfin, techniquement, mon type, c’est Millie. C’est une fille, etc.
Je demande :
– Est-ce que quelqu'un s’étonne qu’un groupe d’hommes hétérosexuels se batte pour Reid et pas pour moi ?
Chris, Alex et Ed semblent peser leurs mots avant de répondre à l’unisson : « Non ».
Je lève mon verre de vin et prends une longue gorgée.
– Bon, d’accord.
Reid finit par se lever avec son verre vide.
– Millie, tu veux quelque chose ?
– En dehors d’astuces sur la manière de développer mes aptitudes de séduction féminine ? Ça va. Merci.
Dans la cuisine, Reid rince son verre, ouvre le lave-vaisselle et le range à l’intérieur. Je l’ai vu faire des centaines de fois et j’ignore si je devrais attribuer cette pensée à la discussion sur le célibat, au vin, ou si Reid est juste particulièrement beau avec sa chemise gris foncé, mais ce soir, je ne détourne pas les yeux.
Je le regarde s’affairer, ranger les assiettes qui traînent près de l’évier. Les muscles de son dos se contractent lorsqu’il se penche pour caresser l’imposante tête de Maisie, le labrador argenté de Chris.
J’ai suffisamment bu pour me sentir toute molle, une chaleur douce m’a envahie. Je suis un peu dans les vapes, juste assez pour bloquer ma tendance à tout suranalyser. À la place, je me mets à divaguer : observer Reid s’adonner à des activités sans intérêt comme remplir un lave-vaisselle ou caresser un chien me semble soudain absolument fascinant.
Une fois la cuisine ordonnée, Reid s’étire les bras par-dessus la tête. Mes yeux sont devenus des sortes d’aimants qui suivent les lignes de son corps, le tissu de sa chemise qui se colle à son torse et moule la courbe de ses biceps. J’entrevois un morceau de son ventre.
Reid a un très joli abdomen.
Je parie qu’il serait encore plus beau sans cette chemise…
Agenouillé sur moi, les bras tendus, les mains crispées sur ma tête de lit pendant qu’il…
Euh.
Enfin… OUPS. D’où est-ce que ça sort ?
Je fixe mon attention sur la table et tarde cinq longues secondes avant d’oser bouger. Je viens d’avoir un fantasme sexuel au sujet de Reid. Reid. Reid Campbell, qui encourage toujours les outsiders lors d’un quelconque événement sportif, qui prétend apprécier la musique classique pour que Chris n’aille pas seul aux symphonies, qui achète religieusement une nouvelle paire de baskets pour courir tous les six mois.
Lorsqu’il revient à la table et s’assoit à côté de moi, si les battements de mon cœur sont une indication, je ne dois pas avoir l’air très disposée à reprendre notre fascinante partie de Monopoly.
Je cligne des yeux, le regard posé sur mon verre de vin vide, prête à désigner du doigt un coupable. Combien en ai-je bu ? Deux ? Trois ? Plus ? Je ne suis pas ivre morte, mais je ne suis pas non plus précisément sobre.
Je suis pompette, ce qui me donne en général envie de faire des câlins à tout le monde, pas de baisser le pantalon de mon meilleur ami.
AARGH !
Meilleur ami strictement platonique. Meilleur strictement platonique ami.
Le rouge me monte aux joues et je me lève si rapidement de ma chaise qu’elle vacille. Quatre paires d’yeux curieux se posent sur moi, je me dirige droit sur les toilettes.
– Millie ? m’interpelle Reid dans mon dos. Ça va ?
– Envie de faire pipi !
Je crie par-dessus mon épaule et m’arrête seulement lorsque je suis en sécurité dans les toilettes, la porte bien fermée derrière moi.
En temps normal, être confrontée à l’un des douze coqs que nous avons offerts à Chris en deux ans me fait rire. Mais en ce moment même ? Pas tant que ça. Cette histoire de coq a commencé comme un gag – Chris a admiré un énorme portrait de coq chez la mère d’Ed, qu’elle lui a immédiatement offert –, donc bien sûr, à chacun de ses anniversaires, à la Saint-Valentin et à Noël, nous lui offrons un cadeau issu de l’univers de la basse-cour. Mais même la vue de l’un de mes préférés – une affiche DEBOUT LÀ-DEDANS BANDE DE COQUELETS que je lui ai offerte pour son dernier anniversaire – me fait penser aux coqs, et donc à des mâles reproducteurs, ce qui me remémore le fantasme de Reid nu, sur moi, dans mon lit.
Je m’agrippe au lavabo et me penche pour examiner mon reflet. D’accord… je n’ai pas l’air très vaillante. J’ai les joues rouges, les yeux un peu vitreux. Mon eye-liner et mon mascara ont convergé dans une coulure noire sous les yeux.
Penché, les bras tendus, les doigts crispés sur la tête de lit…
J’ouvre l’eau du robinet aussi fort que je peux et me rafraîchis le visage. Le froid aide un peu, me permet de m’éclaircir les idées et de réfléchir plus posément.
Ce n’est pas que Reid ne puisse pas me plaire sexuellement – il est beau, brillant et à mourir de rire –, mais c’est mon meilleur ami. Mon Reid. Le type qui m’a tenu la main pendant qu’on me dévitalisait les dents en urgence et qui s’est déguisé en Kylo Ren pour aller voir Le dernier Jedi le jour de mes vingt-neuf ans. Je suis proche des autres mecs, mais pour une raison qui m’échappe, c’est différent avec Reid. Pas pour cette raison, mais on est… plus proches. Peut-être parce qu’il sait toujours me trouver dans la section crime de la bibliothèque. Peut-être parce qu’il possède un niveau d’intuition jamais égalé par un ami. Peut-être parce que nous pouvons garder le silence et ne jamais nous sentir mal à l’aise.
Je ferme les yeux. Pas facile de vivre une crise existentielle en état d’ivresse. Une part de moi pense que je devrais prendre mes jambes à mon cou, l’autre que nous pourrions régler le souci par… un câlin.
On frappe à la porte. Je l’entrouvre à peine : c’est Reid, joliment échevelé, un torchon sur l’épaule.
Bon sang.
Je me redresse, espérant avoir l’air plus sobre que je ne le suis en réalité.
– Salut.
– Tout va bien ?
– Carrément.
Je m’appuie contre le chambranle de la porte dans une tentative pour paraître décontractée. Ce qui a pour conséquence de rapprocher mon visage du sien et je me sens encore plus ivre.
– Tu sais l’effet que le vin a sur moi. Je suis une vraie éponge.
Je suis une imbécile, mais avant que j’aie le temps de regretter mes paroles, il glousse. Pourquoi rit-il toujours à mes plaisanteries stupides ?
– Ed et Alex s’en vont, dit-il tranquillement. Tu n’es pas en état de conduire. Je te ramène ?
– Je ne suis pas bourrée. (Cette affirmation aurait plus de poids si je n’avais pas immédiatement eu le hoquet après). Et je ne comptais pas prendre la voiture.
Il incline la tête, une mèche brune et soyeuse lui tombe sur le front. Mon cerveau choisit immédiatement son camp : un câlin plutôt que la fuite.
– On y va, lance-t-il. Je te laisse choisir la musique sur le trajet.
~
Le climat est ensoleillé et parfait à Santa Barbara au moins trois cents jours par an. La majorité de nos maigres précipitations tombe au début du printemps, et tandis que nous roulons sur la Highway 1 à minuit – les fenêtres ouvertes, Arcade Fire hurlant à la radio –, on dirait qu’un orage se prépare.
Je tourne la tête pour le regarder et demande :
– Tu as passé une bonne soirée ?
Il me faut quelques secondes pour retrouver une vision claire. L’habitacle de la voiture est plongé dans l’obscurité, son profil se dessine dans la pénombre.
– Oui.
– Tu te sens différent ?
Il pivote vers moi et sourit, le bout de ses cils illuminé par la lumière du tableau de bord.
– Quoi ? Parce que j’ai été titularisé ?
– Ouais. Savoir que tu peux seulement être viré pour incompétence ou inconduite flagrante.
Il s’esclaffe.
– Tu veux bien définir inconduite flagrante ?
– Harcèlement sexuel, meurtre, détournement de fonds…
– On dirait presque que tu me mets au défi. (Il me prend la main et serre mes doigts entre les siens). Tu as froid ? Je peux allumer les sièges chauffants si tu veux laisser les fenêtres ouvertes pour prendre l’air.
– Tout va bien. (Il ne me lâche pas la main pour autant). Avec peut-être un peu moins de temps au labo et un peu plus dans des salles de classe, tu pourras t’économiser un peu. Avoir plus de temps pour toi.
– Pour faire quoi ? Jouer au flipper avec Ed ?
– Je ne sais pas… Pour explorer de nouveaux hobbies, te trouver, rencontrer quelqu’un. Tu travailles trop.
Il se tourne à nouveau vers moi avec un sourire adorable.
– Pourquoi aurais-je envie de rencontrer quelqu’un si tu m’accompagnes déjà au dîner ?
Je lève les yeux au ciel.
– Je parlais en général.
– Minute papillon. Quand es-tu sortie avec quelqu'un qui n’était pas l’un de nous pour la dernière fois ?
Je fouille dans ma mémoire, repense à ces cinq… six derniers mois et ne peux m’empêcher de me remémorer la terre en friche qu’est devenue ma vie sexuelle. J’ai été stressée par des délais impossibles, des problèmes de famille, et mon cerveau cherche simplement une issue de secours, une libération. Pas étonnant que je me sois mise à fantasmer sur Reid.
Face à mon absence de réponse, il fait à nouveau pression sur mes doigts.
– Tu as besoin que je te sorte un calendrier ? Il doit y avoir un boulier dans mon bureau.
– Sans doute Carson ? Le barista qui travaillait chez Cajé.
Il plisse les yeux dans l’obscurité, le visage pensif.
– N’était-il pas plus jeune que toi ?
– De quelques années.
Je hausse les épaules.
– Sept ans, rectifie-t-il. Et il avait un anneau au nez.
Ce souvenir est d’une précision assez impressionnante, Reid.
– Les mecs sortent tout le temps avec des femmes plus jeunes et on les félicite. Pourquoi sortir avec un type légèrement plus jeune que moi me transformerait-il automatiquement en cougar ?
Il lève une main.
– Je ne te traite pas de cougar. D’ailleurs, si j’avais eu la possibilité, à vingt et un ans, de coucher avec une fille de vingt-huit ans aussi superbe que toi, je n’aurais pas hésité une seule seconde.
Attendez, quoi ?
Un frisson me hérisse la peau, et il le remarque. Il m’effleure le bras.
– Tu as la chair de poule.
– Oh. (Je referme la fenêtre). Il fait plus froid que je ne le pensais.
– Et donc que s’est-il passé ? Entre toi et…
– Carson ? Rien du tout. Il avait vingt et un ans. Il était improbable que cette relation débouche sur quelque chose.
– Tu veux dire que c’était juste du sexe.
Je remercie l’obscurité qui nous entoure de dissimuler mon malaise et la subite rougeur de mes joues.
– Mon tonus musculaire est à son apogée.
Reid laisse échapper un rire scandalisé.
– Pour de vrai. Et toi ? C’était quand la dernière fois que tu… tu sais ?
– Hum. (Il pianote sur le volant). Ma dernière, tu sais. Je ne suis pas sûr. Tu me connais aussi bien que moi-même. Selon toi ?
– Tu travailles tout le temps.
– D’ailleurs, curieuse coïncidence… renchérit-il avec un sourire. C’est sans doute pour ça que j’ai été titularisé.
J’acquiesce d’un petit hochement de tête. Il bifurque sur State Street qui, à cette heure de la nuit, est le trajet le plus court jusque chez moi. J’observe les lampadaires défiler un à un par la vitre.
Je me mets à réfléchir à voix haute :
– Est-ce que ça fait de nous des canards boiteux ? Le fait d’être célibataires depuis si longtemps, et que personne dans notre groupe n’ait une vraie relation ? Ed et Alex fréquentent plus de gens que nous, Chris aussi, mais ça ne va jamais nulle part. Est-ce qu’on se conforte mutuellement dans un destin commun, mourir seuls ? Sommes-nous en train de nous transformer en secte de célibataires ?
– On se conforte clairement dans cette situation.
– Mais devrions-nous nous en inquiéter ? L’un des nombreux, si nombreux problèmes que j’avais avec Dustin, c’était qu’il cherchait une gentille petite femme. J’ignore si je possède ce gène et je n’ai eu aucune longue relation depuis notre séparation. Toi, depuis Isla. Sommes-nous des cas désespérés ?
– Au contraire, dit-il en se garant dans mon allée. (Il plante son regard dans le mien). Laisse-moi te poser une question. Tiens-tu à ta carrière ?
Je n’ai même pas besoin d’une minute de réflexion.
– Plus que tout au monde.
– Eh bien, voilà ta réponse. Et même si on se conforte dans notre situation, quel est le problème ? Tu ne mourras jamais seule, parce que je suis là.
L’habitacle devient soudain silencieux et je sais que je devrais sortir de la voiture. Je devrais me laver le visage, enfiler mon pyjama et me mettre au lit.
Je devrais laisser Reid rentrer chez lui.
Le problème, c’est que je n’en ai aucune envie.
– Viens, dis-je en ouvrant la portière et en sortant de la voiture.
L’air est aussi frais que salé, mais ça ne suffit pas à calmer la frénésie qui a pris possession de moi, ou à m’obliger à revenir à la raison.
Je n’ai aucune idée de ce que je mijote ou de ce qui se passera entre nous, mais lorsque j’atteins mon porche et sors mes clés, Reid est juste derrière moi.
Je n’ai jamais couché avec une amie avant… mais est-ce de cela qu’il s’agit ?
Bon sang, on dirait bien que oui. Millie est égale à elle-même et plus si affinités… Elle me sourit timidement tandis que ses yeux vagabondent bien plus que d’ordinaire, elle a entrelacé ses doigts avec les miens quand je lui ai pris la main dans la voiture…
C’est un peu comme entrouvrir une fenêtre avant que le vent ne s’y engouffre et la fasse claquer. Que se passera-t-il si Millie flirte effectivement avec moi ? Devrai-je lui répondre ? C’est un moment très Usual Suspects – je ne connaissais pas ce trait de personnalité de Millie.
Sommes-nous sur le point de nous jeter à l’eau ?
Je fixe ouvertement ses fesses lorsqu’elle ouvre le réfrigérateur pour prendre des cannettes d’eau pétillante. La manière dont je l’observe est presque clinique.
Objectivement, c’est un cul fantastique.
Mais il s’agit du cul de Millie. Au début – brièvement –, je l’ai vue comme la Millie de Dustin. Plus tard – et tant mieux –, elle est devenue Millie l’acolyte, notre Millie. Maintenant, il semblerait qu’elle se soit transformée en Millie Ivre et Enjôleuse.
Bien sûr, j’ai déjà regardé ses fesses. Je l’ai déjà observée de la tête aux pieds, franchement, mais je l’ai fait malgré moi, comme les hommes regardent les femmes – presque sans réaliser qu’ils sont en train de le faire. Occasionnellement aussi, presque automatiquement : en l’aidant à enlever son manteau, en lui tenant sa bière pour qu’elle puisse retirer un pull, en l’observant devant une cabine d’essayage lorsqu’elle me demande si elle devrait ou non acheter tel jean. Quoi qu’il en soit, et aussi jolie qu’elle soit objectivement, Millie Morris a toujours été hors de portée.
Mais j’estime surtout qu’elle est hors de portée parce qu’elle n’a jamais exprimé un intérêt particulier pour l’un de nous.
Elle s’éclaircit la gorge et mon attention revient sur son visage. Honnêtement, c’est sans doute ce qu’elle a de plus beau : ses immenses yeux verts pétillants, sa bouche sarcastique, ses taches de rousseur parsemées sur le nez et les joues. Elle est ravissante, certes, mais je ne suis jamais demandé si elle était sexy avant ce soir.
– J’étais en train de regarder tes fesses.
– Et ?
Elle s’appuie contre le plan de travail et m’adresse un sourire qui m’étonne d’elle. Quand elle sourit, c’est à pleines dents, joyeusement. Ou alors elle s’étouffe de rire en tentant d’avaler une gorgée de bière. Ses autres sourires sont en coin, lorsqu’elle s’amuse de nos tentatives pour la dérider. Plus rarement, son sourire est triomphant, quand elle nous envoie sur les roses. Ceux-là sont rares pour l’unique raison qu’elle dévoile très peu ses cartes.
Mais là, on dirait qu’elle me confie un secret. Elle semble avoir la même impression que moi, parce qu’elle se mordille la lèvre inférieure, comme pour se contenir.
Je crois qu’elle attend mon avis sur ses fesses, mais il est sans doute évident, vu mon expression, que je lui accorde la note maximale.
– Que t’arrive-t-il ce soir ?
Elle hausse ses épaules nues.
– Je suis pompette.
J’éclate de rire.
– « Pompette » ? Je serais étonné qu’il reste une seule goutte de vin chez Chris.
– Ne me rejette pas la faute dessus. C’est toi qui as été titularisé. Pour couronner le tout, Ed a descendu deux bouteilles à lui seul et c’est Alex qui me servait.
– 90% du sang d’Ed est constitué d’alcool.
– Et 10% de poussière de Cheetos.
Elle s’approche de moi avec deux verres d’eau. Sa démarche est… aguicheuse. Et tellement théâtrale que je commence à glousser. Nous nous connaissons depuis plus de deux ans et je n’aurais jamais deviné qu’elle pouvait être joueuse et séductrice. Mais mon rire s’étouffe dans ma gorge lorsqu’elle abandonne les verres sur la table à côté de moi et pose les mains sur mon torse.
L’excitation commence à crépiter sous ma peau.
– Mills.
– Reids.
Les mots s’échappent de ma gorge serrée :
– Qu’est-ce que tu fais ?
– Je te séduis. (Elle écarte délicatement une mèche auburn de son visage). Ça marche ?
Je n’ai jamais eu la moindre raison de mesurer mes propos avec elle auparavant, et la réponse m’échappe, sans filtre :
– Oui. Mais pourquoi ?
Elle hausse encore les épaules.
– Ça fait un moment que j’ai pas baisé. Tu remplissais le lave-vaisselle tout à l’heure.
– Le lave-vaisselle ?
– C’était sexy. Et tu t’es étiré. J’ai entrevu des abdominaux et une ligne de poils.
– Ah, et bien sûr, ceci explique cela.
Elle grogne et monte sur la pointe des pieds pour blottir son nez dans mon cou. Elle inspire profondément.
– J’aime ton odeur.
Je me fige. À ces mots, la pièce se met à tournoyer autour de moi. Encore une fois : Millie. Il s’agit de Millie Morris. Pitre. Collègue. Voleuse de mon pull Stanford. Une femme qui a exactement les mêmes goûts en matière de bière que moi. Celle qui fait le lien dans notre groupe d’amis.
– Ah bon ?
– Ouais. (La chaleur monte quand sa bouche touche ma peau.) Je la connais bien, mais je n’avais pas réalisé à quel point elle est agréable.
Alors que sa bouche remonte dans mon cou, je suis renvoyé deux ans en arrière, quand Dustin l’avait invitée à boire un verre avec nous. Chris, Alex et moi pensions alors que c’était un chic type, peut-être un collègue avec qui on pourrait bien s’entendre. Le monde universitaire est hostile, faire partie d’une communauté de personnes comprenant les contraintes horaires et la pression aide. Mais une demi-heure plus tard, Dustin jouait aux fléchettes avec des surfeurs et c’est Millie qui enchaînait les Jäger bombs et autres blagues salaces avec nous. À partir de ce soir-là, Millie semblait plus des nôtres que des siens. Selon la version officielle, ils ont rompu à cause de leur différence de points de vue et de la routine – aussi parce que c’était un enfoiré –, mais je me demande parfois à quel point notre amitié a contribué à cette séparation.
Cette amitié arrivait à point nommé. Je ruminais toujours après la rupture de nos fiançailles par Isla et commençais à peine à constituer mon clan amical à l’université. Chris, Alex, Ed et moi passions du temps ensemble, mais c’était spontané, rien d’organisé ou de planifié. Lorsque Millie a rejoint notre petit gang, se voir est devenu le plan par défaut : des barbecues chez Chris par beau temps, matchs de football américain chez Millie le dimanche devant son énorme télé, dans son salon cosy. Soirée jeux de société chez Ed. Private jokes et familiarité croissante. Nous avons pris un rythme. Nous avons construit notre propre communauté. Avant Millie, on se voyait au petit bonheur la chance ; grâce à elle, on déjeune désormais tous les lundis et les mercredis et je suis incapable d’imaginer une semaine sans ces rendez-vous.
Je les aime tous à la folie, putain, mais il n’est pas question de romance. Maintenant, me voilà face à face avec Millie, si proches l’un de l’autre que nos torses se touchent. J’essaie de ne pas penser à ce que les autres en diraient.
Quand je reviens au présent, je comprends pourquoi me raisonner ne sera pas simple ; Millie ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Elle a passé un doigt sous ma ceinture et elle m’effleure le menton du bout des lèvres. C’est le moment de prendre une décision. Tout ce qu’il me reste à faire, c’est de pencher la tête et nous nous embrasserons. Je commence déjà à bander, et la question de savoir s’il s’agit d’une bonne idée ou d’une initiative désastreuse est de plus en plus difficile à trancher.
– Allons-nous le faire ?
Cette fois, je parle à haute voix. Sa respiration contre ma bouche est sucrée par le vin et le bonbon à la pomme qu’elle a pris chez Chris avant de partir.
– J’ai vraiment vraiment envie de sexe ce soir, avoue-t-elle. Plus spécifiquement, de sexe avec toi, mais si ça te met mal à l’aise, pas de problème, tu peux partir, je farfouillerai dans le tiroir du péché dans ma chambre.
Je n’ai pas encore pris de décision, mais j’effleure brièvement ses lèvres des miennes – juste pour voir – et me rends compte que ce n’est pas bizarre, absolument pas. C’est doux et fluide.
– Le tiroir du péché ?
– Sex toys.
– Non. (Je l’embrasse encore.) J’avais compris. Mais… tu en as un tiroir entier ?
– Ce n’est pas un très grand tiroir. (Elle couvre ma bouche de la sienne, plus fermement maintenant, et sourit dans le baiser.) Mais ouais. Il est plein.
Bon sang, ses lèvres sont incroyables, souples, douces, je suis immédiatement accro. En un clin d’œil, Millie, mon amie se transforme en Millie, le canon, et pendant un bref instant, j’espère avec ferveur pouvoir faire machine arrière aussi facilement.
Mais lorsqu’elle glisse les mains sous ma chemise, je souhaite plutôt que le temps s’arrête et que cette nuit ne finisse jamais.
Ses paumes brûlantes me communiquent leur chaleur, sur mon ventre et sur mon torse. Elle me taquine du bout des ongles, des phalanges, parcourant chaque centimètre carré de peau. Ses gémissements vibrent contre mes lèvres, dans ma bouche. Ma chemise disparaît. Elle bataille avec ma ceinture, mes boutons, ma fermeture Éclair, jusqu’à ce que mon jean soit un tas de tissu noir à mes pieds.
Toutes les pensées interdites au sujet des amis se déchaînent – sa manière d’embrasser, ses gémissements, prend-elle les choses en main ? est-elle inventive ? – et je devine à son sourire qu’elle pense la même chose. Quel soulagement de découvrir que nous sommes compatibles sur des aspects inattendus.
J’aime son petit halètement lorsqu’elle plonge la main dans mon boxer et me touche. J’aime le sourire malicieux qui embrasse le mien.
– Reid. Je suis en train de toucher ta bite.
– Je sais.
– Ça me plaît, murmure-t-elle.
– Coïncidence ? À moi aussi.
Elle glousse, sort sa main de mon boxer et me prend par la taille pour m’escorter jusqu’à sa chambre. Elle m’embrasse sur la clavicule, le cou, la joue.
Millie est facile à déshabiller : il suffit de soulever un bout de tissu par-dessus sa tête et la voilà uniquement en sous-vêtements. J’avais toujours suspecté semi-consciemment qu’elle avait une poitrine d’enfer et voilà l’occasion de le confirmer de mes propres yeux, mains et bouche. Je sais qu’elle aime nager, qu’elle mange assez sainement, mais maintenant, je distingue les muscles définis sur ses bras, son ventre, la force de ses cuisses. Ses cheveux sont en désordre, ses lèvres déjà un peu gonflées. Ça fait des mois que je n’ai couché avec personne et je suis momentanément débordé, comme un affamé face à un buffet, ne sachant pas par où commencer.
– Tu réfléchis trop, dit-elle avant de glisser un doigt sous l’élastique de mon boxer. Laisse-toi aller.
J’enroule une mèche de ses cheveux autour de mon index.
– Devrait-on établir des règles de base ?
Millie s’écarte légèrement, le regard lourd de désir.
– Si tu veux.
– J’ai juste l’impression qu’on devrait.
Sa bouche revient dans mon cou.
– OK, premièrement, il faut jouir tous les deux.
Je sursaute et la dévisage.
– Sérieusement ? Est-il utile de le préciser ?
Elle sourit, goguenarde.
– Oh, ce n’est pas si évident, crois-moi.
– Ne t’inquiète pas pour ça. (J’embrasse son sourire.) De mon côté, je voudrais qu’on ne dise rien aux mecs.
Ed est tellement optimiste de nature qu’il serait heureux pour nous, même s’il ne s’agit que d’une nuit sans lendemain. Mais Alex est un petit malin qui n’hésiterait pas à s’en servir contre nous et Chris serait horrifié.
À son tour de paraître surprise.
– Est-il utile de le préciser ?
– Je pense qu’ils seraient jaloux.
– De moi, bien sûr. Tout le monde a clairement envie de coucher avec Reid.
Je glousse.
– Clairement.
– Donc, tu ne le diras pas à Chris ? Tu lui racontes tout.
Elle a raison, mais il ne me soutiendrait pas dans cette décision impulsive. Chris est la personne la plus réfléchie et prudente que je connaisse.
– Je te jure que non.
Elle m’effleure le ventre, puis la ligne de poils au-dessus de mon boxer.
– D’autres règles ?
– J’ai des préservatifs. Mais ils sont dans ma voiture.
– Il y en a dans le tiroir du péché.
J’entends le sourire dans sa voix, mais la mention directe de quelque chose d’aussi physiquement lié à l’acte lui réchauffe la peau.
Il me suffit d’un pincement pour que son soutien-gorge disparaisse et je perds encore plus de vue mon plan de savourer le moment lorsque j’effleure la courbe de ses seins.
– Qu’est-ce qui te plaît ?
– Tout. (Elle ajoute rapidement.) Sauf la sodomie.
– Ouah. (Je m’écarte pour la regarder). Laisse tomber. Si c’est non négociable, alors autant m’en aller tout de suite.
Elle me pince le téton et rit lorsque je laisse échapper un petit cri aigu.
– Je plaisantais.
À ces mots, je fais glisser sa culotte sur ses cuisses.
– Je sais. (Elle m’embrasse l’épaule.) Mais pas moi.
– Ce n’est pas tellement mon truc non plus.
– Vraiment ? demande-t-elle, et j’adore la sincérité avec laquelle elle fouille mon regard. (Je n’ai jamais été aussi proche d’elle et elle ne m’a jamais regardé comme ça, avec la tendresse d’une meilleure amie mêlée à celle d’une amante.) Je pensais que tu aimais tout.
– Quand as-tu émis cette hypothèse ?
Sa main se referme sur moi. Elle commence à me masturber lentement, et mon esprit à se brouiller.
– Tu sais… juste une idée au hasard, sur Reid.
– Quand on était chez Gio la semaine dernière, tu m’as regardé et tu as pensé : « Ouais, je parie qu’il aime la sodomie. »
– Je pense que c’était plutôt pendant que tu mangeais un club sandwich au déjeuner mercredi, plaisante-t-elle.
Je m’esclaffe avant de grogner lorsqu’elle commence à me mordiller le cou.
– Franchement, Ed devrait jeter cette chemise.
– La blanche ? Celle qui laisse voir tous ses poils ?
– Le tissu est trop fin…
Je me penche pour l’embrasser dans le cou, sur l’épaule, puis j’oublie ce que j’allais dire lorsqu’elle m’attire sur son lit, que son sein est dans ma bouche, qu’elle me caresse. Je serais sans doute incapable de me souvenir de mon propre nom si on me posait la question.
– Est-ce bizarre ? je murmure contre sa peau. Pourquoi parle-t-on des mecs pendant que je fais ça ?
– J’aime parler, dit-elle en plongeant sa main libre dans mes cheveux. J’aime te parler pendant que…
Sa voix s’éteint quand je me mets à lui suçoter le cou.
Je m’attends presque à ce que la nuit entière se déroule comme ça, une conversation décontractée comme on en a toujours eu, avec des baisers en plus, des caresses, puis du sexe. Mais quand sa main trouve un certain rythme, quelque chose se meut en moi, qui tient plus de l’instinct que d’une pensée consciente. Je descends sur son corps, elle descend sur le mien, et quand elle me regarde droit dans les yeux en s’empalant sur moi, je me demande pourquoi nous n’avons pas fait ça tous les jours ces deux dernières années.
~
Je quitte Millie vers deux heures, après l’avoir vue s’endormir en étoile, occupant quatre-vingt-dix pour cent du matelas. Je l’embrasse sur la joue en partant ; m’éclipser après seulement une demi-nuit ensemble est peut-être étrange, mais j’estime qu’il serait sans doute encore plus étrange de se réveiller à côté de son meilleur ami nu.
Je n’ai pas beaucoup bu, mais le lendemain matin, j’ai tout de même l’impression d’avoir la gueule de bois. C’est le cocktail typique de soulagement et de léger tournis qui vient toujours après une nuit de sexe intense… mêlé à l’angoisse d’avoir créé un problème avec une amie.
Non que Millie et moi ayons le moindre problème. En réalité, je suis même incapable d’imaginer Millie en colère. Elle n’était pas si soûle que ça, mais elle pourrait s’énerver si elle avait l’impression que j’ai profité d’elle.
Le bureau de Chris se trouve dans le bâtiment juste à côté du mien, et à une porte du kiosque à café le plus proche du campus. Cette proximité signifie qu’il peut se faufiler pour s’acheter un café sans tomber sur quinze collègues dans le couloir, mais aussi que les gens passent constamment lui dire bonjour sur le chemin, interrompant sa journée de travail.
Exactement comme je le fais, en entrant par la porte ouverte.
– Salut.
Pour un professeur de chimie, Chris parvient à faire régner un ordre impressionnant dans son bureau. Il n’y a pas de piles désordonnées de cahiers de labo poussiéreux ou de vieux manuels utilisés comme tables de fortune. Une petite plante orne son bureau, à côté d’un pot à crayons, de quelques modèles moléculaires çà et là, mais – à son image – le bureau de Chris est bien plus ordonné que les nôtres.
Il lève les yeux, retire ses lunettes et les pose à côté de son clavier.
– Salut. Je suppose que vous êtes tous bien rentrés hier soir ?
Je m’attends à cette question, mais sa formulation paraît presque accusatoire, comme s’il savait. La réponse m’échappe, un poil trop enthousiaste :
– Oui, bien sûr !
Il me dévisage encore quelques secondes avant de saisir le mug cartonné que j’ai posé sur son bureau.
– Cool. Merci pour le café.
De nous tous, Chris est le plus intuitif et – parce que nous nous sommes rencontrés en master il y a presque dix ans – celui qui me connaît le mieux. Si ne serait-ce qu’une pensée fugace me traverse à propos d’hier soir, il le verra. Mais c’est peut-être exactement ce qui m’amène. Millie et moi venons de donner un coup de maillet dans notre routine tranquille, créant une ligne de fracture qui sommeillera ou fera tout exploser. Je dois m’assurer de réussir à me comporter normalement… normalement, ce qui signifie faire semblant que la ligne de fracture ne se trouve pas juste sous mes pieds.
– Ça va ? demande Chris.
– Oh, ouais.
Je fixe intensément ses étagères, en particulier un vieil exemplaire de Chimie organique par Wade, avant de me lancer :
– Je voulais juste te remercier de nous avoir accueillis chez toi hier soir.
– Avec plaisir, mec. Je suis vraiment heureux pour toi.
Mon regard vagabonde plus haut sur ses étagères, jusqu’aux modèles moléculaires, trophées sur de petits piédestaux, et…
– Joli coq.
Il grogne et se lève pour attraper la balle anti-stress en forme de coq et la jeter dans la poubelle.
– Par ta faute, mes étudiants se sont mis à m’offrir des coqs.
– Un étudiant t’a donné un coq ?
Il regarde en direction du couloir, avant de m’adresser une grimace qui montre qu’il m’étranglerait s’il le pouvait.
– Parle moins fort !
Je souris.
– Je peux essayer.
– Quel est ton programme aujourd’hui ?
Je jette un coup d’œil à ma montre.
– Je dirige le colloque du département dans trente minutes. Tu veux venir ?
– Non.
– Alors je te vois au déjeuner.
~
J’arrive à la moitié de ma présentation de cinquante minutes sur les inflammations du nerf optique lorsque la porte du fond de l’auditorium s’ouvre bruyamment, comme toujours quand quelqu'un qui ne la connaît pas pousse au lieu de tirer. Les têtes se tournent et ma gorge se serre douloureusement lorsque Millie entre. Vêtue d’un jean noir et d’un pull vert foncé, elle avance sur la pointe des pieds, un sac en papier à la main, l’air désolé d’avoir perturbé ma présentation. Millie n’est jamais venue assister à l’un de mes séminaires. Dans la mesure où je suis en neurosciences et elle en criminologie, elle n’a pas vraiment de raison de s’y intéresser. Comment a-t-elle su où me trouver ? Veut-elle me parler ensuite… ? Cette pensée me met la boule au ventre.
Nous avons passé un bon moment hier soir, n’est-ce pas ? J’en garde un souvenir incroyable. On a couché ensemble deux fois. On a discuté pendant une heure, de sujets dont on ne parle jamais : les derniers désastres d’Ed au labo, la prochaine conférence de Millie à Princeton, la possibilité qu’Alex soit titularisé cette année. Rien de trop personnel, rien de profond. La conversation sur l’oreiller s’est transformée en caresses, puis je suis monté sur elle et nous nous sommes tus. Avant-hier soir, je n’aurais jamais imaginé ses gémissements calmes et rythmés ; aujourd’hui, il paraît impossible de me les sortir de la tête.
Je jette un coup d’œil à l’écran et retrouve le fil. Étant l’unique spécialiste de la rétine, je m’efforce toujours de faire des présentations concises, intéressantes et accessibles. Le reste du département de neurosciences a tendance à oublier que la rétine est une partie du cerveau. Millie sait que rien ne m’irrite plus. Je la surprends à sourire lorsqu’une image du système nerveux central arrive, la rétine surlignée au milieu. Son sourire dissipe les restes de tension en moi.
C’est de Millie qu’il s’agit. Elle ne se laisse jamais démonter. Bien sûr que tout va bien.
Elle finit par me rejoindre quand tout le monde commence à partir et me tend un petit carton de pâtisseries. À l’intérieur se trouve un cupcake surmonté d’une licorne en glaçage.
– En quel honneur ? (Je lève les yeux vers elle.) Nous avons célébré ma titularisation hier, et mon anniversaire est encore dans un mois.
Millie sourit.
– C’est un cupcake du lendemain. (Je reste muet, elle ajoute dans un murmure.) C’est un cupcake qui veut dire bravo pour les orgasmes. (Elle marque une pause et regarde mes mains.) Et c’est un cupcake qui dit aussi : est-ce que ça va entre nous ?
Cette rare démonstration de vulnérabilité me décontenance, donc je referme la boîte et lui pince le nez, comme elle nous le fait toujours.
– Tu sais qu’il n’y a pas de problème.
– Alors, accompagne-moi chez Cajé. (Elle me tire par la main.) J’ai besoin de caféine.
– J’ai pris une dose… avec Chris… tout à l’heure…
Mais elle a déjà tourné les talons. J’aurais dû utiliser l’excuse plus convaincante de je dois retourner au labo (pour Millie, le travail passe toujours en premier), mais est-il possible de boire trop de café ?
Cajé est le coffee-shop le plus proche du campus, généralement accaparé par les étudiants les plus dépenaillés. Je dirais qu’il y a autant de jeunes à dreadlocks sur la terrasse que de baristas à l’intérieur. Et même si je sais que Millie peut avoir l’air tout aussi négligée le week-end, à cet instant, avec son jean ajusté, ses talons et son pull en cachemire, elle se distingue comme un parterre de fleurs au milieu d’un champ en friche.
Sans même prendre la peine de me demander ce que je veux – de toute façon, elle le sait déjà –, elle commande deux Americanos moyens, très chauds, et gesticule soudain vers une table miraculeusement vide pour que je la réserve.
J’essuie la table avec une serviette, essayant de calmer l’anxiété inhabituelle que je ressens à la perspective de ma conversation avec Millie.
Millie, ma meilleure amie, qui m’étale des masques hydratants sur le visage devant nos films préférés de gangsters des années 90 et qui a toujours la générosité de manger le melon de mes salades de fruit.
Deux tasses fumantes à la main, elle me rejoint à la table, et je dois déployer un effort conscient pour avoir l’air normal, ce qui annihile sans doute mes probabilités de succès.
C’est tellement bizarre.
Mais je ne peux pas faire abstraction de ses hanches mises en valeur par son jean, et j’en suis réduit à me demander si j’y aurais fait attention avant hier soir.
Elle s’assoit sans un mot, sourit, se touche la joue, et ce geste attire mon attention. Elle lisse quelques mèches et les replace derrière son oreille. Je perçois une sincérité nouvelle, brute, une communication tacite en quelques coups d’œil, criant on a couché ensemble ! Je contemple son cou et m’arrête soudain. Je ne crois pas que je remarquerais en temps normal le petit suçon rouge si je n’en avais pas été l’auteur.
Elle remarque que je remarque et le cache du bout du doigt.
– Je mettrai du fond de teint avant le déjeuner.
C’est vrai. C’est mercredi, l’un des deux jours où nous nous retrouvons au Summit Café, près de la bibliothèque.
– Pas de problème. C’est discret. Mais, euh… désolé.
– Oh, ne sois pas désolé.
Le sexe est au cœur de tout maintenant. Millie me dévisage. Être l’objet de son attention n’est pas rien. Seulement maintenant, au lieu de me contenter de l’apprécier, mon esprit jongle entre l’assurance calme de son visage et le souvenir de ses yeux fermés, et de son soulagement lorsqu’elle a joui hier, sur moi.
– Tu es sûre que ça va aujourd’hui ?
Elle acquiesce avec détermination.
– Certaine. Toi ?
– Pareil.
A-t-elle elle aussi des flashs de la veille ? Je ne sais pas comment passer à autre chose, mais lancer :
– C’était quand même vraiment bien.
… n’était probablement pas le plus approprié.
Elle pourrait rendre la situation gênante, et je m’y attends, parce que nous mettre mal à l’aise est le passe-temps préféré de Millie. Mais elle est apparemment d’humeur généreuse.
– Bien évidemment. Nous sommes tous les deux extraordinaires au lit.
J’éclate de rire. Elle ajoute :
– Mais… on est toujours sur la même longueur d’onde, pas vrai ? Sur le fait de… rester amis ?
– On est d’accord.
Et c’est vrai. Aussi spectaculaire qu’ait été la nuit dernière, je n’ai pas envie de recommencer avec Millie. Du moins, je ne crois pas. Je ne devrais vraiment pas. Nous aimons beaucoup trop nous chamailler pour devenir des amoureux transis. Et d’ailleurs, j’ai du mal à l’imaginer comme ça.
Elle serre ma main dans la sienne.
– Tu es mon meilleur ami, Reid.
– Tu vas me faire pleurer.
Elle glousse et repousse ma main.
– Mais sérieusement, je ne risque pas de ressortir avec un collègue… Quel désastre !
– Un collègue nommé Dustin, tu veux dire ?
Je suis reconnaissant de saisir sa perche vers la normalité. Elle avale rapidement une gorgée de café avant de pouvoir protester.
– Certains pourraient arguer que Reid est un prénom particulièrement prétentieux.
Je feins d’être insulté et pose une main sur ma poitrine.
– Personne n’a jamais dit ça.
Millie arrête un étudiant de la main.
– Excuse-moi. Question rapide. Est-ce que « Reid » est un prénom de connard ?
Le type n’hésite même pas et ne prend pas la peine de me regarder.
– Carrément.
Millie lui lâche le bras avec un sourire goguenard. Elle porte son mug à ses lèvres.
J’imite son geste.
– Il a juste dit oui parce qu’il était intimidé par le professeur sexy qui l’a soudainement pris à partie.
– Je t’en prie, dit-elle en esquissant un geste large de la main. Demande à quelqu'un.
– Excusez-moi, je commence en arrêtant une étudiante. Diriez-vous que le prénom « Reid » est prétentieux ?
Elle est très jolie – une peau ambrée, un halo de cheveux frisés – et elle rougit en croisant mon regard.
– Est-ce votre prénom ?
– C’est sans importance.
J’adoucis mes propos avec ce que Millie appelle mon Regard de Dragueur.
– Euh… rectifie la fille. Je ne trouve pas que ce soit un prénom prétentieux.
Je la remercie et elle s’éloigne lorsque je me retourne vers Millie.
– Tu vois ?
– Sa réponse ressemblait à une version diplomatique de : « Tout le monde pense que c’est un prénom de connard. »
Je ris.
– Sa réponse était un non très clair.
– Si c’était un non, c’est parce qu’elle avait envie de te mettre dans son lit.
Le mot lit dans sa bouche perturbe mon pouls. Elle dit souvent des choses dans le genre, mais hier soir, elle me l’a murmuré à l’oreille, juste avant de me dire qu’elle allait jouir.
Encore.
J’essaie de prendre le ton le plus offensé possible.
– J’ignorais que tu pensais que j’avais un prénom de connard.
Millie ne se laisse pas prendre. Elle sourit.
– En fait, c’était juste une blague.
Nous nous taisons, sans qu’il y ait la moindre gêne, et je m’efforce de ne pas trop penser à Millie au Lit ou d’examiner de trop près Millie mon Amie. Elle a repris contenance. Millie est définitivement aussi inébranlable qu’elle n’y paraît.
Et bon sang, elle est aussi délirante au lit que je m’y attendais.
– Donc, reprend-elle après un silence. Pour être sûrs de redevenir amis, nous devrions probablement aller à l’inauguration avec quelqu'un d’autre.
– On dirait bien.